Gadidés d’hiver
L’hiver est bien installé et de nombreuses espèces de poissons ont déserté les côtes. De plus, le pêcheur ne dérangera pas le bar juste avant la reproduction, alors faut-il ranger les cannes ? Pas du tout ! Les Gadidés vont sauver l’hiver.
Avec le refroidissement des eaux côtières, les poissons que l’on rencontrait en été sont partis au large, et souvent en profondeur, pour retrouver des températures plus agréables.Il n’y a plus de maquereaux, de chinchards, de dorades grises à la côte. Ces mouvements saisonniers sont-ils si dramatiques pour le pêcheur ? En fait, aucunement, car pendant que les poissons aimant les températures estivales s’en vont, les poissons appréciant les eaux froides arrivent du nord ou du large pour s’installer sur les côtes de France durant l’hiver. Il s’agit des poissons de la famille des Gadidés, une famille qui contient de nombreuses espèces de pêche sportive vivant dans les eaux froides. On les rencontre en nombre, en général à partir du milieu de l’hiver et parfois jusqu’à la moitié du printemps. Décrivons d’abord les « tiroirs » de la classification zoologique, pour bien comprendre de quoi l’on parle.
Les poissons que nous allons présenter appartiennent à l’ordre des Gadiformes, à la famille des Gadidés et à la sous-famille des Gadinés. Les Gadiformes sont
des poissons sans épines montrant des nageoires pelviennes jugulaires, ce qui signifie qu’elles s’insèrent en avant du niveau des pectorales. Ils sont aussi caractérisés par la présence d’éléments supplémentaires dans le squelette caudal, les ossifications X et Y (Cf. encadré). Au sein de cet ordre, la famille des Gadidés regroupe des poissons d’eau fraîche à froide, surtout présents dans l’Atlantique Nord. On compte 56 espèces dans cette famille. Le genre Gadus (le genre auquel appartient la morue) est le genre-type des Gadidés, c’est-à-dire qu’il sert de base à la dénomination de la famille. Et à l’intérieur de cette famille, on se souviendra notamment de deux sous-familles importantes pour le pêcheur : les Lotinés (la sousfamille de la lingue franche, Molva molva) et les Gadinés, sous-famille qui nous intéresse dans le présent article.
J’ajoute, parce que j’ai lu un jour une grossière erreur à ce sujet, que le terme « sous-famille » n’est en aucun cas un jugement de valeur, mais simplement une façon de nommer une sous-unité à l’intérieur d’une famille. Je suis malheureusement obligé de le préciser car certains n’avaient pas compris.
La sous-famille des Gadinés est très représentée sur nos côtes, avec notamment le lieu jaune, le lieu noir, la morue, le merlan ou encore le tacaud, et nous allons présenter tous ces animaux.
Les membres de cette sousfamille, qui contient 23 espèces, se reconnaissent à la présence de trois nageoires dorsales et deux nageoires anales (Cf. la coloration à l’alizarine du merlan). La peau est extrêmement lisse au toucher, conséquence de la petitesse des écailles. La plupart des Gadinés montrent un barbillon mentonnier, c’est notamment le cas pour la morue (Gadus morhua), mais ce n’est pas une règle absolue. Voilà pour la classification, voyons maintenant plus en détails l’anatomie, la biologie et la pêche de ces espèces d’hiver.
Le lieu jaune Pollachius pollachius
Outre les caractéristiques communes à tous les Gadinés, le lieu jaune se reconnaît à l’absence de barbillon mentonnier, au dos sombre associé à la belle couleur dorée des flancs, et la ligne latérale sombre et incurvée dans sa portion antérieure. Cette dernière caractéristique permet notamment de le différencier de son plus proche cousin, le lieu noir (voir plus bas). On remarquera aussi l’oeil de grande taille et le prognathisme, la mandibule dépassant nettement du museau lorsque la gueule est fermée. La nageoire caudale présente un bord postérieur droit. Le lieu jaune se rencontre depuis la Norvège jusqu’au Portugal, mais il est rare au sud à partir du golfe de Gascogne. C’est un poisson benthopélagique : il passe l’essentiel de son temps juste au-dessus du fond mais peut également monter dans la colonne d’eau. Grégaire, le lieu jaune peut former des bancs de taille importante, souvent près des rochers ou dans les laminaires. C’est un poisson d’eau fraîche, qui se trouve surtout au nord de l’Europe, et qui s’éloigne des côtes à la belle saison pour retrouver les eaux plus froides du large. Le lieu jaune est piscivore, mais il complète son régime alimentaire par des crustacés (crabes et crevettes qu’il trouve sur le fond) et des céphalopodes. Il peut atteindre 1,30 mètre et dépasser 20 kilos, mais de tels spécimens sont devenus excessivement rares. Pour le pêcheur, un lieu de 3 à 5 kilos est déjà une belle prise, et à partir de 8 kilos, c’est un poisson magnifique. En ce qui concerne la pêche, c’est
