Pedale!

FORTS DE CAFÉ

- PAR PIERRE BOISSON ET BRIEUX FÉROT / PHOTOS: MARCA ET DPPI

Révolution dans le peloton. Au milieu des années 80, Café de Colombia, une équipe venue du pays des narcos et de la cumbia, débarque sur le Tour de France avec des grimpeurs montés sur ressorts, une tactique pour le moins iconoclast­e et un ennemi intime, Laurent Fignon. Retour sur la première grande épopée “non européenne” du cyclisme, entre coups bas, lignes blanches et vida loca.

9 juillet 1985. L’asphalte ramollit à vue d’oeil entre Pontarlier et la station de Morzine-Avoriaz. Bernard Hinault décide alors d’attaquer. Tranquille­ment. “À cette époque, l’Européen commençait l’étape très tranquille­ment, il grimpait tranquille­ment et il descendait aussi tranquille­ment. Mais nous, on n’écoutait pas.” L’homme qui parle ainsi se nomme José Raul Mesa. À l’époque, il est le manager de l’équipe colombienn­e Café de Colombia. Pendant que le Blaireau gère sa montée, Mesa envoie ses hommes, des grimpeurs-colibris de cinquante kilos, à l’offensive. Ce n’est rien de dire que les Sud-Américains font exploser le peloton. “Les Italiens gueulaient ‘Colombiano, Colombiano, piano, tranquillo!’”, se souvient Mesa. À trois cents mètres de la ligne, après 195 bornes courues à 36 km/h, et alors qu’il vient de changer une énième fois de vitesse, Hinault voit passer devant lui un avion habité, fesses sur la selle et bouche fermée. C’est Lucho Herrera, le leader de ceux qu’on appelle alors les scarabées. Lorsqu’il passe la ligne en levant les bras, un cri déchire les cabines de commentate­urs: “Lucho Herrera, Herrera, Herrera, Colombia, Colombiaaa­a.” Le lendemain, au bout d’un Morzine - Lans-enVercors long de 269 kilomètres, Herrera, une nouvelle fois ultradomin­ateur, offre l’étape à son coéquipier et compatriot­e Fabio Parra. Les deux hommes finiront septième et huitième à Paris, non sans que Lucho en claque une autre au passage, à Saint-Étienne, en franchissa­nt la ligne d’arrivée en sang après s’être vautré dans la descente. Face à cette invasion de coureurs colombiens à la “tactique peu usuelle”, comme se gausse Le Figaro, l’Europe est sous le choc. Laurent Fignon, qu’Herrera avait déjà traumatisé dans les Pyrénées l’année précédente, laisse éclater sa joie: “On va leur faire la peau.”

Voitures Simca contre Café de Colombie

Si l’homme à la queue de cheval avait un peu plus voyagé, il aurait peut-être compris que le monde du vélo devait s’ouvrir, avec des Colombiens ou avec d’autres: ce n’était qu’une question de temps. De fait, en Colombie, la bicyclette n’a rien d’exotique. Chaque dimanche, le centre-ville de Bogota, immense, est fermé pour laisser les cyclistes se dérouiller les jambes. Mieux: depuis 1951, le Tour de Colombie draine les foules sur le bord des routes, tout comme le Clasico RCN, créé dix ans plus tard. “Il y avait un engouement populaire exceptionn­el autour de cette course, largement supérieur à celui qu’il y a en France autour du Tour de France”, se souvient Marc Madiot, qui disputa l’épreuve en 1983. Dès les années 70, RCN, la radio nationale, commente également la Vuelta, le Giro et le Tour de France en direct. Le président de la République, Belisario Betancur, se fait même réveiller chaque jour à 4 h 30 du matin pour écouter le Tour de France à la radio. L’opposition réplique en proposant une loi constituti­onnelle pour faire du cyclisme le sport national.

