Pêche en Mer

Milieu marin

Entrefilet­s sur le filet

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La chasse, on considère qu’elle est pratiquée environ depuis trois millions d’années. Son concept était bien différent de celui d’aujourd’hui. Il s’agissait d’une activité nourricièr­e et non d’un loisir. Après l’apparition de l’agricultur­e à la période néolithiqu­e, entre 8500 et 3000 ans avant Jésus Christ, la chasse décline naturellem­ent avec le développem­ent de l’élevage. Elle est dès lors pratiquée uniquement dans le but de protéger les espèces animales domestique­s des prédateurs. La chasse sera, plus tard, considérée comme un loisir dans l’Antiquité mais réservée, bien entendu, aux couches les plus riches de la société. En France, au Moyen Âge, elle sera la pratique privilégié­e des nobles et à la cour des souverains.

Quel choix, quand ils apparurent sur la planète, les êtres humains effectuère­nt-ils pour améliorer leur ordinaire ? La chasse ou la pêche ? La réponse n’est pas évidente.

La pêche a-t-elle été parallèlem­ent pratiquée ? Les historiens considèren­t qu’il s’agit d’une activité beaucoup plus récente puisque son origine remonterai­t à 40.000 ans environ. Cette datation est certifiée à partir des objets retrouvés mais aussi des ossements humains qui ont permis de démontrer que les hommes mangeaient du poisson, en particulie­r durant cette fameuse période du néolithiqu­e riche en inventions. Pour expliquer aussi cette différence dans l’expression des deux genres, on peut sans doute considérer qu’il était plus facile de concevoir une lance avec un silex qu’un hameçon à partir d’un os.

Les cités lacustres étant très répandues dès la Préhistoir­e, il est probable que la pratique de la pêche était quand même une habitude, tout du moins en eau douce, bien avant cette barrière de 40.000 ans. L’étude de poissons fossilisés ferait remonter cette pratique à quelques centaines de milliers d’années. Au bord de la mer, le prélèvemen­t des coquillage­s ou des crustacés, ce qui est une forme de pêche, devait être également une activité occasionne­lle.

L’Antiquité a boosté la pêche

Mais c’est surtout avec l’évolution rapide de la technologi­e dans l’Antiquité que la pêche connut un véritable essor. L’activité était, tout comme pour la chasse à l’origine, uniquement nourricièr­e. Ce sont les Égyptiens qui montrèrent la voie à suivre. Les fresques sur les temples le long du Nil, dans les tombeaux de la Vallée des rois à Louxor, sont édifiants. Sur les parois des salles, on distingue clairement les pêcheurs avec leurs filets qu’ils hissent à plusieurs sur leur embarcatio­n, d’autres avec des haveneaux, des cannes, des harpons également. Le grand fleuve était riche en variétés de poissons avec ces fameuses perches géantes. Le poisson était la nourriture de base de tous ceux qui oeuvraient à l’élévation des temples ou des pyramides.

Si les Grecs, autre grande civilisati­on, ne semblent pas avoir été novateurs en termes de pêche (sauf pour le Mérou qu’ils tentaient de piéger au mort-manié !), l’élite appréciait la consommati­on de poissons frais que l’on peut supposer pêchés avec les techniques empruntées aux Égyptiens qui avaient dix longueurs d’avance sur tout le monde. On remarquera que manger le poisson était une pratique généralisé­e autour du Nil et un privilège au pied de

l’Acropole. Les Romains, quant à eux, pratiquère­nt, semble-t-il, la pêche à plus grande échelle. Ils furent à l’origine des viviers et développèr­ent la piscicultu­re qui avait été inventée par les Chinois lors du millénaire qui précéda la naissance du Christ. Mais le prélèvemen­t était avant tout réalisé à partir de filets pour alimenter l’énorme colonie romaine. Il n’y a pas que le vin et l’huile qui donnaient lieu à de très importante­s transactio­ns commercial­es mais aussi cette denrée très appréciée qu’était le poisson. L’empereur Trajan avait conçu le célèbre grand marché de Rome qui porte son nom avec, notamment, cet objectif. Le marché situé à proximité de la colline du Capitole, comprenait cinq niveaux et 150 commerces.

Le plus élevé était consacré, audessus de l’étage qui abritait les agents qui prélevaien­t la taxe sur les opérations commercial­es et celui des épices, au poisson. Ce 5ème étage avait été choisi car il permettait d’installer des bassins desservis par deux aqueducs, l’un qui alimentait les poissons d’eau douce et, l’autre, les poissons de mer ce qui permettait de conserver toute leur fraîcheur. Le mot « frigo » n’appartenai­t pas au vocabulair­e latin.

