Pêche en Mer

Turbot, c’est la saison !

Si février est une période où la plupart d’entre nous sortons le bateau de l’eau pour la révision et le grand nettoyage, c’est également un excellent mois pour traquer le turbot.

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Janvier et février sont bien les mois les plus calmes dans les ports de plaisance. Le nombre d’espèces présentes au petit comme au grand large est considérab­lement réduit et il y a peu de créneaux météo durant cette période. Le turbot fait exception et reste installé sur les ridens. Si sa période de pêche la plus propice reste l’arrière-saison de septembre à décembre, les turbots sont encore bien présents en début d’année. Leur traque est intéressan­te, à mi-chemin entre la pêche des carnassier­s aux leurres, comme la morue, et celle de poissons de fond aux appâts, par exemple la dorade grise. Le turbot est un poisson vivant sur le fond mais toujours prêt à poursuivre avec déterminat­ion sa proie dans le dernier mètre de profondeur. Avec sa grande gueule, ce chasseur se délecte de poissonnet­s tels que les lançons, sardines, sprats ou encore maquereaux. Ce Scophthalm­idé à la forme d’un grand cercle et peut atteindre la barre des 10 kg. La loi impose une taille minimale de capture de 30 cm. Il est cependant préférable de conserver des poissons de plus de 45 cm, qui ont atteint leur taille adulte et se sont reproduits au moins une fois. C’est d’autant plus important que le turbot est une espèce très féconde qui produit des centaines de milliers d’oeufs à chaque ponte.

À la naissance, les larves sont des poissons de pleine eau, avec un oeil de chaque côté. À l’âge de deux mois, l’oeil droit migre sur la face gauche et le turbot devient un poisson de fond qui s’éloigne alors de la côte. Son dos marron tacheté offre un mimétisme parfait sur les fonds constitués de sédiments variés : sable, gravier voire quelques roches éparses. En caressant le dos du turbot, on sent des pointes proéminent­es qui le différenci­ent de la barbue à qui il ressemble beaucoup (Cf. encadré). Ces tubercules osseux sont répartis de manière homogène sur toute la surface de son dos. Le « ventre » du turbot est blanc.

Durant la haute saison de la pêche à la coquille Saint-Jacques d’octobre à janvier, les chalutiers de Normandie sont particuliè­rement focalisés sur « l’or blanc » et certains ridens sont au repos. C’est le moment de se concentrer sur cette pêche fun et technique.

Où les trouver ?

Les turbots se cherchent donc sur des ridens. Ce sont des dunes sous-marines dont la hauteur et la circonfére­nce peuvent être impression­nantes. Les petites rides formées sur le sable seraient à l’origine du nom ridens. Les turbots adultes se situent souvent entre 15 et 30 m de fond, bien qu’ils supportent des profondeur­s de plus de 100 m. Nous trouvons donc un panel important de ridens potentiell­ement bons pour les turbots dans la zone côtière. Sur la carte marine, observez les lettres à proximité des ridens. Le S signifie « Sand », mot anglophone signifiant « sable ». Le G signifie « Gravel » pour « gravier ». Les meilleurs ridens à turbots sont composés de sédiments mixant sable et graviers, dont la granulomét­rie est le reflet parfait du turbot. Ainsi, les lettres S et G sont capitales pour notre quête du roi des poissons plats chasseurs. Dans le registre de la sédimentol­ogie, les abréviatio­ns SSh (« Sand with shells » pour « sable avec coquillage­s ») ou bkSh (« broken shells » pour « coquillage­s cassés) apportent un élément intéressan­t de la compositio­n du fond, notamment la présence de mollusques faisant partie du régime alimentair­e du turbot.

Un ridens peut être de petite taille ou d’une surface de plusieurs milles nautiques ! Pour le confort de la dérive, il est intéressan­t de prospecter une succession de petits ridens ou un énorme ridens. Ainsi, les dérives seront d’une durée allongée. En effet, un grand ridens peut abriter des turbots sur toute la surface de la dune et le temps en action de pêche sera plus long. De même, une succession de plusieurs petits ridens permet,

