Pedale!

‘Ma! Un Sarde!’

-

Les consonnes sont doublées voire triplées, la syllabatio­n très marquée et les interjecti­ons distinctiv­es. À l’entendre, on s’imagine sirotant un verre de mirto avec un de ces bergers aux cheveux de charbon. L’accent sarde est un des plus appréciés de la Botte mais aussi un des moins courants au sein du peloton italien, puisque Fabio Aru n’était jamais que le septième représenta­nt de son île à disputer un Giro à ses débuts en 2013. Avant lui, il y eut les pionniers Uccheddu et Laconi dans les années 1930, Manca, Bratzu et Garau le gregario de Federico Bahamontes dans les sixties, Murtas en 1997 et, plus récemment, le sprinteur Loddo. En Italie, la petite reine est une histoire de septentrio­naux, rarement de méridionau­x, encore moins d’insulaires. Après cinquante-deux ans à jouer de la rustine dont seize en tant que coureur, Antonio Camboni s’est forgé sa petite idée sur la question. “Nous payons notre insularité, ça coûte les yeux de la tête de voyager en avion ou en bateau pour participer aux courses, autrement la Sardaigne aurait de quoi rivaliser. J’ai couru avec Pierino Baffi chez les amateurs, un fidèle de Fiorenzo Magni, il me disait toujours: ‘Vous les Sardes, vous pouvez mieux réussir que les continenta­ux, vous avez une grinta largement supérieure à la moyenne.’” Quand le petit Fabio enfourche son BMX, il ne s’imagine pas dans la peau du grand coureur sarde de demain. Son coeur balance encore entre le tennis et le foot. “J’étais notamment un piètre avant-centre et un grand fan de Nadal. Je me suis mis au vélo sur le tard à 15 ans, et j’ai regardé mon premier Giro en 2005.” Onze ans plus tard, l’amoureux tardif aborde son premier Tour de France dans la peau d’un candidat au podium. Mais pas encore une star. Une fois descendu de son vélo, le garçon de bientôt 26 ans redevient un monsieur tout-le-monde avec ses petits tracas du quotidien. Ce jour-là, il ne trouve pas de francs suisses à insérer dans le parcmètre de Chiasso, ville voisine de Lugano où il a emménagé l’an dernier. Polo passe-partout, sacoche en bandoulièr­e et tignasse épaisse, il replante le décor de sa jeunesse sarde. “Villacidro est au sud-ouest de l’île: 15 000 habitants, 300 mètres d’altitude. Il n’y a pas beaucoup de plaine, que des collines, un terrain idéal pour se faire les jambes.” L’adolescent a attrapé le virus du vélo à force d’accompagne­r son père Alessandro sur ces routes escarpées, et demande à être inscrit à la Piscina Irgas, le club de sa ville. Lors de ces sorties, il croise Giancarlo Saiu, graine de champion de cyclocross qui n’arrive pas à le décoller de sa roue. Étonné, le papa de ce dernier passe alors un coup de fil à Antonio Camboni. Le dirigeant repasse le film de leur rencontre. “Il y avait une course à Guspini, on m’a présenté Fabio qui possédait un VTT tout rouillé. Giancarlo lui a prêté le sien, trois coups de pédale ont suffi, c’était un talent pur qu’il fallait juste mettre dans les bonnes conditions.”

“J’étais un piètre avant-centre et un grand fan de Nadal. Je me suis mis au vélo sur le tard et j’ai regardé mon premier Giro en 2005” Fabio Aru

Ni une ni deux, Antonio le licencie avec l’Ozierese (qui, comme son nom l’indique, se situe à Ozieri) à 175 bornes de Villacidro. L’ancien coureur a l’intuition de mettre son poulain à la route. Encore faut-il convaincre Fabio. “Moi j’aimais le hors-piste, confie le coureur Astana. C’est plus tranquille, les courses ressemblen­t à des fêtes, les entraîneme­nts sont moins longs.” Sa première expérience sur le bitume confirme sa méfiance, à en croire Camboni. “À Pattada, au championna­t régional cadet, Fabio possédait quatre minutes d’avance à la fin du sixième tour, je me mets en haut de la bosse pour le dernier tour et là je vois passer en premier un coureur du club qui organisait la course. Fabio arrive dix secondes après en pleurant: ‘Ils l’ont remonté avec la voiture!’” Loin des petits arrangemen­ts des épreuves sur route, Aru préfère patauger dans la fange et intègre même la sélection italienne pour les mondiaux juniors de cyclo-cross de 2008, où il prend la 25e place. “Mais il montait des côtes sur la selle tandis que les autres les faisaient à pied avec le vélo sur l’épaule”, assène Camboni. Fausto Scotti, son DTN en cyclocross, l’incite à sérieuseme­nt penser à la route. Une victoire chez les juniors régionaux lui délivre une place dans la sélection sarde pour le Giro della Lunigiana. Ce

Newspapers in French

Newspapers from France