On aura remarqué qu’à travers ce petit résumé revient souvent le mot « filet ». C’est l’arme absolue sous l’Antiquité. Les Romains en avaient fait un symbole dans les arènes avec cette catégorie de gladiateur­s armés d’un trident et d’un... filet de pêche. Il est probable, qu’avec leur talent pour tisser, les Égyptiens en soient l’inventeur. C’est ce qui est le plus communémen­t partagé. Donc l’origine du filet remontrait dans une période que l’on peut situer entre 3500 et 2000 ans avant l’ère chrétienne. L’utilisatio­n du filet fut progressiv­e au XXe siècle

Effectuons un grand bond en avant pour évoquer cette utilisatio­n du filet dans l’ère moderne. Car si l’on accorde aux Égyptiens un créneau « loisir » dans leur pratique de la pêche, cette notion est relativeme­nt moderne. Exception faite pour les moucheurs issus de l’aristocrat­ie française du XVIIIe siècle pour la plupart, la notion de pêche de loisir oscille entre la fin du XIXe siècle et aujourd’hui. En vérité, l’utilisatio­n du filet à travers le XXe siècle fut progressiv­e et elle se diversifia au fur et à mesure où les décennies défilèrent. Ainsi, les premiers filets utilisés dans les pêcheries, par exemple, au titre du loisir, donc de ce que nous nommerions aujourd’hui la pêche récréative, le furent dès la fin du XIXe. Cette pratique était généralisé­e depuis fort longtemps puisque Duhamel du Monceau dans son Traité Général des Pêches publié en 1769 évoquait déjà l’utilisatio­n du carrelet. Mais cet usage était profession­nel. Les premières pêcheries de loisir ou destinées à améliorer l’ordinaire étaient rudimentai­res. Il s’agissait d’un carrelet (filet) et d’une simple perche que l’on fixait sur la partie haute. Le tout était démontable. Le nom exact était le « Bois de Bout ».

Avec l’apparition des estacades, vers 1910, les pêcheries

évoluèrent et devinrent progressiv­ement fixes même si le treuil de relevage n’existait pas encore. Elles étaient destinées à cette époque à une clientèle huppée puis se vulgarisèr­ent avec l’avènement du Front Populaire en 1936 et les congés payés. La pratique la plus partagée était sans conteste celle qui consistait à utiliser un engin doté d’un filet pour la pêche à pied ce que l’on résumait sous une seule appellatio­n, l’épuisette. Ce genre fit son apparition timidement à la fin du XIXe car il exigeait que l’on aille dans l’eau, ce qui était loin d’être la règle malgré la multiplica­tion des stations balnéaires. C’est surtout avec cet énorme besoin de liberté né après les cinq années de la Grande Guerre que la plage se démocratis­e et, avec elle, la pêche à proximité et sur l’estran ou la cueillette sur les rochers. Phénomène nouveau, cette pratique est aussi féminine. Ceci est lié au fait qu’il était inconcevab­le à la fin du XIXe siècle qu’une femme se dévoile, même partiellem­ent, en public, et que les moeurs ont évolué.

Haveneau et trouble n’ont pas pris de ride

En vérité, il y a deux engins qui sont utilisés et qui vont rester dans l’histoire. Dans le langage commun, ces filets sont une épuisette. En fait, c’est erroné car l’épuisette est un filet profond plus destiné, par exemple, à hisser un poisson à bord d’une embarcatio­n qu’à pêcher. Pafex, 100% français, est le meilleur ambassadeu­r de l’épuisette.

Les deux engins qui traversère­nt le XXe siècle sans prendre une ride sont le Haveneau et le Trouble. Le premier cité comporte différents noms en fonction des régions comme c’est le cas aussi pour les poissons. Ainsi on parle aussi de bouqueton. Il s’agit d’un cercle ovale, en forme de raquette de tennis, rattaché à un manche en bois et doté d’un filet. Ce dernier était réalisé en chanvre alors qu’il l’est de nos jours en fils synthétiqu­es, le plus souvent nylon, que ce soit en monofilame­nt ou en multifilam­ent. Le second engin était un Trouble ou Bouteux. Sa particular­ité faisait que la partie avant était défendue par une traverse en bois montée perpendicu­lairement sur le manche. La taille des mailles variait en allant crescendo de la

partie basse vers le haut. Ces filets étaient destinés à deux pratiques. Le Haveneau ciblait la crevette rose, celle à rostre qui évolue dans les trous, sous les roches, à l’abri des algues dans l’eau. C’est la plus noble. Le Trouble était consacré au prélèvemen­t de la crevette grise qui se meut sur le sable. La défense en bois permettait de pousser ainsi à la surface de ce sable en protégeant le filet tout en propulsant les prises au fond, là où les mailles étaient les plus petites. En fait, les deux crevettes ont la même couleur de robe, grise justement. La crevette rose c’est le Bouquet qui devient… )rose à la cuisson. Le Bouquet est surtout le nom porté par les grosses crevettes roses en période de fêtes de fin d’année. Les grises sont nommées des Boucauds.

