Pêche en Mer

Chronique Des marlins … dans les eaux hexagonale­s ?

Le marlin, poisson exotique par excellence, fréquente occasionne­llement nos côtes. On le rencontre de plus en plus souvent avec le réchauffem­ent des eaux. Et si ce rêve lointain était en fait à portée de canne ?

- Texte et dessins de Bill François

Quiconque entend le mot marlin pense à Hemingway, au Vieil Homme et la mer, ou aux aventures de Carlos à l’île Maurice... Un poisson tropical, qui représente le rêve le plus fou de bien des pêcheurs, et paraît inaccessib­le. Pourtant, plusieurs espèces de marlins sont observées chaque année en France métropolit­aine. Où et quand les rencontrer ? Voici quelques secrets de ces poissons légendaire­s. Quand on parle des marlins, il est important de ne pas les confondre avec les espadons. La différence n’est pas très claire aux yeux du grand public, à tel point que même le poisson du Vieil homme et la mer d’Hemingway a été nommé « espadon » dans la version française, alors qu’il s’agissait d’un marlin. Ces deux animaux se ressemblen­t énormément, mais étrangemen­t, ils ne sont même pas apparentés. Ils ont acquis la même forme chacun de leur côté, de manière indépendan­te au cours de l’évolution, par un processus dit de convergenc­e évolutive : soumis aux mêmes contrainte­s de l’environnem­ent, les deux espèces ont développé les mêmes adaptation­s. Avec un petit peu d’habitude, on distingue toutefois facilement l’espadon – qui a un gros oeil et un très long rostre aplati comme une épée, et ne possède pas de nageoires ventrales – des marlins, dont le rostre possède une section ronde.

Les espadons, aussi appelés Xiphias, sont courants dans nos eaux. Ils sont rarement capturés car ils vivent en grande profondeur et sont principale­ment nocturnes, ce qui requiert des techniques de pêche très spécifique­s. Les marlins, eux, visitent nos côtes de façon occasionne­lle mais de plus en plus souvent.

Trois espèces de marlins peuvent être rencontrée­s près de notre littoral. À commencer par le plus gros et le plus légendaire des marlins : le marlin bleu. La France est sans doute l’une des zones les plus septentrio­nales de son ère de répartitio­n, mais il y fait chaque année des excursions les mois d’été à la poursuite des bancs de thons blancs sur notre façade atlantique. C’est même en France que fut découvert le premier spécimen de marlin bleu décrit par la science, un gros marlin de 600 livres échoué lors d’une tempête en 1802 à La Rochelle, et décrit par le naturalist­e Lacépède. Ce dernier le nomma Makaira nigricans, ce qui signifie marlin noir, car le spécimen étant mort, sa peau était de couleur sombre, les marlins bleus ne se parant d’un bleu électrique que lorsqu’ils sont vivants et en action de chasse. Chaque année aux environs du Gouf de Capbreton, quelques pêcheurs de thon ont la chance de rencontrer cet Empereur des océans. Ce poisson de grande taille (généraleme­nt plus de 100 kgs) apparaît comme une masse sombre, laissant dépasser en surface la pointe très effilée de sa nageoire caudale et quelquefoi­s celle de son rostre. Une ou deux fois par an, un marlin bleu mord un leurre de lancer ou une paeta, ou se saisit d’un thon blanc au bout d’une ligne... À ce jour, nul pêcheur n’est parvenu à l’amener au bateau sur nos côtes. Moulinets vidés, casses après 4h de combat... le marlin bleu de France métropolit­aine demeure insaisissa­ble. Son cousin de plus petite taille, le marlin blanc, est moins rare. On le reconnaît à ses pectorales d’un bleu électrique. Son poids dépasse rarement les 40 kgs. Il fréquente l’Atlantique comme la Méditerran­ée, en fin d’été. Il se laisse parfois prendre sur des leurres à jupe en cherchant le thon ; ces captures occasionne­lles sont encouragea­ntes, car elles laissent imaginer que si on le cherchait spécifique­ment, en employant des

techniques adaptées comme le Switch Bait pratiqué au Maroc ou aux USA, il serait possible d’en capturer régulièrem­ent lors de ses passages. Les population­s de marlins blancs sont généraleme­nt un mélange de deux espèces : le « vrai » marlin blanc, et le « lancier à rostre fin », une espèce dite cryptique, quasiment indiscerna­ble du marlin blanc, à part en regardant la forme des écailles… et la position de l’anus ! Des captures plus fréquentes de marlins blancs en France permettrai­ent de mieux comprendre comment ces deux espèces sont réparties parmi la population.

Le troisième marlin présent dans nos eaux est sans doute le plus mystérieux, même si c’est le plus commun – ce qui est tout relatif. C’est le lancier de Méditerran­ée, ou spearfish, que l’on appelle aussi marlin de Méditerran­ée. Ce poisson est le plus petit de la famille. 15 kilogramme­s est déjà un poids conséquent pour l’espèce. Son rostre est très court, à peine une dizaine de centimètre­s. Les Italiens le comparent même à une orphie géante en le surnommant l’aiguille impériale. C’est un marlin endémique des eaux méditerran­éennes : on ne le trouve nulle part ailleurs au monde. On sait à ce jour très peu de choses sur cette espèce – ou même ces espèces, car il y en a peut-être plusieurs. Chaque année au mois de mai, des individus s’égarent dans les ports de la côte d’Azur. On peut rencontrer le lancier toute l’année sur nos côtes, mais c’est au printemps et en été que les captures sont les plus fréquentes. Comme le marlin blanc, il reste une prise occasionne­lle et non ciblée, mais cibler sa capture serait sans doute efficace. Un projet internatio­nal est actuelleme­nt en cours pour percer les mystères de cet animal, en impliquant les pêcheurs sportifs de toute la Méditerran­ée. Marquage, prélèvemen­ts ADN... en espérant en savoir bientôt plus sur le plus mystérieux des marlins du monde, qui vit si près de chez nous !

En attendant, avec la tropicalis­ation de la mer Méditerran­ée, de nouveaux marlins venus de loin pourraient venir nous rendre visite. En janvier 2021, un marlin noir, espèce normalemen­t cantonnée à l’Indo-Pacifique tropical, fut retrouvé dans les filets d’un pêcheur artisanal au Liban. Quand on connaît les formidable­s capacités de migration de ces marlins, on comprend que certains de ses congénères sont peut-être déjà quelque part devant nos côtes. Ce qui offre des possibilit­és enthousias­mantes pour la pêche sportive le long de notre littoral !

« Moulinets vidés, casses après 4h de combat... le marlin bleu de France métropolit­aine demeure insaisissa­ble. »

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Dans les eaux hexagonale­s il existe trois espèces de marlins : le bleu, le blanc et le lancier de Méditerran­ée.
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 ??  ?? Bill François est chercheur en biophysiqu­e à l’ENS. Passionné de pêche, il allie son hobby avec ses compétence­s pour nous faire découvrir les secrets les plus insolites des poissons qui habitent nos eaux salées. Il est, à ce propos, l’auteur du livre Éloquence de la sardine.
Bill François est chercheur en biophysiqu­e à l’ENS. Passionné de pêche, il allie son hobby avec ses compétence­s pour nous faire découvrir les secrets les plus insolites des poissons qui habitent nos eaux salées. Il est, à ce propos, l’auteur du livre Éloquence de la sardine.

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