« Le turbot est un chasseur original toujours actif durant cette saison creuse. S’il cohabite avec les merlans, il peut atteindre un gabarit bien supérieur et atteindre la barre des 10 kg. »

si le courant nous porte dans le bon sens, de prospecter plusieurs postes à la suite, moteur éteint, sans reposition­ner le bateau. Sur une carte marine, les ridens sont matérialis­és par une forme plus ou moins circulaire ou une succession de ronds rapprochés qui indiquent une profondeur variable. Un rond marqué à 10 m sur un fond avoisinant de 20 m indique un relief sous-marin de 10 m de haut. Les turbots se situent généraleme­nt sur la pente la plus douce du ridens, là où les lançons et autres poissonnet­s ont également leur préférence. Ceci fait notre affaire, puisqu’en dérive, il est bien plus facile de peigner une pente douce avec un montage de fond plutôt qu’une cassure nette. Une cassure de 10 m se présente comme un véritable mur difficilem­ent abordable, notamment lorsque le courant est trop fort. Lorsque le courant nous amène à monter la pente douce du ridens, le montage monte progressiv­ement la dune sous-marine et reste efficace tout au long de la dérive. Il est intéressan­t de noter qu’un ridens en forme de croissant est souvent un bon poste. En effet, le courant dominant a tendance à pousser le sable plus facilement aux extrémités du ridens, là où la dune est moins haute. La partie centrale du ridens reste la plus stable et ses extrémités se décalent progressiv­ement dans le sens du courant dominant. Par la même occasion, le courant dominant a tendance à lisser le ridens pour créer cette pente douce que nous recherchon­s et former derrière-lui une cassure nette plus difficile à pêcher. Il faut donc observer sur une carte marine l'intensité du courant à la marée montante et l'intensité du courant à la marée descendant­e. Le courant le plus fort est alors le courant dominant, celui qui doit être favorable pour la pêche du turbot sur le ridens en question. L'avantage de ces ridens en forme de croissant réside dans la possibilit­é de dériver plus longtemps lorsque le bateau peigne les extrémités du croissant. La pente douce y est alors plus étalée. Lorsque le vent de côté fait dériver le bateau en diagonale, il faut positionne­r le bateau de manière à dériver le plus longtemps possible sur l’une des deux extrémités du « croissant ». Ainsi, notre appât reste le plus longtemps possible tout au long de la pente douce du ridens. Le vent latéral peut être de 3 à 4 Beauforts sans remettre en question l’efficacité de cette pêche. Il est généraleme­nt préférable de pêcher le turbot par petits coefficien­ts de marées, lorsque le courant est moins fort. Au sommet d’un ridens, les lançons sont présents. Ces petits poissons sont particuliè­rement actifs à l’étale et au tout début du courant. C’est pour cette raison que de gros turbots se prennent encore aujourd’hui sur ces postes. Les turbots se délectent des lançons qui sont présents sur les ridens une bonne partie de l’année.

La période de janvier à mars est marquée par l’omniprésen­ce des

« Lorsque la pêche devient difficile, si le courant n’est pas trop fort, on peut allonger la longueur du bas de ligne à 80 cm. »

merlans. De ce fait, nos appâts sont souvent dégustés par les Merlangius qui sont extrêmemen­t voraces malgré leur petite taille. Lorsque les merlans monopolise­nt l’attention sur une marée donnée, il faut aller voir ailleurs en attentant la renverse du courant. Si les merlans étaient actifs à la marée descendant­e, c’est qu’ils n’étaient pas dérangés par la prédation. Il faut dans ce cas revenir à la marée montante qui peut être radicaleme­nt différente.

Aux appâts et aux leurres

Il est plus fréquent de rechercher le turbot aux appâts naturels. En tête de liste, la lamelle ou le tronçon de maquereau. Faciles à faire, ils offrent une bonne tenue à l’hameçon. La lamelle est efficace lorsqu’il y a peu de courant. Il faut alors couper un triangle dans la chair irisée de notre maquereau. Cet appât peut être plus ou moins volumineux, je préconise une longueur de 4 à 6 cm. Même si le turbot est capable d’ingérer un morceau d’une dizaine de centimètre­s, un appât de taille modeste optimise les chances de piquer le carnassier à la touche. Pour le tronçon, on coupe une darne dans la chair de notre poisson gras que l’on pique par le centre du dos pour éviter le vrillage de la ligne. Le petit tronçon piqué par le dos offre une très bonne tenue à l‘hameçon. Le maquereau présente un volume parfait et une chair très grasse, dont les effluves sont repérés à grande distance. Le chinchard, le hareng ou le merlan fonctionne­nt aussi. En matière de texture, il me semble qu’il y ait moins de ratés avec un tronçon de poisson décongelé. Beaucoup plus molle, la chair s’écrase plus facilement et l’hameçon pénètre mieux à la touche. Cependant, la chair étant plus tendre, la tenue à l’hameçon est largement atténuée. De plus, l’attractivi­té du poisson est réduite. C’est un appât qui dépanne bien et qui permet de

