Pedale!

COLLÉS AUX BASQUES

- PAR LÉO RUIZ ET VINCENT BERTHE, À ARRATE ET IBARDIN (ESPAGNE) / PHOTOS: VINCENT BERTHE

Le 18 juillet prochain, lors de la 16e étape du Tour de France, qui passera par l’Aubisque, le Tourmalet, Aspin et Peyresourd­e, on ne devrait voir qu’eux: les supporters basques d’Euskaltel Euskadi, leurs maillots orange, leurs caravanes et leurs packs de bière. En attendant l’événement, les fans de l’équipe de Samuel Sanchez, réputés pour être les plus fous du vélo, se sont offert une répétition générale début avril. Chez eux, à l’occasion du Tour du Pays basque. Reportage, entre trombes d’eau et revendicat­ions régionalis­tes.

Ils sont assis là, au coin pique-nique du col d’Arrate. Casquettes Carrefour à pois rouges, t-shirts orange, plus quatre packs de Pilsen et le Marca du jour. Ander, Jon, Aitor, Joseba et Inigo sont venus de Bilbao. Tous sont étudiants, sauf Joseba, chômeur. C’est lui qui parle: “J’étais chez moi quand les gars m’ont appelé: ‘Viens, on va voir le Tour.’ Je n’avais rien à faire, alors j’ai sauté dans la voiture.” Avant de prendre le volant, Joseba et ses amis ont pris soin de glisser dans les bagages un drapeau Independen­tzia. Qui trône désormais devant eux, sous la pluie, posé sur le pare-brise de la caisse. On est le 4 avril, troisième étape du Tour du Pays basque. Encore un peu de patience, et “les gars” verront Samuel Sanchez, le héros local, débouler pour gagner l’étape et s’emparer du maillot jaune de leader au bout de trois heures et cinquante huit minutes de déluge et de moyenne montagne. Une victoire au rabais? Pas tant que ça: le plateau propose quand même des coureurs de la trempe de Joaquim Rodriguez, Damiano Cunego ou Frank Schleck, et des champions aussi légendaire­s que Jacques Anquetil ou Gino Bartali comptent le titre à leur palmarès. Surtout, la Vuelta al Pais Vasco, comme elle se présente en VO, est plus qu’une course: une rencontre entre l’équipe de la région, Euskaltel-Euskadi, et son peuple. Alors que, contexte économique oblige, l’épreuve a failli ne pas pouvoir se monter cette année, ce sont les supporters qui ont redressé la barre. “La crise est partout. Les organisate­urs ont ouvert un compte en appelant tous les Basques à déposer un euro pour que la course puisse avoir lieu. Moi, j’en ai mis cinq”, se félicite Aritz, le drapeau basque sur les épaules. Saisi la veille à la

“Il y a deux ans, au Tourmalet, Sastre avait eu un problème technique, cet enfoiré avait fait arrêter le peloton. Quand il est passé, on l’a tous insulté. À l’arrivée, il a dit que c’était la pire étape de sa vie”

Inigo, supporter d’Euskaltel Euskadi, calé dans sa chaise pliante

sortie de son pullman, Gorka Gerrikagoi­tia, directeur sportif d’Euskaltel, ne s’y était pas trompé non plus: “Ici, on court à domicile.

Alors on vient avec la meilleure équipe possible pour obtenir le meilleur résultat possible. On le doit à nos fans. D’habitude, sur les routes, les gens encouragen­t un coureur en particulie­r. Au Pays basque, c’est différent. Ils supportent avant tout une équipe, et c’est Euskaltel-Euskadi.”

“Nous les Basques, on est les plus chauds”

Arrate toujours, mais un peu plus haut. Depuis midi, les voitures et les campingcar­s s’accumulent entre forêts de sapins et pâturages à la recherche d’une place proche du sommet, fixé à 550 mètres d’altitude.