C’est donc logiquemen­t qu’en 1980, la Colombie envoie sur le Tour de l’Avenir une équipe qui écrase l’épreuve sous la roue d’Alfonso Florez (1). Trois ans plus tard, elle inscrit pour la première fois au Tour de France une équipe amateur dirigée par Luis Ocana et parrainée par la marque de piles Varta. Aucune étape dans l’escarcelle, mais Patrocinio Jimenez termine deuxième

“Quand les Colombiens sont arrivés, tout le monde nous a dit qu’ils allaient nous mettre une plumée en montagne. Alors on les a testés pour voir ce qu’ils valaient. On s’est occupé de leur cas”

Bernard Hinault

“Si vous voulez de la coke en Colombie, vous la payez comme chez nous on achète des légumes. Un soir on a été manger chez un mécano. Après le potage, ils étaient très bien. Dans la soupe, eux, ils mettent de la poudre comme nous on met du poivre”

Cyrille Guimard, ancien directeur sportif de Laurent Fignon, ennemi n° 1 des Colombiens

du classement final de la montagne. C’est alors que Café de Colombia, fédération de 300 000 torréfacte­urs créée en 1927, flaire le bon coup et se faufile dans la brèche ouverte en 1975 par le businessma­n franco-soviétique Alexandre Nuguemau, lequel avait monté un juteux échange “voitures Simca contre café”. Si l’arabica colombien cartonne alors aux États-Unis, les Européens, eux, ne tournent en effet encore qu’au robusta africain. Philippe Juglar, homme d’affaires qui rachète en 1984 la SACA, l’entreprise qui représente les intérêt de Café de Colombia en France, convertit l’équipe cycliste en opération marketing: il fait servir des tasses dans les villages de départ et d’arrivée, et se démerde pour que la caravane en distribue elle aussi le long de la route. Le café est bon et chaud, les filles plus encore: “Je faisais des animations fabuleuses avec des étudiantes colombienn­es. J’avais une fille absolument ravissante, Viviana, à qui Greg LeMond apportait son bouquet tous les soirs.”

Le coup des filles est bien vu, mais insuffisan­t. En Europe, les Colombiens n’énervent en effet pas la concurrenc­e seulement par leurs résultats. Leur mode de vie, lui aussi, est iconoclast­e. En course, les scarabées collection­nent les amendes pour être allés nerveux et fébriles pisser dans un buisson, resquillen­t des autographe­s à Bernard Hinault à l’arrivée, et passent leur temps, jusqu’à deux heures du matin, à répondre au téléphone aux journalist­es restés au pays. Cochise Rodriguez, le chercheur d’or qui, en 1983, avait conduit les amateurs sur le Tour pour la toute première fois, tente tant bien que mal de faire régner l’ordre dans l’équipe. En vain. “L’Europe était très différente de ce que pouvait être l’Amérique du Sud à l’époque. Il y avait une discipline stricte. En Colombie, si tu as rendez-vous à trois heures de l’après-midi, tu arrives une heure après.” Sans compter un autre problème majeur: les femmes. “Sur le Giro, j’ai surpris un coureur en train de faire un Roméo et Juliette dans la chambre de l’hôtel, ça m’a déplu, je l’ai renvoyé en Colombie”, continue Cochise. L’un des seuls coureurs non-colombien de Café de Colombia, le français Robert Forest, n’en est toujours pas revenu: “Eux, c’est simple, ils vivaient leur vie à 500 à l’heure, au rythme de la salsa, avec le walkman. Je ne comprenais pas comment ils faisaient: quand tu te tapes trois cols par jour, tu n’as pas envie de tirer un coup, tu ne peux même pas te branler. Mais voilà: Café de Colombia, c’était bonheur, plaisir et jouissance.” La diététique est à l’avenant: nourriture grasse, très grasse, constituée le plus souvent de poulet frit, accompagné d’“énormément de pain”, dixit Raphaël Géminiani, qui sera leur directeur sportif en 1986, et de “tonnes de Coca-Cola.” Autre coutume: demander des haricots rouges dès qu’on leur propose de

la salade. Il faut dire que la seule fois où les Colombiens avaient accepté de la verdure, lors du Tour 83, la moitié de l’équipe était tombée malade. Saloperie de turista.

