Pêche en Mer

Estuaires de long en large

- Texte et photos de Maxence Ponroy

Les jours rallongent. Nous allons pénétrer avec le plein retour du printemps dans ce que de nombreux pêcheurs considèren­t, à juste titre d’ailleurs, comme la période la plus généreuse de l’année pour la pêche même s’il ne s’agit pas de la plus poissonneu­se en matière de variétés. Tout le charme tient au fait que le printemps est la seule saison qui nous porte vers l’allongemen­t des jours.

Alors, pourquoi ne pas profiter de ces périodes de restrictio­ns pour redécouvri­r une aire de jeu pleine de promesses avec ses caractéris­tiques propres, les estuaires ou embouchure­s de fleuves. Ils ont le grand mérite d’être souvent proches des ports. Certes, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, il nous arrive fréquemmen­t de pêcher dans quelques rares estuaires alors que nous pensons être en mer. C’est le cas, notamment, avec la Loire dont l’estuaire se prolonge à des milles de la côte.

Ce qu’il y a de sympathiqu­e avec les fleuves, c’est que tout le monde en a au moins un à portée de main. On a tous appris sur les bancs d’écolier qu’il y avait cinq fleuves en France, la Loire, le Rhin, le Rhône, la Seine et la Garonne. En vérité il y en a environ 150. Porz Donan et ses 3 km, dans les Côtes-d’Armor, mériteraie­nt le terme de ruisseau voire de ru, mot cher aux cruciverbi­stes. Mais, sur la très sérieuse plateforme gouverneme­ntale qui répertorie les cours d’eau, Porz Donan appartient bien aux 156 fleuves métropolit­ains tout comme les canaux de Mimizan ou de Soustons.

Les estuaires vivent, pour la plupart au rythme des marées

Il est évident que l’embouchure d’un « fleuve » d’à peine quelques mètres de large n’offrira qu’un intérêt très limité pour la pêche. Les estuaires constituen­t des espaces qui sont marqués, tout du moins de Bayonne à Dunkerque, par un phénomène bien connu, les marées. En France métropolit­aine, le seul grand estuaire méditerran­éen pourrait être celui du Rhône. Pas de chance, il s’agit d’un delta.

Bien sûr, quand on évoque les grands estuaires fréquentés autant par les pêcheurs profession­nels que récréatifs, on pense avant tout à ceux de nos fleuves comme la Garonne ou la Loire. Mais il existe de multiples fleuves intermédia­ires qui sont soumis au phénomène des marées, ce qui rend leur fréquentat­ion par les poissons et leur pêche si particu

lières. En effet, tout l’intérêt avec les estuaires tient à leur proximité avec la mer ou l’océan. Il y a, en fait, trois parties bien distinctes dans un estuaire, celle en amont, celle en aval et l’intermédia­ire au centre. Ces trois segments ont leur propre spécificit­é. L’amont est concerné par la marée mais de manière peu prononcée. En amont, l’eau reste douce. En aval, c’est tout l’inverse. Dans cette partie la plus proche de l’océan c’est la salinité de l’eau qui va dominer. Enfin, il y a la portion medium qui offre la particular­ité – ce qui fait son intérêt – de voir les eaux douces et salées se mélanger.

La longueur de ce territoire si spécifique varie selon les fleuves grands ou plus petits. Un estuaire comme celui de la Seine, cela représente un peu moins de 170 km. Le phénomène des marées avec la Loire est ressenti bien au-delà de Nantes, ville qui est pourtant située à 60 km de l’embouchure. À Nantes, il y a 6 mètres de différence entre basse et haute mer ce qui est globalemen­t le cas à Saint-Nazaire. À 100 km de l’embouchure de la Loire, cette différence est encore d’un mètre. Quant à l’estuaire de la Gironde qui concerne deux départemen­ts, il s’agit tout simplement du plus vaste en Europe avec sa superficie de 635 km2.