Aitor, la vingtaine, a fait comme les grands: il est monté à vélo. Ensemble Euskaltel-Euskadi sur le dos, casquette à pois sur le crâne, il n’a pas hésité à grimper des pentes à 10 % pour en être. “Arrate, c’est notre Tourmalet”, dit-il. Pour être plus précis: Arrate est, pour les supporters de l’équipe basque comme pour ses coureurs, le meilleur échauffeme­nt possible en vue des grands cols Pyrénéens. Tous les mois de juillet ou presque, c’est làbas, dans ces montagnes mythiques, que se situe le vrai pic de la saison. “Moi ça fait vingtneuf ans que je vais au Tour de France. L’année dernière, à Luz Ardiden, on était 300 000. Il y avait de tout, mais c’est les Basques qu’on voyait partout”, expose Miguel Angel, un vieux qui a fait le déplacemen­t depuis sa maison, située à… 50 mètres de la route. Plus loin, Iraitz confirme, entre chips, chorizo et cidre local: “Sur le Tour de France, on entend plus parler l’euskara (la langue basque, ndlr) que l’espagnol. Plus qu’ici encore! D’ailleurs, depuis plusieurs années, l’organisati­on du Tour s’arrange pour mettre les étapes pyrénéenne­s en semaine. Le mardi et le mercredi par exemple. Le week-end, ça serait ingérable, il y aurait trop de monde. ” Trop de monde, et peut-être trop de bordel. Car il faut bien le dire: ces dernières décennies, chaque fois que Patrick Chêne, Henri Sannier, Christian Prudhomme, Christophe Josse ou Thierry Adam se sont exclamés: “Au nom du sport, arrêtez de courir à côté des coureurs! Respectez les athlètes!”, c’était certes des mecs déguisés comme s’ils allaient à un concert de Marcel et son Orchestre et des types avinés depuis huit heures du matin qu’ils

“D’habitude, sur les routes, les gens encouragen­t un coureur en particulie­r. Au Pays basque, c’est différent. Ils supportent avant tout une équipe, et c’est Euskaltel-Euskadi”

Gorka Gerrikagoi­tia, directeur sportif d’Euskaltel Euskadi

visaient, mais le plus souvent, il s’agissait des supporters d’Euskaltel Euskadi. “Nous les Basques, on est les plus chauds, c’est clair”, se vante d’ailleurs Gorka, au milieu des packs de Pilsen éventrés. Pas pour rien que du temps de sa splendeur, Lance Armstrong avait fait installer un dispositif de gardes du corps lors des étapes dites à risque, au motif qu’il trouvait les supporters d’Euskaltel “agressifs”. “Il y a deux ans, au Tourmalet, Sastre avait eu un problème technique, cet enfoiré avait fait arrêter le peloton. Quand il est passé, on l’a tous insulté. À l’arrivée, il a dit que c’était la pire étape de sa vie”, se marre Inigo, calé dans sa chaise pliante. Sauf qu’en vérité, le supporter basque n’est pas vraiment un hooligan. C’est simplement un passionné qui va à la montagne comme d’autres vont au stade: avec en tête l’idée de faire le con. Voilà pourquoi ils boivent l’apéritif de l’aube au crépuscule, aspergent de flotte les coureurs en plein effort, et s’épuisent à tenter de les suivre sur quelques hectomètre­s. “Attends, on n’est pas méchants. On respecte et on encourage tout le monde. Jens Voigt, quand il a gagné pour la première fois ici, a dit que c’était sa plus belle victoire. Rien que pour l’ambiance”, prétend de son côté Gorka.

Purée de pois et pin’s de l’Athletic Bilbao

Autre jour, autre étape, autre décor. Après Arrate, la course passe aujourd’hui par Ibardin. Situé dans le royaume de Navarre, à 430 mètres d’altitude, ce col sépare le Pays basque espagnol du Pays basque français. Squat à touristes cocoricos en quête de tabac et d’alcool pas cher et d’une jolie vue sur la mer, le lieu a des airs de station de ski. La montagne, les commerces déguisés en chalet, la purée de pois. Ne manquent que la neige et les tire-culs. Comme la veille, la météo tient davantage de la classique flandrienn­e que de l’étape de grand tour. Et pourtant, ils sont encore des milliers entassés sur les deux derniers kilomètres. L’excitation monte. Le degré d’alcoolémie aussi. La Guardia Civil est dépassée. “Ne traversez pas la route putain!”, hurle un flic. “La ferme!”, répondent les spectateur­s. À chaque véhicule de la police qui passe, les drapeaux basques et indépendan­tistes sont brandis. “Euskaltel, c’est aussi un sujet politique. Regardez tous ces drapeaux. Que l’on soit indépendan­tiste, autonomist­e ou en faveur d’une autonomie élargie, c’est notre équipe à tous”, assure Jamon devant son Combi Volkswagen. Jamon est venu d’Onati, la ville d’arrivée de l’étape du lendemain, avec madame, ses deux rejetons et les tontons. “Il y a toujours eu du monde sur les routes ici. Mais depuis qu’on a Euskaltel (l’équipe a été créée en 1994 et a rejoint le Pro Tour en 2005), il y a quelque chose en plus”, admet-il. Un peu plus haut dans la station, deux couples de vieux se placent pour ne rien rater. Originaire­s de Bilbao, ils assistent à toutes les étapes de leur Tour. “Euskaltel, c’est un sentiment unique. C’est un peu comme si c’était nous qui courions. Les cyclistes sont comme nos enfants”, explique Isabel, maillot orange sous le pull et pin’s de l’Athletic Bilbao dessus.

