Pêche en Mer

LE GERMON le thon oublié

- Texte et dessins de Bill François

Le germon, le thon oublié

Pendant que son cousin le thon rouge est l’objet de toutes les passions, le discret thon blanc reste plutôt dans l’ombre. Rarement recherché et capturé de nos jours, ce petit thon fut une star légendaire à son époque... et pourrait bien faire un jour son grand retour !

L’esprit du thon germon sommeille depuis des décennies au fond des boîtes… à souvenirs. Son épopée en photos sépias et vieux gréements fut pourtant l’une des plus grandes heures de la pêche maritime française. La pêcherie « germonière », née au XVIIIème siècle, se développa avec l’avènement des techniques de conserveri­e dans tout le sud de la Bretagne pour atteindre son apogée dans les années 1930, où plus d’un millier de voiliers bretons poursuivai­ent chaque année les mattes de germon du cap Finisterre au banc irlandais de la Grande Sole, en passant par le Golfe de Gascogne. On pêchait le germon uniquement à la ligne de traîne, à la voile, avec des leurres en paille d’ail ou de maïs, les ancêtres des fameuses « paëtas » – méthode ancestrale qui rappelle les tous premiers leurres développés par l’humanité il y a quarante mille ans. D’abord pratiquée sur des cotres et des goélettes, la technique de pêche au germon s’affina et se dota de son propre style de navire : le fin et rapide thonier dundee, à l’élégante poupe en « cul d’hirondelle » et à la typique voilure bicolore. Un complexe système de tangons et de taquets permettaie­nt de traîner plus de 18 lignes à la fois, aux noms traditionn­els : le bonhomme, le petit plomb, la seconde… Le passage sur un banc de thons, provoquant souvent des touches sur toutes les lignes à la fois, demandait un savoir-faire admirable pour les remonter sans les emmêler. Cette pêche faisait vivre toute une industrie de conserveri­e à terre, mais elle ne put pas survivre à la concurrenc­e des chaluts et des senneurs, puis à l’irruption sur le marché du thon tropical. Malgré quelques années de tentative de développem­ent des thoniers à moteur après la guerre, les derniers thoniers à la traîne de Bretagne disparuren­t dans les années 1970.

Plus au sud, vers Saint-Jean-deLuz, les Basques (Français et Espagnols) pratiquent encore une pêche traditionn­elle et très impression­nante du germon : la pêche à la canne. Le but est de maintenir un banc de thons sous le bateau en leur fournissan­t une pluie d’appâts vivants. Les germons sont alors capturés à l’aide de simples cannes, sans moulinets, et « droppés » sur le pont à la force des bras, à une

cadence incroyable de parfois plusieurs thons par minute ! Un pur exemple de force basque. Les Espagnols étant friands de conserves de thon blanc, qui se bonifient dans l’huile durant des décennies, comme le vin, ce marché élitiste de « bonito del norte » a sauvé la pêche artisanale, seule en mesure de fournir du poisson en bon état.

Les thons germons abondent toujours dans le Golfe de Gascogne et en Bretagne. Ce sont simplement leurs pêcheurs qui ont disparu, remplacés pour la plupart par une poignée de chalutiers pélagiques surdimensi­onnés. Pour le plaisancie­r, le germon est une quête délicate qui rappelle la grande époque des voiliers tant il faut souvent partir loin au large pour les trouver, et tant leurs passages sont brefs et incertains. Généraleme­nt, on les pêche en fin d’été, en localisant les bancs à la traîne ou en cherchant les chasses. Une chasse de germons se distingue d’une chasse de thons rouges car le germon saute au ras de l’eau, à l’horizontal­e, tandis que le rouge effectue des pirouettes plus verticales. Le passage des germons, qui suivent les grands bancs d’anchois, est un de ces rendez-vous où la nature nous montre toute son abondance. Les thons sont souvent accompagné­s de cétacés divers, de marlins, de requins, de tortues…

Le germon est un poisson magnifique, aux couleurs changeante­s, avec une incroyable ligne bleu électrique sur le dos. Comme tous les thons, il ne peut s’arrêter de nager, même en dormant, d’où les longues migrations qu’il effectue. On le distingue par ses longues pectorales (d’où son surnom d’aile-longue), ses ouïes de grande taille (d’où son surnom de longue-oreille), et, bien sûr, sa chair fine et de couleur claire (d’où l’appellatio­n de thon blanc). Mais quiconque voit un germon remarquera aussi son oeil surdimensi­onné, qui lui permet de voir dans l’obscurité des grands fonds, et de passer une grande partie de la journée à plusieurs centaines de mètres de profondeur.

C’est peut-être cette faculté à vivre en profondeur qui explique la discrétion récente des germons en Méditerran­ée. Jusqu’aux années 90, le thon blanc était une prise abondante dans le Midi et sur la Côte d’Azur. Ses bancs abondants en fin d’été ont permis le développem­ent de la pêche au gros sur la Riviera, avec l’avènement des grands tournois de traîne hauturière, où le légendaire Constant Guigo mit au point les techniques de traîne moderne qu’on connaît aujourd’hui. Grâce à ce poisson, la Riviera devint une vraie destinatio­n halieutiqu­e, où des célébrités comme Sheila, Carlos ou Bill Gates montaient au large pêcher le germon. Mais dans les années 90, une poignée de pêcheurs industriel­s se rendit compte de cette aubaine et partit à l’assaut des bancs de Germon depuis la rade de Toulon. En une saison, le thon blanc disparut complèteme­nt. Depuis, on n’en voit presque plus ; il se prenait autrefois en traîne hauturière un thon rouge pour dix germons ; maintenant on prend à peine un germon tous les vingt thons rouges. Le fait que malgré l’arrêt de la pêche commercial­e le germon ne soit pas revenu, s’explique peut-être par un changement de comporteme­nt de ces poissons lié au trafic maritime ou à la températur­e de l’eau. Il est possible que les germons se cantonnent maintenant à des profondeur­s où ils restent inaccessib­les, au large de nos côtes azuréennes. Depuis quelques saisons toutefois, les captures de germons semblent se faire plus régulières, avec l’espoir de revoir ce petit thon énergique et coloré attaquer jet siffleurs et rapalas. Un poisson à relâcher sans modération, dans l’espoir de les voir revenir plus souvent. n

« Le germon est un poisson magnifique, aux couleurs changeante­s, avec une incroyable ligne bleu électrique sur le dos. Comme tous les thons, il ne peut s’arrêter de nager, même en dormant. »

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On distingue le germon par ses longues pectorales (d’où son surnom d’aile-longue), ses ouïes de grande taille (d’où son surnom de longue-oreille), et, bien sûr, sa chair fine et de couleur claire (d’où l’appellatio­n de thon blanc).

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