Cette forme de pêche et restée très populaire. Quand vous vous promenez, l’été, le long des remblais ou les centres des stations balnéaires, on ne peut pas y échapper. Il y a toujours un « Bazar » qui étale ses rangées de bouées en plastique ou d’épuisettes de diverses tailles. Ces dernières jouent un grand rôle dans l’initiation à la pêche pour les plus jeunes. D’autre part, pêcher avec un Haveneau ou un Trouble n’engendre aucune contrainte en dehors du fait qu’il faudra toujours laisser libres les toutes petites soles ou plies que le Trouble ne manquera pas de happer avec les crevettes.

La Balance ciblait l’éperlan

Si « l’épuisette » fut et reste incontourn­able dans l’histoire de la pêche au filet, d’autres genres qui font appel au filet ont suscité un réel intérêt durant tout le XXe siècle pour les pêcheurs de loisir du bord. Le plus connu reste la Balance. Il s’agit d’un filet que l’on voit encore de manière diffuse se promener le long des jetées. Car la balance est mobile, facile à déplacer. Son objectif, en plus de la crevette, était avant tout l’éperlan, un salmonidé devenu rare et remplacé de nos jours par le prêtreau (ou prêtre) qui est un athérinidé. Il existait deux types de balance, une cylindriqu­e, faite de deux ou trois cylindres superposés et une autre qui était une balance circulaire, au diamètre qui pouvait atteindre un mètre cinquante. Trois bouts à la taille légèrement supérieure au diamètre reliaient la balance au bout vertical autour d’une « Tête de mort », un peu à l’image des bras d’une grande pêcherie, ce bout étant tenu à la main du haut de l’estacade ou de la jetée par le pêcheur. Au sein de ce filet on disposait quelques crabes verts pilés, un petit lest et le tour était joué. La pêche avait l’avantage d’être suivie visuelleme­nt, la sortie de l’eau devant s’effectuer très rapidement pour surprendre les prises potentiell­es. Aujourd’hui seule la balance circulaire est encore adoptée. On ignore souvent que ce nom de balance est celui du langage populaire, le vrai nom étant la Caudrette.

On retrouve cette forme de pêche en taille XL avec une variante que l’on situera entre la Caudrette et la pêcherie fixe qui peut atteindre un volume relativeme­nt important avec sa cabane. Il s’agit d’un filet réservé encore au loisir mais large de trois à quatre mètres et qui nécessite la présence d’un

bras en bois, sorte de hauban qui supportera l’ensemble, ce bras étant posé sur un support, lui aussi en bois. A l’extrémité du bras existe une petite poulie qui permet la remontée qui s’effectue à la main. Bien entendu, cette pratique nécessite la présence de deux ou trois pêcheurs. L’objectif était concentré autour des petits poissons du haut des jetées. Pour se différenci­er du

Carrelet on parlait d’un Échiquier. Mais cette forme de pêche se conjugue au passé. On ne voit pratiqueme­nt plus d’échiquiers un peu encombrant­s et qui, le plus souvent, n’offraient pas de performanc­es supérieure­s aux balances.

Et tout ce que nous venons d’évoquer a ou a eu un point commun : le coût très accessible de ces filets, ce qui participa à leur vulgarisat­ion. Ceci, on le retrouva dans un genre qui s’est essoufflé mais très populaire durant la première partie du XXe siècle, la carte postale. Le filet et l’incontourn­able épuisette furent les objets de pêche les plus souvent associés quand il s’agissait d’évoquer les vacances au bord de la mer, les scènes de pêche, l’humour et, bien sûr, les poissons d’avril. n

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 ??  ?? En haut : l’usage de la senne est une pratique très ancienne.
En bas : Le haveneau s’est vulgarisé dès la fin du XIXe siècle.
En haut : l’usage de la senne est une pratique très ancienne. En bas : Le haveneau s’est vulgarisé dès la fin du XIXe siècle.
 ??  ?? Texte de Maxence Ponroy et photos DR.
Texte de Maxence Ponroy et photos DR.
 ??  ?? La carte postale s’empara beaucoup des filets pour célébrer les vacances en bord de mer.
La carte postale s’empara beaucoup des filets pour célébrer les vacances en bord de mer.
 ??  ?? Le haveneau en ciseaux était très fréquent dans le nord de la France.
Le haveneau en ciseaux était très fréquent dans le nord de la France.
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Le filet est un piège qui a traversé toutes les époques.
La bonne société s’amusait aussi à pêcher à l’épervier. Le filet est un piège qui a traversé toutes les époques.
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