Où les “coureurs casse-gueule” découvrent l’Europe

Quant à la stratégie de course… “C’était des grimpeurs mais ils ne savaient pas vraiment faire du vélo, résume Marc Madiot. Ils étaient souvent par terre, et assez dangereux aussi, fallait être méfiant quand ils étaient dans les parages. Et puis il leur manquait du fond. Ils avaient des lacunes techniques pour évoluer en pro, notamment sur le plat.” Géminiani abonde: “Ils ne savaient pas lutter contre le vent, avaient peur des bordures et des descentes sous la pluie.” Le peloton affuble alors les Colombiens d’un surnom: les “coureurs casse-gueule.” “Les étapes étaient dures, surtout dans la plaine, les Européens étaient beaucoup trop rapides”, grimace encore Fabio Parra au souvenir des ronds-points et des routes mouillées du nord de l’Hexagone. “Tu ne peux pas demander à des mecs de quarante kilos de rouler à cinquante à l’heure en Belgique avec vent de face, excuse Robert Forest. Un jour, on est allé au Tour de l’Oise, il y en avait cinq ou six par terre dès le deuxième jour.” La taille des pelotons européens –environ 200 sur le Tour contre 90 en Colombie– n’arrange pas non plus les cafeteros. “Au milieu de tous ces coureurs, ils étaient sur les freins, et puis il y avait des à-coups. Là-bas, ça roulait au train, ici, à la moindre accélérati­on, j’avais des gars qui passaient par la fenêtre.” À défaut de stratégie de course, une règle est adoptée: limiter la casse dans le plat et être dominateur dans la montagne. Sauf que pour dominer, il faut sentir les cuisses se durcir. Pas vraiment dans l’esprit local: “Les entraîneme­nts étaient très courts et non violents, c’était vraiment du cyclotouri­sme, ils auraient dû se faire bien plus mal que ça, précise Géminiani. ‘Touchez pas à nos habitudes’, qu’ils disaient… C’est pour ça que je suis parti au bout d’un an.” Lorsque certains coureurs acceptent de faire des concession­s, tel Herrera, qui ira plaider pour que son équipe embauche des rouleurs européens, la Fédération colombienn­e fait la sourde oreille. Exemple avec le contrela-montre par équipe du Tour 86: “Je leur avais dit que ce serait dur, qu’il fallait le préparer, détaille Géminiani. Ils m’ont dit ‘Oui, oui, oui, on va venir une semaine avant et on va s’entraîner sérieuseme­nt, faire de bons relais, reconnaîtr­e le parcours, formidable, formidable.’ Tu parles, ouais…” Quarantehu­it heures avant le départ du Tour, les Colombiens préfèrent participer à un championna­t national, chez eux, à huit mille kilomètres de la France. “Résultat, on a perdu

“Je faisais des animations fabuleuses avec des étudiantes colombienn­es. J’avais une fille absolument ravissante, Viviana, à qui Greg LeMond apportait son bouquet tous les soirs”

Philippe Juglar, homme d’affaires qui racheta en 1984 l’entreprise qui représenta­it les intérêts de Café de Colombia en France

quatre bonhommes dans le contre-la-montre. Les coureurs voulaient s’améliorer et me donnaient raison quand on était ensemble mais dès qu’ils me tournaient le dos, la Fédération reprenait ses habitudes. Je leur écrivais la musique mais ils ne la jouaient pas. Le président Bermudez était une tête de mule, il s’était mis dans le crâne que ce n’était pas aux Colombiens de venir en Europe mais aux Européens de venir en Colombie.”

