Pêche en Mer

Laurent Jeanne : La Bretagne comme vous ne l’avez jamais vue !

- Texte et photos de Arnaud Filleul

Vous pensez déjà connaître la pêche en Bretagne ? Mais avez- vous déjà capturé, dans la même journée, des émissoles en nombre, des pagres de toute beauté et des énormes daurades royales ? Non ? Alors, allez donc pêcher en rade de Brest avec Laurent Jeanne.

Certains guides de pêche montrent leur efficacité dès les premières minutes du guidage. C’est ce que j’avais ressenti en pêchant avec Laurent Jeanne, lors d’un séjour en Irlande, d’ailleurs présenté par la suite dans ce magazine. Précis dans sa pêche, donnant d’excellents conseils, toujours agréable, il avait grandement contribué au succès de ce séjour à Cork. Du coup, lorsque Laurent m’a expliqué qu’il guidait également en France, en rade de Brest, et qu’il obtenait d’excellents résultats, j’ai tout de suite pris rendez-vous. C’est donc un an plus tard, au début du mois de juillet, que je retrouve Laurent, juste devant Océanopoli­s.

Brest, le dernier rempart

C’est là qu’il met à l’eau la superbe embarcatio­n qu’il utilise pour le guidage. C’est la même que pour l’Irlande : un semi-rigide de 7,50 m, extrêmemen­t bien motorisé, avec lequel on peut parcourir la rade à

vive allure. C’est très important car cela permet d’optimiser une journée de guidage. Je l’ai déjà dit, mais je tiens à le répéter : un bon guidage commence par une bonne embarcatio­n. C’est une question de respect du client. Je retrouve donc Laurent, à 9 heures du matin, alors que tout est déjà organisé et que le bateau est à la cale, prêt pour la mise à l’eau. Cinq minutes plus tard, c’est le départ. Georges, un ami de Laurent, est également de la partie. Pour moi, c’est une première, car la rade de Brest est probableme­nt le dernier endroit de Bretagne que je n’ai pas pêché. J’habite près de Saint-Malo, et je suis un habitué des côtes bretonnes, mais alors que j’ai prospecté presque partout, du Mont Saint-Michel à Belle-Île, la rade de Brest manquait à mon carnet d’exploratio­n. Ce sera maintenant chose faite.

On démarre sur de l’émissole

Elle est très jolie d’ailleurs, avec des paysages diversifié­s. On sent au premier coup d’oeil qu’une multitude de pêches sont praticable­s ici. Et d’ailleurs, pour commencer cette journée de la plus belle façon, c’est une espèce peu commune que nous allons traquer : l’émissole tachetée ( Mustelus asterias). Ce magnifique requin, au regard attachant, rentre dans la rade de Brest à la belle saison. Une fois localisé, l’animal doit être recherché en présentant bien à fond son appât préféré, c’està- dire un crabe vert. En effet, l’émissole tachetée n’est pas du tout un prédateur pélagique,

Les émissoles rechignent à attaquer un appât qui bouge trop vite sur le fond, elles n’ attaquent que lorsque l’ appât traîne à vitesse modérée.

c’est un animal benthique qui consomme très majoritair­ement des crustacés qu’il trouve sur le fond. L’évolution des espèces l’a d’ailleurs dotée d’une denture adaptée à cette nourriture : les dents sont émoussées et disposées en mosaïque. C’est idéal pour écraser les carapaces. Laurent possède de solides connaissan­ces naturalist­es et il sait construire une stratégie de pêche en fonction du comporteme­nt du poisson. Il a repéré la zone de concentrat­ion des émissoles depuis longtemps, il connaît les préférence­s alimen- taires de ce poisson, et tout est prêt pour commencer la pêche. La ligne est simple : un coulisseau, un traînard, un gros hameçon simple 7/0 sur lequel est enfilé un crabe vert de taille moyenne. Laurent a fait sa récolte sur l’estran, à marée basse, juste avant cette sortie, et de nombreux crabes verts gigotent dans un seau. On sent que tout est organisé pour pêcher efficaceme­nt. Nous effectuons d’abord une prospectio­n en dérive lente pour localiser les émissoles. Cette recherche n’est possible que lorsque le vent n’est pas installé, car les émissoles rechignent à attaquer un appât qui bouge trop vite sur le fond. Mais lorsque l’appât traîne à vitesse modérée, elles attaquent. Et d’ailleurs, j’ai rapidement ma première touche, très curieuse d’ailleurs. L’émissole grignote le crabe et, avant de ferrer l’animal, il ne faut pas hésiter à rendre du fil. Il faut ferrer seulement sur un déplacemen­t continu. C’est ce que je fais après plusieurs secondes de grignotage, et je tiens mon premier spécimen. Le combat est vraiment agréable, obstiné et ponctué de jolis départs. Mais l’émissole arrive à l’épuisette : je peux contempler ce magnifique requin, constellé de taches blanches. La première prise est un vrai plaisir mais c’est aussi la preuve que la bonne zone est localisée. Nous nous ancrons, et le nombre de touches va considérab­lement augmenter. Cette fois, j’en tiens une qui combat vraiment bien, elle doit être de belle taille ! Elle reste au milieu de la colonne d’eau, donnant des coups de têtes rageurs, et refusant de monter. Mais elle arrive finalement en surface, c’est effectivem­ent un joli poisson ! Laurent la met dans l’épuisette, je peux alors tenir un spécimen de 1,15 mètre dans mes mains. A ce moment- là, je considère que la journée est déjà réussie, et pourtant, je ne sais pas encore que beaucoup d’autres captures nous attendent. Cela commence d’ailleurs juste après cette prise. Laurent ferre sur une touche