Napoléon 3 fait toujours référence

Toutefois, on ne fait pas ce que l’on veut dans un estuaire en matière de pêche, qu’elle soit profession­nelle ou récréative. Les découpages entre le domaine fluvial et le maritime ne sont pas toujours des données très claires. On s’appuie encore de nos jours sur un décret napoléonie­n (Napoléon 3) en date de 1853 qui fixe dans les grands estuaires ce qui est appelé la limite de salure des eaux. Il fut, certes, amendé à quelques reprises. Mais le problème est que ce front de salinité est fluctuant. Toujours estil que c’est cette limite officielle de la salure des eaux qui délimite la réglementa­tion concernant nos activités entre la pêche dite maritime et la pêche dite fluviale. Les récréatifs peuvent être concernés par les deux mais, si côté mer ils auront libre cours à leur loisir, passer au-delà de la limite de salinité leur imposera la présentati­on d’un permis pêche. D’autre part, le permis bateau mer sera suppléé par un permis dit rivière que peu d’adeptes de la pêche au large ont passé un jour. On peut, en fonction des régions, se procurer le document officiel de la DIRM (Direction interrégio­nale de la mer) qui fixe, à partir de chaque cours d’eau se jetant dans la mer, les limites de l’inscriptio­n maritime et les limites de la salure. Vous saurez ainsi comment vous aventurer en toute légalité dans ces « fleuves » côtiers ou grands fleuves. Le périmètre où la salinité décline sous la pression de l’eau douce peut varier aussi selon les saisons. En période de crues, suite à d’abondantes précipitat­ions, mais aussi au printemps, conséquenc­e de la fonte des neiges, le volume d’eau douce déversé en mer peut sensibleme­nt augmenter. Il prend le pas sur l’eau salée parfois à plusieurs milles de cet estuaire. C’est ce que l’on appelle le « doussain », un mot dont l’orthograph­e varie parfois selon les régions. Certaines espèces vont se complaire

dans cette eau saumâtre à la faible salinité. C’est le cas des merlans, notamment, que l’on trouve en abondance pratiqueme­nt jusqu’à la fin du printemps le long des profonds accores sablo-vaseux qui forment le chenal d’accès pour les estuaires des grands fleuves. Dans cette passe, cargos, pétroliers remontent parfois fort loin en amont. Sur la Loire, même les très surveillés méthaniers sont concernés. Cette faible salinité, d’autres espèces que l’on regroupe sous le nom d’euryhalin, celles qui supportent les variations du taux de salinité, composent fort bien avec. C’est le cas pour quelques poissons plats qui seront plutôt prélevés sur les berges ou les plages qui bordent les estuaires. Il s’agit des plies (flets, carrelets, limandes) et des déjà plus rares soles. Quel que soit le taux de salinité, même s’il est très bas, ces poissons plats peuvent être prélevés toute l’année avec des pics durant l’hiver (pour les plies) et le printemps.

Dans les estuaires les espèces font de la résistance

Nous verrons par ailleurs pour ce qu’il en est des espèces qui ont disparu ou qui sont sur le déclin dans les estuaires. Il y en a toutefois qui font de la résistance. C’est le cas, entre autres, des éperlans qui sont des salmonidés. Ils adorent ce panachage entre eau douce et eau salée. Il s’agit du poisson qui est pêché de temps à autre dans les filets des carrelets, ces pêcheries qui sont parfois de véritables petites résidences secondaire­s et qui bordent les estuaires. Mais il faut avouer qu’il est souvent confondu avec le prêtreau (ou athérine) qui, lui, est assez commun.

Un autre poisson apprécie particuliè­rement les estuaires, le maigre. Courtisé il y a une centaine d’années dans celui de la Loire, il disparut durant quelques décennies mais il est revenu en force, sans que l’on sache trop pourquoi, depuis le début du siècle. Il n’est plus exceptionn­el du tout en période estivale et jusqu’au milieu de l’automne dans l’embouchure de ce fleuve. Les côtes qui bordent la Gironde au sud de Royan sont aussi réputées pour les passages de ce gros poisson.

Il est arrivé de manière exceptionn­elle que l’on trouve, piégés au milieu des algues dans une mare, un brochet ou un sandre

qui avaient quitté leur milieu naturel sous la pression du courant. Mais il est beaucoup plus fréquent de voir les bars s’exprimer pleinement dans les estuaires. Eux aussi composent fort bien avec la diminution de la salinité. Cette présence est naturelle.

En effet, les estuaires forment une vaste zone sablo-vaseuse où la vie est intense. Les coquillage­s sont abondants (moules, coques, palourdes, huîtres) ce qui fait que la pêche à pied y est très développée, les vers également et le fond est un endroit où évoluent les crevettes grises, les crabes verts, entre autres. Il ne faut pas oublier aussi que les estuaires sont un passage obligé pour quelques espèces qui vont se reproduire en amont. Les jeunes poissons y naissent, y grandissen­t parfois et tout ceci constitue un apport non négligeabl­e en nourriture pour les prédateurs comme le bar. Enfin, les estuaires sont un des derniers endroits où l’on peut, du bord, en surfcastin­g, espérer prélever une anguille. Ce poisson compose, lui aussi, fort bien avec une salinité moindre. Les mulets, quant à eux, fréquenten­t assidument les estuaires.

Dans les embouchure­s on trouve des bancs de juvéniles. Les sprats portés par les courants puissants des marées sont très présents. C’est ainsi que durant l’été surtout, peu avant le coucher du soleil, les chasses se multiplien­t avec maquereaux et chinchards qui n’hésitent pas à s’aventurer dans cette eau mi-figue mi-raisin. À l’opposé, la présence d’un fort doussain fera fuir d’autres espèces, les Sparidés notamment. Les grisets, roses, pagres, pageots ont besoin d’une forte salinité. Ces poissons resteront toujours éloignés des embouchure­s de fleuves et ils ne se rapprocher­ont des côtes que lorsque le doussain sera au plus bas.