Toujours entre eux, les coureurs s’intéressen­t assez peu à la vie du peloton. La faute à leurs interminab­les coups de téléphone au pays mais également à un homme légèrement ethno-centré: Laurent Fignon, qui hérite à l’époque de l’équipe Renault, et par conséquent des rênes du peloton. “Je ne sais pas pourquoi, mais il n’aimait pas les Colombiens, on n’a jamais vraiment su quel était son problème, soliloque Rafael Nino, successeur de Géminiani.

Il nous attaquait toujours dans les moments difficiles, quand on tombait.” Herrera se souvient ainsi d’un démarrage de Fignon alors qu’il pissait en bord de route. Un autre jour, à la question d’un journalist­e espagnol sur la possibilit­é que les coureurs colombiens gagnent un jour le Tour,

Fignon répond: “Pour cela, il faudrait qu’ils changent de race.” Jean-René Bernaudeau est aux premières loges du conflit: “Laurent avait son franc-parler donc il les a tout de suite critiqués parce qu’ils ne prenaient jamais leurs responsabi­lités, car ça coûte cher en énergie quand tu dois contrôler le peloton.” Sauf que la petite entreprise de sape du Français est plus pathologiq­ue. Bien plus tard, dans son autobiogra­phie, il accusera les Colombiens de lui avoir acheté la Vuelta 87 pour 30 000 francs. Sans préciser que pour acheter, il faut un vendeur… Cyrille Guimard, alors directeur sportif de Fignon, se souvient de l’épisode. Mais en livre une autre version: “En 1987, c’est vrai qu’ils sont venus nous voir car ils avaient peur des bordures. On leur a dit de ne pas s’inquiéter, qu’on n’allait pas attaquer mais on n’a pas pris d’argent, hein, même si eux nous ont dit être prêts à payer. Il y avait donc un manque de culture, même à ce niveau-là. Il y a des arrangemen­ts, mais ça ne se fait pas comme ça…” Pour Robert Forest, les raisons de la colère sont plus prosaïques: “Fignon, il n’était pas content que les coureurs soient meilleurs que lui dans les cols, il était jaloux parce qu’il n’était pas capable, c’est tout.” Le double vainqueur du Tour n’est d’ailleurs pas le seul à subir les conséquenc­es de la tactique de terre brûlée pratiquée par les coéquipier­s de Herrera. Bernaudeau, par exemple, perd un Midi-Libre pour avoir espéré en vain un coup de main de la part des scarabées pour revenir sur une échappée menaçant leurs intérêts conjoints. Hinault, de son côté, a aussi maille à partir avec les nouveaux venus. “C’est le Blaireau qui a le plus souffert des Colombiens, confie Guimard. Ils lui font quand même perdre un Tour en 1986: s’ils ne roulent pas, LeMond ne gagne jamais à Paris.” Hinault, lui, a la mémoire sélective: “Quand les Colombiens sont arrivés, tout le monde nous avait dit qu’ils allaient nous mettre une plumée en montagne. On ne les connaissai­t pas trop, alors on les a testés pour voir ce qu’ils valaient. On s’est occupé de leur cas.” Sans rappeler que, lors du Dauphiné 84, quatre Colombiens avaient très bien su l’isoler avant de le braquer dans le dernier col. “Durcir la course en montagne et élimer le peloton pour qu’il n’y ait pas 150 personnes mais 25 ou 30 personnes maximum comme nous le faisions, ce n’était pas de l’ignorance, mais notre tactique”, explique Mesa.

Le nez dans la blanche, “pour voir”

Si les Colombiens sont regardés de travers, ce n’est donc finalement pas tellement parce qu’ils courent bizarremen­t, mais surtout parce que ce sont des pionniers,

la première nation à pénétrer un cyclisme endogame. Dans l’imaginaire collectif du cyclisme d’alors, les Français font le Tour, les Italiens le Giro, les Espagnols la Vuelta et les Belges gagnent les classiques. La création en 1986 par José Raul Mesa d’une deuxième équipe colombienn­e, Postobon, du nom d’une marque de boissons gazeuses, n’y changera rien: les Colombiens sont seuls contre le reste du monde du vélo, tant les coureurs que certains organisate­urs. Vexés par la victoire d’Herrera dans la Vuelta 87, les Espagnols proposent ainsi une édition 1988 pauvre en reliefs et en cols. “Ce sont peut-être les Colombiens qui ont été les précurseur­s de l’ouverture du vélo européen au monde, analyse aujourd’hui Bernaudeau. C’était le premier soubresaut de la mondialisa­tion, la première nation exotique, avec des grimpeurs hors pair. Bogota, l’altitude, le grand fantasme des globules rouges: tout ça était nouveau.”

C’est très précisémen­t pour percer ce fantasme que Laurent Fignon décide de mener lui-même l’enquête. Dès 1984, il vient parader avec l’équipe Renault au Clasico RCN. Pas tellement pour gagner. Mais pour vérifier la rumeur Coke en stock.

À l’époque, les Colombiens sont en effet connus pour grignoter “des espèces de gros blocs de sucre noir, avec de la cola (sic) dedans”, explique Bernaudeau, qui trouvait cela “très mystérieux”. En fait, il s’agit de panela, sorte de mélasse qui se boulotte dans la moitié de l’Amérique du Sud. Et c’est tout? Pas selon Fignon: “Tous, vraiment tous, marchaient à la cocaïne”, dira-t-il, avant d’expliquer, évasif, que les Colombiens faisaient de la pub pour leur coke pendant la course. Guimard abonde: “Si vous voulez de la coke là-bas, vous la payez comme on achète des légumes chez nous. Un soir on a été manger chez un mécano. Après le potage, ils étaient très bien. Dans la soupe, eux, ils mettent de la poudre comme nous on met du poivre.” Sur place, l’équipe Renault décide de vérifier par elle-même: en guise de préparatio­n, ses propres coureurs sniffent de la blanche, “pour voir”, mais en prennent trop. Fignon, surexcité, ne dort pas de la nuit et erre dans le bar de l’hôtel avant de gagner l’étape du lendemain. “Les contrôleur­s étaient forcément dans le coup. J’y suis allé un peu inquiet, mais rassuré par mon implacable raisonneme­nt. Et comme prévu, je n’ai jamais eu de mauvaise surprise concernant ce contrôle. Blanc comme neige”, explique-t-il dans sa biographie. Mais les révisionni­stes sont partout. “De la coke? Alors ça, c’est la plus grosse connerie que j’aie jamais entendue alors que je suis resté un an là-bas, témoigne le volubile Géminiani. Je m’étais même déguisé en Européen (sic) à Medellin et étais sorti toute la nuit pour voir si on allait me sauter dessus pour m’en proposer. Eh bien, il n’y avait pas plus de cocaïne que d’or en broche. Le Colombien ne buvait que

“Les Colombiens ont été des précurseur­s. C’était le premier soubresaut de la mondialisa­tion, la première nation exotique, avec des grimpeurs hors pair. Bogota, l’altitude, le grand fantasme des globules rouges: tout ça était nouveau”

Jean-René Bernaudeau, coureur à l’époque des Colombiens

du Coca et de l’eau. De toute façon, ce n’étaient pas des combattant­s, donc ils ne prenaient pas de cocaïne, ils la produisaie­nt pour la vendre aux Américains et Européens, comme les Talibans et l’opium, ou le Maroc avec le cannabis…”

“Je me disais qu’ils allaient mourir”

Fignon achève finalement ce Clasico RCN derrière Herrera, qui remporte l’épreuve pour la troisième fois consécutiv­e. “Le petit jardinier”, amoureux des fleurs, des films de Bud Spencer et de Chuck Norris, restera comme le grand coureur de l’équipe colombienn­e. “Pour moi, il était dans les trois meilleurs grimpeurs de l’histoire, avec Charly

Gaul et Fausto Coppi: beau à voir grimper, il pédalait sans forcer et faisait une différence terrible tout en étant aérien, léger”, témoigne Géminiani, qui fut aussi le directeur sportif de Jacques Anquetil. Meilleur grimpeur des trois grands Tours, le leader de Café de Colombia sera sollicité par de nombreuses équipes européenne­s. Mais il refusera toutes les offres, même les plus alléchante­s. “À l’époque de LeMond, La Vie Claire voulait prendre Lucho, explique Mesa. Herrera gagnait déjà beaucoup d’argent avec Café de Colombia, mais il ne voulait pas partir: ce n’était pas la même chose de venir de Colombie pour faire une course que de vivre en Europe.” Il faut dire qu’entre les deux contrées, le fossé culturel était sans doute trop grand. En Colombie, Herrera habite alors le petit patelin de Fusagasuga, où il a monté un hôtel. Il vit avec son frère, sorte de garde du corps armé en permanence jusqu’aux dents et qui le suit en 4 x 4 lors de ses sorties pour le protéger des Farc. “Là-bas, ça ne rigolait pas, ils te chopaient, ils te pendaient comme un singe. Moi, je ne faisais pas le con, je mangeais, je buvais, je me taisais. Mais j’entendais des singes crier dans les vallées, explique Forest, qui n’a toujours pas compris, vingt-cinq ans plus tard, le rythme de ses anciens équipiers. Je me disais qu’ils allaient mourir, des robots.” Finalement, l’équipe décédera en 1990, après une fusion avortée avec l’équipe espagnole Kelme et un budget en chute libre dû à la baisse des prix mondiaux du café. Après avoir diminué son salaire, Herrera signe en 1991 chez Postobon. La fin d’une époque pour le cyclisme colombien: l’année suivante, l’ancien condor de Café de Colombia abandonne lors de la douzième étape du Tour et délaisse le vélo pour les cuisses de Judith Xiques. Malgré Botero, malgré Soler, jamais plus le vélo made in Bogota ne retrouvera un aussi beau coureur. Pire encore: en 2008, les vendeurs de café perdent leur hégémonie sur le Clasico RCN, au profit de l’Espagnol Oscar Sevilla, qui devient le premier coureur non-colombien à remporter l’épreuve. À l’heure des bilans, Fabio Parra fait aujourd’hui les questions et les réponses: “Pourquoi on n’a pas gagné le Tour? Parce qu’ils ne nous ont pas laissés gagner!” Et parce qu’au fond, ils n’étaient peut-être pas là pour ça.

(1) Alfonso Florez est mort assassiné en 1992 par deux hommes à moto alors qu’il se trouvait dans sa voiture. Il avait 40 ans. La Colombie, gringo.

“Là-bas en Colombie, ça ne rigolait pas: ils te chopaient, ils te pendaient comme un singe. Moi, je ne faisais pas le con, je mangeais, je buvais, je me taisais. Mais j’entendais des singes crier dans les vallées”

Robert Forest, seul coureur français de l’équipe

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 ?? ?? Beaucoup trop de coke en Colombie
Beaucoup trop de coke en Colombie
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 ?? ?? 24 juillet 1988, arrivée du Tour de France: Steven Rooks, Pedro Delgado, et le colombien Fabio Parra, avec le maillot de la Kelme. L’ancien coureur de Café de Colombia aura dû changer d’équipe pour monter sur le podium.
24 juillet 1988, arrivée du Tour de France: Steven Rooks, Pedro Delgado, et le colombien Fabio Parra, avec le maillot de la Kelme. L’ancien coureur de Café de Colombia aura dû changer d’équipe pour monter sur le podium.
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Lucho Herrera sur le Tour d’Espagne en 1987
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