instante, et alors qu’il est au combat, c’est Georges qui ferre à son tour. Les deux pêcheurs tirent sur des spécimens de taille très correcte, les lignes se croisent, et les émissoles sont bien énervées ! C’est un très beau moment de pêche qui tourne à l’avantage de Laurent et Georges : les deux émissoles sont embarquées presque en même temps. Alors que Laurent tient sa première émissole par la queue, juste après l’avoir sortie de l’épuisette, il est déjà en train de s’occuper de la prise de Georges. J’adore ces moments d’abondance où les pêcheurs se sentent euphorique­s, mais attention, il ne faut jamais se déconcentr­er ! Nos deux pêcheurs ne se laissent pas piéger, restent focalisés, et finalisent les deux prises. Je peux alors prendre la photo de ce beau moment. Nous prendrons encore quelques émissoles, puis nous déciderons de passer à une autre pêche. Inutile d’embêter davantage ces requins qui nous ont déjà donné tant de plaisir, mieux vaut diversifie­r la pêche. C’est le moment d’aller traquer les Sparidés.

A la découverte du Tenya…

Ici, toute stratégie se construit en fonction de la marée et des déplacemen­ts des poissons. Et c’est vraiment là que l’on voit l’expérience de Laurent. Rien n’est fait au hasard, les postes sont choisis en suivant un timing précis. Les innombrabl­es sorties de pêche de Laurent dans la rade de Brest lui ont permis de comprendre le comporteme­nt des poissons. Cette expérience ne s’invente pas, elle se construit année après année. Ce jour-là, nous allons rechercher les Sparidés du site en pêchant au Tenya : Laurent et Georges sont des spécialist­es. Pour moi, c’est de nouveau une première, je ne m’étais jamais intéressé à cette approche. En observant les ustensiles, j’étais persuadé qu’il fallait animer la crevette présentée sur le Tenya, mais pas du tout. C’est une pêche tactile où on laisse l’appât traîner sur le fond, parfois en rendant la main, parfois en accélérant légèrement. Moi qui adore rechercher la truite au toc, j’ai tout de suite trouvé des automatist­es dans cette relation avec le poisson. Il faut donc couper l’extrémité de la queue de la crevette, l’enfiler par l’arrière de l’abdomen, puis la positionne­r bien droite sur la tête plombée afin qu’elle ne vrille pas durant la prospectio­n. Ensuite, c’est une pêche tactile et délicate dont l’efficacité est grandement augmentée par un matériel adapté. Il faut éviter de pêcher avec des têtes plombées trop lourdes, elles empêcherai­ent une présentati­on naturelle et nuirait à la bonne perception de la touche. Du coup, il faut employer une ligne assez fine, pour minimiser la prise du courant. Et enfin, il faut une canne sensible qui permette de bien sentir les touches et le fond, même avec cette approche tout en finesse. Autrement dit, c’est l’ensemble du matériel de

Georges et Laurent qui est pensé pour cette technique. Lorsque vous viendrez pêcher avec Laurent, vous aurez ainsi droit à une initiation d’une grande qualité à la pêche au Tenya. Je le dis sincèremen­t : c’est du haut de gamme. Cela fait plaisir de voir un guide aussi investi, qui donne tant d’explicatio­ns, et surtout, qui fait prendre tant de poissons au client. Car, c’est bien le but du guidage ! Certes, c’est agréable d’apprendre de nouvelles techniques, mais au bout du compte, un client heureux, c’est un client qui a pris du poisson. Il n’y a pas de secret, le sourire vient avec la belle prise. Et ce jour-là, je suis servi !

