Des sentinelles écoutées et vigilantes
Jean Kiffer possède une qualité. L’homme est pugnace. Ils n’étaient pas trop nombreux à miser un euro sur lui quand il lança les premières Assises de la Plaisance et de la Pêche en Mer.
C’ était en 2013, à Saint- Nazaire. Le bébé, porté sur les fonts baptismaux, a grandi à Martigues en 2015. À La Baule, les 26 et 27 octobre, il a étonné par ses progrès. Car les Assises, 3ème du nom, ont formé une famille assez disparate, composée de pêcheurs amateurs éclairés sur l’eau, d’autres qui le sont sur l’estran, d’adeptes de sports subaquatiques, d’acteurs de la plaisance mais qui prêchent tous dans le même sens… Jean Kiffer ne navigue pas à vue. Au contraire. En l’espace de trois éditions, il a acquis une certitude. « Nous ferons évoluer le concept de ces Assises, mais le contenu demeurera » . La phrase qui mit un terme à son discours de clôture était révélatrice du poids pris par cette association de fédérations qui ont en commun de « tout faire, en tant que sentinelles sur l’eau et sous l’eau, pour protéger l’environnement afin d’en profiter » . Des propos sortis de la bouche de Karine Claireaux, la présidente du Conseil National de la Mer
et maire de Saint- Pierre- etMiquelon. Elle ne fut pas la seule à répondre à l’invitation. Frédéric Gueudar- Delahaye, le directeur des Pêches maritimes et de l’Aquaculture, était là aussi.
« Nous montons en compétence en tant qu’experts. Lors de ces Assises, on a parlé espagnol, anglais. Nous devenons incontournables sur le fond et la forme comme l’a montré la présence des personnages institutionnels qui sont venus nous écouter » , dira Pierre Mahieu, un des représentants du subaquatique. Mais un de ses collègues ajoutera « qu’il faut aussi savoir répondre au juridique et à l’européen
La Baule, théâtre de propositions
L’européen, on aura compris,
c’est Bruxelles. « Nous sommes respectés et entendus. Mais pas encore assez écoutés » , dira
Jean Kiffer, coordonnateur de ces Assises et président de la FNPP ( Fédération Nationale des Pêcheurs Plaisanciers). Ce dernier souleva également de multiples propositions sur la sécurité, l’environnement, le portuaire, mais aussi, les trois pêches, à pied, en bateau et du bord, et sous- marine. Ce fut lors de la deuxième journée consacrée aux pêches de loisir en la présence, notamment, du président de la Fédération Françaises des Pêches Sportives ( FFPS), Jacques Goupil. Jean Kiffer l’a rappelé : « la plaisance et les pêches de loisirs en mer, c’est plus de 10 milliards d’euros de poids économique et 100.000 emplois directs ». Les chiffres, il connaît : « un kilo de bar pris par un récréatif, c’est 20 à 30 emplois ( 40 selon les Anglais). Par un professionnel, c’est un emploi ». En revanche, la pêche récréative veut peser encore plus et relancer tout ce qui tourne autour de « l’écoresponsabilité, la protection de la ressource, le respect de l’environnement et des éco- systèmes marins, le développement durable du milieu maritime ». Jean Kiffer a dressé un constat. « Après deux ans de concertation, 20 réunions, nous sommes parvenus à faire avancer les choses. Et puis, plus rien, avec la mise en
sommeil du CSNPSN ( Conseil supérieur de la navigation de plaisance et des sports nautiques) ». Quid de la déclaration gratuite et obligatoire des prises, entre
autres ? « Nous devrions avoir 5 ans d’avance et nous avons 5 ans de retard. Il a une carence coupable de l’administration. Avec ce 48ème parallèle, il y a une espèce de bar en haut et une espèce en bas. C’est risible. 60%
des bars tagués à Ouessant ont été retrouvés sur le plateau de Rochebonne » . Ils sont passés du nord du 48ème parallèle au sud. Jean Kiffer insiste sur le bar :
« si le prélèvement sur les frayères avait été interdit, il y a 10 ans comme nous le préconisions, il n’y aurait pas de problème aujourd’hui. Nous l’avions dit à Ifremer » . Et le président de la FNPP ne fait pas dans la nuance
quand il parle de cet institut.
« L’Ifremer est composé de scientifiques compétents. Mais nous contestons l’objectivité de cet organisme qui est à la solde des commanditaires. L’Ifremer ment ! Nous n’avons rien contre la pêche pro. Mais nous ne voulons pas être la variable d’ajustement de cette pêche pro
fessionnelle ». Alors les Assises bauloises ont proposé. Ainsi, étendre la protection de la bande côtière à 6 milles, généraliser les récifs artificiels qui peuvent éviter le chalutage, l’établissement de quotas mensuels et non pas journaliers, que l’on revoit les mesures européennes pour la pêche de loisir qui sont « excessives et inadaptées » et qui engendrent « des situations très mal vécues avec un impact économique et sociologique considérable » . Les Assises ont aussi souhaitées qu’un plan de gestion à moyen terme soit établi par la Commission européenne.
Une vidéo porteuse d’espoir d’Alain Cadec
Alain Cadec, président de cette Commission de la pêche au Parlement européen, n’était pas à La Baule. Mais il a parlé aux congressistes par le biais d’une vidéo porteuse d’espoirs, confir
mant « le besoin de mesures de gestion à long terme, la méthode de gestion dans l’urgence n’étant pas tenable » , évoquant « l’établissement d’un carnet de pêche mensuel pour améliorer la collecte des données » et aussi
« un plan de gestion pluriannuel pour l’Atlantique », préconisant « des pratiques de pêche durables »,
soulignant que « la préservation ne se fera pas sans les pêcheurs ».
Alain Cadec aura aussi reconnu « que les relations étaient parfois difficiles entre les différents acteurs » et qu’il souhaitait « mettre chacun autour de la table ». Le chemin sera long et truffé d’embûches. Frédéric Gueudar- Delahaye, lors de la lecture qu’il a faite du discours de Stéphane Travert, son ministre de tutelle, n’a pas vraiment rassuré.
« On aspire à une cohabitation harmonieuse, la conciliation étant un défi majeur pour les années à venir. Mais il ne faut pas oublier que Stéphane Travert est aussi le ministre de l’alimentation. Dès lors, la pêche récréative ne peut pas être au détriment de la pêche professionnelle ».
Et si un « système d’outils volontaires de déclaration des captures » est appelé, sans doute, à voir le jour, le directeur des pêches maritimes et de l’aquaculture, évoquant le bar et l’avis des scientifiques, a parlé de « positions très restrictives à venir », ajoutant que « si l’heure n’était pas à la remise en cause des mesures prises » , il pourrait être proposé pour le bar « un compromis, un dispositif expérimental de système de bagues dès 2018 et de manière localisée » ce qui aura laissé perplexe Jean-Claude Bel, le représentant de l’European Fishing Tackle Trade Association ( EFTTA) et fait bondir Jean Kiffer : « c’est déjà assez compliqué avec le thon. Je ne me vois vraiment pas filer des bagues à untel et les refuser à un autre ». On le voit, ce n’est pas simple. Comme le dira Karine Claireaux, dans sa conclusion : « je vous ai trouvé tous, très positifs. Et il est grand temps que vous ayez enfin des interlocuteurs, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui ».