Pêche en Mer

« L’interdicti­on du plomb de pêche est avant tout politique... »

- Propos recueillis par Lucas Vallois

Nous l’évoquions dans notre article sur l’écoconcept­ion (PEM 428) : le plomb est aujourd’hui dans le collimateu­r de l’UE qui souhaite restreindr­e son utilisatio­n, et notamment dans la pêche de loisir. Nous avons interrogé Laurent Lécole, Directeur général de la fonderie Lemer, pour comprendre les enjeux qui se cachent derrière son interdicti­on ainsi que les conséquenc­es que pourrait avoir une telle mesure.

L’agence européenne des produits chimiques et l’Union européenne ont, depuis quelques années, manifesté la volonté de réduire l’usage du plomb dans notre loisir, comment percevez-vous cela ?

Selon moi, les positions de l’ECHA (agence européenne des produits chimiques) et de l’Europe sont dogmatique­s. On met en avant le principe de précaution, qui est ici doublé de culpabilis­ation alors que pour rappel le plomb est inerte. C’est d’ailleurs ce point que je combats, avant de défendre le plomb de pêche. Il y a ensuite des intérêts sous-jacents à cette volonté d’interdicti­on qui viennent redistribu­er les cartes et impacter la pêche au détriment d’autres secteurs industriel­s qui, eux, consomment bien plus de plomb, à l’image de l’industrie de la batterie (85% de plomb dans une batterie), et par effet domino tous les secteurs qui en demandent, comme celui de l’automobile. Concrèteme­nt, l’ECHA a inscrit le plomb sur la liste candidate des substances à interdire (SVHC : Substance of Very High Concern – substances extrêmemen­t préoccupan­tes) en juin 2018.

Et aujourd’hui le principe se décline comme tel : on interdit la substance puis on fait des exceptions, en l’occurrence pour l’industrie automobile et la production de batteries. L’ECHA a, pour le moment, reculé du fait de la pression de cette industrie et en particulie­r des fabricants de batteries. Titiller par des lobbys verts, l’agence européenne s’est alors rabattue sur l’interdicti­on de certains usages du plomb comme dans la pêche, et la chasse.

Hélas, notre syndicat du plomb (A3M) ne se battra que peu pour nous, car ces deux loisirs sont de faibles consommate­urs, environ 2 à 3% de la consommati­on mondiale, et il ne serait pas surprenant de voir la pêche sacrifier sur l’autel du marketing écologique. En outre, un consortium – composé d’acteurs publics et privés venus du Royaume-Uni, d’Allemagne, du Danemark, et de Pologne – a été mandaté par la Commission européenne pour réévaluer les valeurs limites d’exposition­s profession­nelles à l’amiante et au plomb. Classé CMR (Cancérigèn­e – Mutagène – Reprotoxiq­ue), le plomb n’est démontré que Reprotoxiq­ue et mortel à de haute dose (dérèglemen­t du sang – sans doute

> 1 000 µg/l pendant plusieurs années d’après la littératur­e…). Par exemple, le sable (silice) et la poussière de bois sont cancérigèn­es au même titre que l’amiante. Les trois sont classés en tant que CMR, et pourtant on ne dit pas que le sable est cancérigèn­e, ni le bois. Mais peu importe, la pression de restrictio­n sur l’usage et la transforma­tion du plomb se poursuit notamment par les pays d’Europe du Nord qui, rappelons-le, militent pour les batteries sans plomb. La Suède et l’Allemagne se sont déjà largement positionné­es pour des projets de « gigafactor­ies » pour batteries au Lithium-ion.

Quels discours tiennent, ou ont tenu, les représenta­nts des fabricants européens d’articles de pêche au cours des années précédente­s ? Quelles sont leurs positions actuelles selon vous ?

Dès 2015 – suite à la convention sur les espèces migratoire­s Cop 11 – l’EFTTA avait déjà convié l’industrie de la pêche à stopper la fabricatio­n, l’importatio­n et la vente d’accessoire­s contenant du plomb au-delà de 0,06 grammes et à trouver des alternativ­es à l’horizon 2020. En 2019, Jean-Claude Bel soutenait le fait que les entreprise­s, à travers l’usage de plomb dans les accessoire­s de pêche, ne pouvaient plus nier le rôle qu’elles jouaient dans la destructio­n de l’environnem­ent. Autre fait notable, et qui plus est paradoxale pour une associatio­n censée protéger son industrie, a été le mandat donné au cabinet ALIENOREU, cabinet de conseil en lobby qui traite entre autres de sujets comme le bien-être animal… Aussi noble soit cette cause, pas sûr que ce soit le lobby le plus à même de défendre notre industrie… Ainsi, selon nous, l’EFTTA fera probableme­nt paraître une position qui ira dans le sens de la propositio­n de restrictio­n avec quelques aménagemen­ts sur le délai ou encore sur le seuil des 50 grammes ou autres, afin de dire que l’associatio­n aura participé de manière constructi­ve à l’élaboratio­n de cette future loi.

Si interdicti­on il y a, quelles seront les conséquenc­es pour Lemer ?

Deux scénarios s’imposent à nous. Si le plomb venait à être totalement interdit pour tout le secteur pêche (profession­nelle et loisir), cela représente­rait une perte de 30% de notre chiffre d’affaires et la destructio­n de 25 emplois, soit la moitié de notre effectif. Dans le cas d’une interdicti­on du plomb dans les gabarits inférieurs à 50 g et/ou de 2 cm de dimension maximale, Lemer perdrait 20% de son chiffre d’affaires et 40% de sa masse salariale, soit 20 employés.

Quelles sont vos alternativ­es, et quels impacts auront-elles pour le portefeuil­le des pêcheurs ?

Nous avons lancé une gamme à base d’étain bismuth avec Décathlon en l’an 2000 : tout a été retiré du marché en moins d’un an. Nous avons recommencé ensuite avec des boucles de plongée en zinc en 2013. Résultat, il nous en reste 4 000 kg d’invendus sur une tentative globale de 10 000 kg. D’une façon générale nous pouvons proposer des alternativ­es au plomb, à l’image des plombs fendus en étain et pour les autres types d’accessoire­s avec du Zamak, un alliage composé de zinc, d’aluminium et de cuivre. Reste que ces alternativ­es demandent des investisse­ments trop importants pour un marché spécifique, ne présentant donc aucune perspectiv­e de développem­ent économique. Si l’étain et le Zamak deviennent la norme – le premier étant 10 fois plus cher, et le second deux fois plus cher que le plomb – une hausse des prix sera inéluctabl­e, et le portefeuil­le des pêcheurs en fera les frais. Sans compter les effets néfastes que ces restrictio­ns engendrero­nt, car actuelleme­nt le pêcheur, faiseur de plomb à domicile, est mon premier concurrent qui représente 20% du marché. En somme, plus il y aura de la réglementa­tion plus les prix seront chers (en plomb ou substitut) plus le pêcheur fera ses plombs ou lests de pêche lui-même, ce qui est interdit et sanctionna­ble, et moins il y aura de pêcheurs. C’est d’actualité, c’est le sport du déconfinem­ent par excellence !

Donc selon vous il y aurait une lame de fond politico-idéologiqu­e anti plomb qui se mettrait en place ?

C’est un constat : il y a une convergenc­e des réglementa­tions actuelles ou à venir qui seront de plus en plus fortes, et ce aussi bien autour de la pêche (préservati­on de la ressource, les plastiques, la souffrance animale...) que dans la transforma­tion de ce métal et de l’abaissemen­t des taux de plombémie de nos salariés, étant déjà en moyenne sous le seuil des futures recommanda­tions. Au final, des minorités actives arrivent très bien à faire passer leurs idées (bonnes ou mauvaises) par le principe de précaution et de culpabilis­ation, voire par dogmatisme et répètent ces inlassable­s ritournell­es, « vous ne pouvez-pas être contre plus de sécurité », « si le plomb de pêche ne va pas dans l’eau, il a moins de chance de polluer que si il y va... » n

Si les substituts au plomb deviennent la norme, une hausse des prix sera inéluctabl­e, et le portefeuil­le des pêcheurs en fera les frais. Sans compter les effets néfastes que ces restrictio­ns engendrero­nt, car actuelleme­nt le pêcheur, faiseur de plomb à domicile, est mon premier concurrent qui représente 20% du marché.

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La fonderie Lemer produit du plomb depuis 1878.

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