un poisson très agréable à traquer au leurre. En France, on réalise les plus beaux résultats à la fin de l’hiver et au début du printemps. En Irlande, ou dans d’autres pays du nord de l’Europe, on peut le pêcher toute l’année, y compris en bordure, les eaux restant fraîches même à la belle saison. Historiquement, c’est un poisson apprécié du pêcheur en traîne. Pour cette technique, on utilise un triangle de traîne sur lequel on fixe un gros plomb-poire pour garder la proximité du fond. Lorsqu’il y a du courant et que la profondeur est supérieure à 20 mètres, il ne faut pas hésiter à utiliser un plomb de 2 kilos. Pour supporter un tel poids, le corps de ligne sera en corde ou en nylon 120 centièmes. On ajoute un bas de ligne d’une quinzaine de brasses de nylon 70 centièmes sur lequel on fixe un anguillon en caoutchouc. On prospecte au plus près des rochers, en relâchant le plomb dans les décrochés et en reprenant rapidement de la ligne lorsque le relief remonte. Mais de nos jours, la plupart des pêcheurs recherchent ce beau poisson à la canne et au leurre, en pêchant en bateau juste au-dessus des postes rocheux. Le lieu jaune accepte tous les leurres pouvant être animés près du fond, notamment les leurres souples et les jigs. On prendra soin de placer une longue tête de ligne en monofilament 50 centièmes pour éviter que la ligne ne se coupe contre les rochers. En effet, le lieu tentera de rejoindre les obstacles dès le premier départ. Il est donc préférable d’utiliser des têtes plombées avec un hameçon de taille correcte et fort de fer pour soulever les lieus dès le début du combat.
C’est avant tout la recherche du poste qui garantit le succès. Il est inutile d’insister sur un poste lorsque les touches se font attendre. Quand le pêcheur a trouvé un banc de poissons actifs, les touches sont immédiates. Il faut donc prospecter jusqu’à ce que l’on trouve la bonne zone. Il s’agit en général de reliefs prononcés sur le fond, souvent au-delà de 20 mètres de profondeur, juste en arrière d’un décrochement rocheux. Les épaves sont aussi de très bons postes pour les gros spécimens. La profondeur de pêche dépend cependant de la latitude. Il est fréquent d’aller pêcher par plus de 30 mètres de fond en France pour trouver les gros spécimens, alors qu’en Irlande, on peut capturer de très beaux lieus par 8 mètres de fond. Pensez à manipuler l’animal avec soin car vu le nombre de prises lorsque le banc est trouvé, on s’imposera un fort taux de remise à l’eau.
Le lieu noir Pollachius virens
Il est beaucoup plus rare sur nos côtes mais on peut avoir la chance de croiser sa route. Il peut atteindre 30 kilos, ce qui explique l’intérêt qu’il suscite. Ce beau poisson est beaucoup moins côtier que le lieu jaune : il se pêche au large et en profondeur. Sa répartition est également plus nordique que celle du lieu jaune. Pour différencier les deux espèces, il faut remarquer la teinte très sombre du lieu noir, avec cependant une ligne latérale faiblement incurvée et surlignée de blanc.
La morue Gadus morhua
Pour différencier la morue des autres espèces de sa sous-famille, il faut considérer sa jolie robe. La couleur dominante est variable : verdâtre, brune et même rougeâtre chez certains spécimens. Mais la robe montre toujours de nombreuses taches foncées. On remarquera également le barbillon mentonnier, le museau proéminent et la ligne latérale surlignée de blanc. Le ventre est blanchâtre, presque argenté. La morue est donc très facile à identifier. C’est un poisson de l’Atlantique Nord. Elle n’est réellement présente sur les côtes françaises que durant l’hiver. Mais plus au nord, on la trouve toute l’année. Les spécimens présentés ici ont été capturés en Irlande, à la fin de l’été. C’est une espèce qui vit près du fond et aime la proximité des rochers. La morue est un prédateur essentiellement piscivore qui capture une très grande variété de poissons, benthiques ou pélagiques. Opportuniste, elle
consomme aussi des crustacés, des annélides, des céphalopodes voire des échinodermes. L’animal devient énorme : 2 mètres de long pour un poids maximal recensé de 96 kilos. Ces très gros spécimens, que l’on capturait encore au milieu du siècle dernier, sont maintenant introuvables. Il reste cependant possible de prendre des belles morues d’une dizaine de kilos avec une certaine régularité, notamment au nord de l’Europe. C’est l’un des Gadidés les plus apprécié du pêcheur sportif, la morue pouvant atteindre de belles tailles. Prendre un gros spécimen est toutefois devenu rare. La pression de pêche professionnelle exceptionnelle sur ce poisson a entraîné une diminution des stocks et la quasi-disparition des grands adultes.