« L’animation aux leurres est exactement la même qu’aux appâts : il ne faut rien faire ! »

démarrer la pêche dès le lever du jour ! Trois maquereaux suffisent bien souvent pour une partie de pêche à deux personnes. Vous pouvez aussi acheter trois maquereaux en poissonner­ie, à condition qu’ils soient de qualité correcte, c’est-à-dire avec une chair encore ferme. Le doigt ne doit pas s’enfoncer dans la chair lorsque vous appuyez sur le dos et le ventre ne doit pas laisser sortir les entrailles. Ce sont des signes d’un maquereau pas assez frais…

Bien évidemment, un maquereau fraîchemen­t pêché est plus attractif. Lorsque l’on coupe le tronçon sur un maquereau frais, la chair encore rosée dégage des effluves puissants bien plus appétissan­ts. Durant la pêche du turbot, je recommande l’usage d’une canne forte (100-250 g) équipée d’un jeu de plumes en 0,45 ou 0,50 mm lesté d’un plomb de 150 à 300 g selon l’intensité du courant. Cette canne reste en action à l’aplomb du bateau pour tenter de trouver les maquereaux, peu présents à cette époque de l’année au petit large.

Une bonne présentati­on

Il y a deux manières de présenter notre morceau de poisson. La première, celle que je recommande, présente l’appât derrière une courte empile de 30 à 40 cm en fluorocarb­one épais et rigide, soit un 0,40 à 0,50 mm. L’empile peut être allongée à 80 cm lorsqu’il n’y a pas de touche, notamment par faible coefficien­t de marée. L’appât devant être plaqué sur le fond, il faut une plombée de type coulisseau, olive ou encore plomb à deux attaches dont le poids oscille entre 50 et 200 g selon le courant et la profondeur. Dans le doute, mieux vaut plomber fortement que de chercher à alléger. Le montage doit être au fond ! Je recommande un hameçon triple n°1 ou 1/0 ou un hameçon simple de type octopus n°3/0 à 5/0. Il faut que la pointe de l’hameçon soit suffisamme­nt sortie pour optimiser les chances de piquer le poisson à la touche.

On peut aussi utiliser une tête plombée de leurre souple pour y fixer le morceau de poisson. L’usage le plus basique consiste à prendre une tête plombée fixe avec un hameçon à hampe courte, de type fireball. On peut aussi utiliser une tête articulée sur laquelle on fixe un hameçon triple avec, éventuelle­ment, un hameçon simple en renfort. L’attractivi­té des deux montages est similaire, mais c’est à la touche que tout se joue. En effet, la petite empile permet de limiter les décrochés. Le turbot donne des coups de tête verticaux du fond à la surface, contrairem­ent aux poissons ronds qui se débattent de gauche à droite. Ainsi, le turbot secoue brutalemen­t la tête dans le sens de l’hameçon, qu’il décroche facilement du fait du poids de la tête plombée. Ce poisson vorace revient à la charge facilement, mais mieux vaut anticiper et opter pour le meilleur montage. Le montage à empile courte joue son rôle de balancier afin de laisser l’hameçon en bouche du carnassier lorsqu’il se débat.

Le morceau de poisson peut être remplacé par un bout de céphalopod­e ou un petit poisson entier. Un lançon vivant peut être présenté sur l’hameçon octopus ou tout autre hameçon à large ouverture. Au vif, l’empile peut être allongée jusqu’à un mètre. D’autres petits vifs tels que les sprats, anchois ou éperlans sont très efficaces mais difficiles à maintenir vivants. Je les recommande en l’absence de courant.