…et séduit par la technique

Car cette session au Tenya sera simplement grandiose. Dès les premières dérives, je comprends l’efficacité de la technique. Il y a du fond, et le vent est installé, mais grâce au matériel délicat fourni

Certes, c’ est agréable d’apprendre de nouvelles techniques, mais au bout du compte, un client heureux, c’ est un client qui a pris du poisson.

par Laurent, je parviens à sentir le substrat avec un grammage de seulement 15 grammes ! Très vite, nous sentons le grignotage caractéris­tique des poissons sur la crevette. Il faut baisser un peu la canne pour laisser le poisson engamer, et sur une série de « tocs » insistants, ferrer amplement. Nous sommes bientôt tous au combat, et je peux constater la diversité des prises : des pagres en nombre, des dorades grises, des grondins rouges, des grondins perlons, plus une magnifique surprise dont je vous parlerai un peu plus loin. Le Tenya est parfaiteme­nt adapté à la richesse spécifique de ces eaux. Les pagres, surtout, étaient magnifique­s avec leur robe rose et bleue. Franchemen­t, une telle partie de pêche est aussi un plaisir pour les yeux, et un grand moment pour tout naturalist­e qui aime les beaux poissons. Les combats sont vraiment plaisants aussi, puisque le matériel délicat impose une remontée contrôlée de la prise. On notera d’ailleurs l’excellent comporteme­nt de Laurent, qui n’embarque jamais un pagre avant qu’il ait lâché un peu d’air. Ainsi, le poisson n’arrive pas tout gonflé et peut facilement repartir dans son élément. Ici, on aime le poisson, et ça sent immédiatem­ent.

On finit sur une belle royale

Mais alors que l’après- midi se termine, et que nous effectuons nos dernières dérives, arrive l’évènement le plus marquant de cette journée, qui avait pourtant déjà donné beaucoup d’émotions. Laurent a une touche nette, il ferre, et le départ qui suit est digne de celui d’une carangue. Impossible de brider le poisson, le matériel ne le permet pas, et Laurent doit d’abord subir, pendant plusieurs dizaines de secondes. Puis le poisson s’arrête, et heureuseme­nt, car la réserve du moulinet n’est pas éternelle. Laurent commence un combat qui va s’avérer très long et très incertain, le poisson refusant de monter dans la colonne d’eau, et ponctuant la lente remontée de nombreux redémarrag­es. A chaque fois, c’est autant de ligne perdue qu’il faut patiemment regagner. Mais à un moment, alors que je regarde sous le bateau, je vois un gros plateau argenté, à la silhouette caractéris­tique. J’annonce à Laurent : « c’est

une grosse royale ! ». Le spécimen est superbe et le combat sera tendu jusqu’au bout, mais au final, c’est une superbe daurade royale qui est emmailloté­e ! Tout le monde est hilare, surtout Laurent, qui me prouve à quel point il connaît la rade de Brest. Car une royale de cette taille, ce n’était pas gagné d’avance. Le poisson dépasse les 60 centimètre­s, il est massif, avec une gueule énorme, dont les dents molariform­es peuvent broyer les hameçons. Mais cette fois, l’animal a bel et bien été sorti, et il conclura une journée magnifique. Laurent me proposera, après cette prise, d’aller voir si les bars sont présents sur un de ses postes, mais comme il déjà tard, et que je suis heureux de ma pêche, je lui dis que j’ai déjà passé une journée superbe, et que je préférerai­s terminer par une bonne discussion entre pêcheurs à la terrasse la plus proche. Il faut aussi savoir profiter des bons moments avec recul. Que dire de cette journée ? Autant l’exprimer simplement : c’était une partie de pêche magnifique ! Beaucoup de gros poissons, des espèces peu communes, une nouvelle technique, la découverte d’un nouvel environnem­ent, un guide sympa et compétent, le tout sur une belle embarcatio­n A vous, maintenant, de découvrir la rade de Brest !

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 ??  ?? Et voilà ce qui vous attend ! Cela ressemble au résultat d’une pêche sous les Tropiques mais c’est bien dans la rade de Brest.
Et voilà ce qui vous attend ! Cela ressemble au résultat d’une pêche sous les Tropiques mais c’est bien dans la rade de Brest.
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 ??  ?? Les deux pêcheurs sont au combat en même temps, et ce sont des jolis poissons ! Toute la magie d’une pêche à l’émissole en rade de Brest.
Les deux pêcheurs sont au combat en même temps, et ce sont des jolis poissons ! Toute la magie d’une pêche à l’émissole en rade de Brest.
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Une royale de cette taille, ce n’était pas gagné d’avance. Le poisson a succombé au Tenya qui est parfaiteme­nt adapté à la richesse spécifique de ces eaux.
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