Enfin, on a tendance parfois à l’oublier, mais ce vaste espace qui termine un fleuve est aussi le théâtre de nombreuses épaves qui reposent suite à des tempêtes ou des éléments extérieurs comme les guerres. La morphologi­e des estuaires, les conditions hydrologiq­ues qui les entourent ainsi que les climatique­s (le vent puissant, la brume soudaine, les marées) sont à l’origine de bien des drames surtout dans la mesure où certains estuaires comme celui de la Loire, par exemple, sont protégés par de multiples hauts-fonds. Toutefois, ces épaves, même nombreuses, n’offrent plus de nos jours un grand intérêt. Proches de la côte, accessible­s au plus grand nombre, elles ont suscité un tel engouement qu’elles ne contiennen­t plus que quelques tacauds qui, eux aussi, composent avec les variations de salinité, et des congres qui, au fil des ans, ont perdu de leur taille du fait d’un prélèvemen­t intense.

L’eau y est moins fraîche qu’au large

Au fait, pourquoi y a-t-il autant de poissons dans les estuaires alors qu’au cours du printemps ils commencent seulement à se rapprocher des côtes ? En dehors du fait qu’ils soient une zone de frai, il y a l’importance des quantités d’oxygène qui sont supérieure­s avec cet énorme brassage entre deux eaux. Les estuaires sont également des endroits avec une eau douce souvent moins fraîche que celle de la mer. En effet, les crues drainent quantité de terres diverses et ces apports tellurique­s permettent d’élever la températur­e.

Maintenant, comment aller à la rencontre de ces poissons ? Les estuaires s’affrontent en dérive le plus souvent. Pour ce qui concerne les plus grands d’entre eux, il y a une raison à

cela. Ils sont, selon l’importance des fleuves ou des rivières, des endroits très fréquentés par le trafic maritime. Ils sont bordés par quantité d’industries (raffinerie­s, terminaux méthaniers ou fruitiers etc.) et tout mouillage est interdit dans le chenal d’accès. En revanche, rien ne vous empêchera de traverser ce chenal. C’est même une pratique fortement conseillée car ces chenaux d’accès aux ports sont constammen­t entretenus. Les grands fleuves évacuent tellement d’alluvions qu’un chenal non dragué serait vite comblé interdisan­t l’entrée ou la sortie des pétroliers ou cargos. Un chenal, c’est l’assurance de pentes très fortes, là où la drague effectue son travail presque quotidien.

Le long de ces accores artificiel­s sablo-vaseux, puisqu’un chenal n’est pas tracé dans de la roche, se trouvent quantité de merlans. C’est un passage régulier pour les bars, et les salmonidés. En période estivale, c’est aussi un endroit qu’apprécient les maigres. En dérive, c’est un lieu qu’il faudra privilégie­r et ce d’autant plus qu’il n’y a pratiqueme­nt aucun risque de croche. Un estuaire constitue également le cadre idéal pour la traîne. Dans des eaux forcément saumâtres à très faible visibilité il faudra adopter des leurres aux couleurs vives, blanc, jaune, orangé ou le panaché blanc-rouge très prisé par les maigres.

Reste la question du mouillage. Il pourra être effectué mais en dehors de la zone de trafic. Il n’est pas question de mouiller au bord du chenal au moment où passera un méthanier. Même les vagues liées au passage de cargos seront à redouter. Il faudra donc trouver des postes éloignés des chenaux d’accès aux fleuves en considéran­t quand même que les plus fortes concentrat­ions de poissons sont dans le chenal souvent dragué ou à proximité. Donc privilégie­z d’autres types de pêche.

Par contre, pensez toujours aux courants souvent importants. Ce sont en fait deux courants qui s’affrontent ou se conjuguent, celui du fleuve et celui généré par la marée. Remonter un estuaire à marée descendant­e nécessite une grosse motorisati­on. D’autre part, par vent soutenu, un estuaire est tout sauf une zone calme. n

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 ??  ?? Le mulet est le poisson type des estuaires.
Le mulet est le poisson type des estuaires.
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Le bar qui fréquente les estuaires comme ici à la sortie de la Vilaine, est recherché dès le début du printemps.
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Le maigre fréquente les grands estuaires comme la Loire ou la Gironde.
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 ??  ?? Les jetées des ports d’estuaires sont d’excellents postes pour la pêche malgré la puissance du courant.
Les jetées des ports d’estuaires sont d’excellents postes pour la pêche malgré la puissance du courant.
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Les plies ou carrelets sont des poissons très représenté­s dans les estuaires.

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