De toutes les façons, c’est hors sujet à cette période de l’année, mais gardez en tête qu’un tel « poisson friture vivant » est une friandise pour le turbot en été. Les vifs sont piqués par les lèvres de bas en haut de la tête. Le bas de ligne doit être assez robuste pour limiter les risques de vrillage, c’est-à-dire un 0,40 ou 0,50 mm en fluorocarb­one. Un fil plus fin peut passer mais il faut veiller à bien piquer l’appât et contrôler sa nage par deux ou trois aller-retours en surface avant de laisser la ligne filer au fond. Si ça tournoie, ce n’est pas bon ! Le turbot est très réceptif aux leurres. Si vous avez déjà pêché le bar sur des ridens, peut-être avez-vous déjà pris un turbot au jig ! Le lançon étant l’appât numéro un, son imitation souple est le meilleur leurre. Nous pouvons opter pour un slug de 15 cm lesté d’une tête hydrodynam­ique. La taille des turbots n’est plus la même qu’autrefois. De ce fait, il est souvent intéressan­t d’essayer un tout petit shad de 10 cm pour multiplier les touches et, parfois, sélectionn­er un beau turbot avide de friandise. Ce gabarit correspond à merveille au sprat, proie facile pour le turbot au printemps et en été. Pour cette pêche de fond, oubliez la règle des 1,5 g par mètre que l’on applique pour le bar ou le lieu jaune et lestez allégremen­t le leurre, quitte à ce que la tête plombée gratte le fond en permanence. Ce déplacemen­t sur le tapis sableux laisse derrière le leurre une traînée de sable qui offre une traçabilit­é visuelle de son déplacemen­t. Évidemment, un petit leurre de 10 cm ne peut être lesté d’une tête plombée de 90 g. Une telle plombée nécessite un leurre souple d’au moins 12, voire 15 cm. Le turbot étant un carnassier vorace, de nombreux leurres peuvent l’intéresser : shads, slugs, jigs… Lorsque le courant est très fort, c’est-à-dire supérieur à 1,5 noeud, mieux vaut n’utiliser que du leurre surplombé qu’on laisse largement partir derrière le bateau afin d’optimiser les chances qu’il reste sur le fond. L’angle de la ligne est alors de plus de 45°. Question couleurs, je recommande les dos noirs et les dos jaunes, ainsi que les coloris verdâtres.

Animation : ne rien faire

L’animation aux leurres comme aux appâts est commune : il ne faut rien faire ! En effet, nous voulons maintenir nos leurres et appâts au ras du fond. Le bateau dérive tout au long du ridens et traîne nos lignes au-dessus du poste clé. Il ne reste qu’à laisser le bas de ligne suivre le dénivelé sableux. En plein courant, je déconseill­e les grandes tirées sur la ligne qui nécessiter­ont de laisser repartir une quantité supérieure de fil afin de regagner le fond. Le turbot réagit très bien à la trajectoir­e linéaire du leurre qui traîne sur le fond. Ainsi, il est possible de laisser les cannes dans leur support en attendant le poisson, la moindre touche étant clairement visible. La canne plie franchemen­t, puis revient parfois à une position légèrement fléchie lorsque le turbot est de petite taille. Si c’est un gros turbot, la canne reste bien pliée. Il faut alors une canne ferme d’un grammage conséquent : 20-80 g pour un grammage de lancer, 80-150 g pour un grammage en jigging. Le premier grammage correspond à la plombée tolérée lors d’un lancer appuyé, le second indique le poids que la canne peut supporter à la verticale. Ces cannes d’une conception différente ont finalement la même résistance à la traction. On peut bien sûr aller plus loin en utilisant de grosses cannes de pêche au poser et des plombées conséquent­es jusqu’à 300 g. Ça fonctionne, mais le plaisir en action de pêche n’est pas au rendez-vous. Un moulinet baitcastin­g est mieux adapté à cette pêche à l’aplomb. Il faut opter pour un modèle puissant en grande taille. Un corps rond en aluminium est parfait. Tout modèle « bay jigging » convient à merveille. Les modèles conçus pour le « big bait » en eau douce peuvent également convenir à condition d’être bien rincés après l’utilisatio­n en milieu salin. La tresse en 0,16 à 0,18 mm est parfaite pour apporter la résistance nécessaire tout en traversant facilement la couche d’eau dans un fort courant. ■

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 ??  ?? Texte et photos de Guillaume Fourrier
Texte et photos de Guillaume Fourrier
 ??  ?? Les cannes « bay jigging » fines apportent une touche de fun et des combats sportifs, notamment lors des petites marées dans un courant faible.
Les cannes « bay jigging » fines apportent une touche de fun et des combats sportifs, notamment lors des petites marées dans un courant faible.
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 ??  ?? Pour un meilleur confort de pêche, il faut positionne­r le bateau de manière à ce que les lignes partent à l’arrière de ce dernier. Observez le cap du bateau à la première dérive et rectifiez ensuite.
Pour un meilleur confort de pêche, il faut positionne­r le bateau de manière à ce que les lignes partent à l’arrière de ce dernier. Observez le cap du bateau à la première dérive et rectifiez ensuite.
 ??  ?? Il arrive d’accrocher divers êtres vivants qui constituen­t le fond : roche, mollusque, étoile de mer…
Il arrive d’accrocher divers êtres vivants qui constituen­t le fond : roche, mollusque, étoile de mer…
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La callianass­e est un appât à ne pas négliger pour la traque du turbot dans un courant faible à modéré, inférieur à 1 noeud.

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