La morue a une préférence marquée pour les gros leurres métalliques dandinés. Les grosses cuillers ondulantes ont depuis longtemps fait leur preuve, notamment quand leur hameçon terminal est agrémenté d’un anguillon ou d’un leurre souple. Les éclats brillants et les couleurs phosphorescentes fonctionnent très bien sur la morue. Notons que les jigs ont donné un second souffle à cette technique. On préférera les modèles assez lents et virevoltants à la descente. Quel que soit le leurre choisi, le succès de toute pêche dépend de la bonne localisation du poisson. Pour espérer trouver les belles morues, il faut se rendre au large et prospecter méthodiquement, près du fond, les plateaux rocheux et leurs alentours. En pratiquant ainsi, vous prendrez également de très beaux lieus. On choisit le poids du leurre en fonction de la profondeur de pêche et du courant, il faut pouvoir tenir le fond. N’hésitez pas à utiliser des modèles de taille décente, laissez les petits jigs pour les maquereaux de l’été. La touche est brutale et le combat très lourd, notamment les premières secondes. Morues et lieus ne produisent pas de grandes accélérations, mais leur capacité à opposer leur flanc au courant ainsi que leurs déplacements pesants peuvent entraîner casses et décrochages. Pour ces raisons, on soignera la robustesse des hameçons ainsi que leur piquant. De même, la canne aura une puissance d’au moins 30 livres, avec une action semi-parabolique, bon compromis entre la nécessité de décoller le poisson et celle d’éviter le décrochage. Une tresse de 20 kilos, terminée par une tête de ligne en 50 centièmes pour éviter la casse sur les obstacles, permet de bien sentir la nage du leurre. On pensera à brider le poisson dès la touche. Pour ceux, qui préfèrent les appâts naturels, la pêche est possible du bord comme en bateau. Le surfcasting est une technique rentable dans le nord de la France mais qui a l’inconvénient de prendre de nombreux juvéniles. Notons que dans cette région, on appelle ce poisson doguette. Il suffit en général de se rendre sur les digues, surtout les nuits d’hiver, pour prendre des morues, mais aussi des merlans et des poissons plats. Attention, on manipulera ces poissons avec soin pour maximiser les chances de survie après remise à l’eau.
Le merlan Merlangius merlangus
Le merlan se différencie des autres Gadinés par son museau proéminent (c’est la mâchoire inférieure qui est proéminente chez le lieu jaune), son barbillon mentonnier pratiquement inexistant (différence avec la morue), sa ligne latérale non-surlignée de blanc et par la tache noire à la base de la nageoire pectorale. Un merlan peut atteindre 70 centimètres mais c’est souvent autour de 30 centimètres qu’on le rencontre. Le merlan est une capture fréquente des pêcheurs sportifs pratiquant en hiver, aussi bien depuis la côte qu’en bateau. Pour prendre un merlan de taille correcte, il faudra se rendre sur les cuvettes du large ou du semi-large, ou encore autour des plateaux rocheux. Notons que les merlans sont extrêmement ponctuels dans leur migration, et qu’ils reviennent sur les mêmes postes à la même date, en fin d’hiver ou début de printemps. Du bord, je conseillerais d’éviter la pêche du merlan, en particulier sur les plages où les merlans viennent vers la fin de l’hiver, car elles regorgent de petits spécimens. Inutile de participer à la dégradation de la ressource.
Le tacaud Trisopterus luscus
Voici un petit Gadidé bien sympathique qui se prend partout, notamment en hiver : depuis les rochers, depuis les plages en surfcasting, sur les plateaux rocheux du large, et dans les épaves, ces dernières regorgeant parfois de spécimens de taille exceptionnelle. Il existe plusieurs espèces de tacauds en France : le tacaud commun (Trisopterus luscus), le petit tacaud (Trisopterus minutus minutus) et le capelan (Trisopterus minutus capelanus). Le tacaud commun est le plus grand, il peut atteindre 45 centimètres. Le capelan ne vit qu’en Méditerranée. Le tacaud commun présente un corps plus trapu que les deux autres espèces et des bandes verticales traversent sa robe brune alors que le petit tacaud et le capelan ont une robe unie. En ce qui concerne la pêche, inutile de se compliquer la vie, les tacauds attaqueront n’importe quel appât carné présenté à fond, en particulier les annélides. Les beaux spécimens se prennent couramment à la verticale et au jig. ■
« La morue a une préférence marquée pour les gros leurres métalliques dandinés, dont les grosses cuillers ondulantes. »