L’Athletic, une référence tout sauf innocente. Comme le club basque en football, Euskaltel défend en effet une politique unique dans le monde du cyclisme: l’effectif de l’équipe est basque à 100 %. “Nous sommes tous d’ici. Et il y a une longue histoire derrière tout cela”, témoigne Samuel Sanchez, le leader des Orange. À l’origine de l’équipe, on retrouve la

Fundacion ciclista de Euskadi, née en 1993, que tous appellent ici la “Fondation”. Un véritable organe de contrôle largement politisé, par qui passe tout ce qui concerne le cyclisme local et qui, parallèlem­ent à ses activités sportives, cherche à popularise­r l’euskara, la langue basque, dans toute la région. En son sein, pas une, mais trois équipes cyclistes.

Les jeunes coureurs prometteur­s du coin rejoignent Naturgas Energia, l’équipe amateur. Les meilleurs d’entre eux passent ensuite chez Orbea, équipe continenta­le. Puis la crème d’Orbea rejoint à son tour l’équipe pro, Euskaltel. Dans un premier temps, la “Fondation” finançait tout cela grâce aux cotisation­s et aux dons des socios, ainsi qu’aux investisse­ments des petits sponsors locaux. Jusqu’à ce qu’en 1997, Euskaltel, l’opérateur téléphoniq­ue basque, casse sa tirelire et devienne le sponsor de l’équipe pro, qui porte depuis son nom. “La philosophi­e de cette équipe, depuis qu’elle est née, est spéciale. Nous sommes un pays très petit, donc pouvoir avoir une équipe au plus haut niveau, c’est très fort”, se gargarise Gorka Gerrikagoi­tia, le directeur sportif. Écharpe bleue et blanche de la Real Sociedad enroulée autour du coup, un spectateur s’emballe: “Dans le foot, on a Bilbao et la Real. Ça nous divise. Mais dans le vélo, on est tous unis, tous derrière Euskaltel.”

7 millions d’euros et deux bouteilles de rouge

Certes, mais pour combien de temps encore? Accoudé à sa bagnole immatricul­ée 64, Jean-Claude Aguer, coprésiden­t du Fan Club d’Euskaltel sur le territoire français, explique que son rôle consiste, outre le fait d’étendre la passion pour l’équipe de son côté des Pyrénées et de détecter des jeunes coureurs, à “trouver des investisse­urs français qui souhaitera­ient mettre de l’argent dans la Fondation”. Plus petit budget du World Tour, Euskaltel Euskadi dispose de 7 petits millions d’euros par an pour vivre –dont la moitié est apportée par l’opérateur téléphoniq­ue–, soit deux à trois fois moins que d’autres équipes du circuit. “On a une bonne équipe, mais ça reste la lutte de David contre Goliath, rappelle Samuel Sanchez. Et on ne sait toujours pas si l’équipe continuera la saison prochaine.” Aux dernières nouvelles, le groupe Euskaltel souhaitera­it en effet sortir l’équipe de la “Fondation”, multiplier sa mise par trois, et s’ouvrir aux non-Basques. Une perspectiv­e qui n’enchante pas le peuple orange, et met en colère Jamon: “Au premier étranger qui signe, qu’il soit espagnol, français ou sénégalais, je m’en fous, l’orange ne sera plus ma couleur.” Cette année, Jamon a quand même pu savourer les deux bouteilles de rouge qu’il avait placées dans le coffre de son Volkswagen. En remportant le 7 avril la sixième et dernière étape du Tour du Pays basque, Samuel Sanchez est devenu le deuxième coureur d’Euskaltel à remporter l’épreuve, après Iban Mayo en 2003. Ça valait bien le coup de passer une semaine sous la pluie.

“Au premier étranger qui signe, qu’il soit espagnol, français ou sénégalais, je m’en fous, l’orange ne sera plus ma couleur”

Jamon, supporter d’Euskaltel Euskadi

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Le MoDem tente de se remettre en selle?
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Feront moins les malins quand la vachette va leur rentrer dans la gueule...
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Samuel Sanchez
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