Pedale!

Christophe Moreau.

- PAR ALEXANDRE DOSKOV ET VINCENT RIOU, À BELFORT / PHOTOS: BELGA/ ICONSPORT, PANORAMIC, DPPI ET PRESSE SPORTS

C’est l’histoire d’un type qui s’en foutait du vélo et qui s’est retrouvé à vivre l’affaire Festina, porter le maillot de champion de France et viser un podium sur le Tour, le tout sans jamais rentrer la langue. Et ça valait bien quatorze pages de confession­s intimes.

Quel coureur incarne mieux le cyclisme de la fin des années 90 que Christophe Moreau? Les cheveux peroxydés, Ullrich et Pantani, Virenque et Leblanc, la lose française, les critériums à l’ambiance rock’n’roll, l’EPO, l’affaire Festina, puis l’arrivée de “l’Américain”: l’ex-futur podium du Tour de France a tout vu, tout connu. En tête du peloton et la langue bien pendue, évidemment.

Tu te dis Belfortin voire Jurassien, mais t’es né Picard, non? C’est la famille Moreau côté père qui est vraiment originaire de Picardie, de l’Aisne, à Vervins, où je suis né un peu par hasard. C’est un peu noir, mais c’est la réalité –à un moment donné, on ne peut pas échapper à son histoire: je suis né dans un cimetière!

Dans un cimetière? Mais c’est un coup à mourir dans une maternité, ça!

En fait, mon grand-père était employé à la mairie, en charge de l’entretien du cimetière. Fossoyeur, quoi. Et donc il était logé sur place, dans une maison où mon père a été élevé. Mes parents étaient de passage, ma mère a eu des contractio­ns, et voilà… La maison existe toujours, elle appartient à la mairie, et les grands-parents, qui sont morts, sont enterrés juste devant. À l’époque, on habitait à 70 km de là, à Reims. Mon père, qui était militaire de carrière, y avait rencontré ma mère. À mes 10 ans, mon père a été muté à Berlin. Enfin, l’armée nous a envoyés à Belfort. C’était en 1984, j’avais 13 ans. C’est là que la famille s’est enracinée. Mon père a refusé d’être muté après. Ils avaient acheté une maison, on avait grandi là… Donc il a quitté l’armée et a fait comptable dans le civil, dans une société de transports en commun. Ma mère était aide-maternelle. Elle est partie à la retraite il y a deux ou trois ans.

Donc tu as grandi dans le Berlin de la guerre froide?

Bien sûr, je m’en rappelle très bien, avec ces trois zones américaine, anglaise et française, dans Berlin-Ouest, et ce mur. Pour aller à Berlin-Est, il fallait faire une

demande. Il nous est arrivé de faire des Berlin-Reims par la route, mon père s’était acheté une Mercedes, et c’était tout un périple. Berlin était encerclé par les Russes, donc jusqu’au passage de la frontière entre la RDA et la RFA, il fallait suivre ce qu’on appelait “le couloir” pendant deux heures. Là si tu avais un problème, t’étais pris en charge par les Soviétique­s. T’avais intérêt à partir avec le plein, et t’étais pas invité à t’arrêter, prendre des photos, faire le touriste ou sortir pour choper l’itinéraire bis! Ça marque un gamin. Et alors, tu parles allemand? Bah non. Chaque secteur était vraiment dédié à une langue, tout aménagé, l’école en français, les cinémas, les grandes surfaces aussi… On payait en deutsch mark et pas en francs. Mais sinon on vivait dans une petite France, confinés dans un entre-soi. Tu apprends à dire bonjour, merci, des trucs simples pour faire les courses, “Wurst mit Brot”, mais du coup je suis resté une pince en allemand, quoi. C’est dramatique, aujourd’hui j’incite mes filles à travailler les langues. Mais j’en ai de très bons souvenirs parce que Berlin est une belle ville, verdoyante. Il y avait des stades, des squares, un grand lac où on allait faire de la barque et pêcher, et beaucoup de pistes cyclables! Ça roulait beaucoup à vélo…

La passion du vélo naît donc à Berlin?

Oh non, à l’époque ce n’est qu’un moyen de locomotion, je ne suis pas du tout dans l’esprit compétitio­n. Le vélo, c’est pas la culture familiale. C’est à Belfort que je commence à le voir comme un sport, vraiment par hasard. J’avais eu un vélo de course pour ma profession de foi. Un jour, des copains me disent: “On va monter le Ballon d’Alsace – Bah je viens avec vous”. Je suis arrivé là-haut sans entraîneme­nt avec un quart d’heure d’avance sur eux, je me suis dit que j’avais peut-être des facilités. J’avais déjà 16 ans, je faisais du foot. J’ai arrêté pour me mettre au vélo.

Un coup de foudre? Ouais. Vous allez dire: “Moreau il travaille du chapeau”. Mais j’ai eu un appel, comme Jeanne d’Arc. Ça m’a pris du jour au lendemain et après j’y pensais beaucoup trop, au vélo. J’ai commencé en cadet 2, c’est tard, mais j’ai dit à mes parents que j’allais gagner des courses et que j’en ferais un métier. Et c’est venu comme ça, comme une illuminati­on, alors que j’y connaissai­s rien.

Mais qu’est-ce qui te plaît dans le vélo concrèteme­nt, au début?

L’effort, la bagarre, la lutte, même la douleur, tu vois. J’ai aimé lutter contre moi-même, contre les éléments extérieurs, avec ma machine. Je n’étais pas forcément destiné à ce genre d’effort solitaire, j’étais sociable, plutôt à faire le con, à rigoler. Donc je ne sais pas quel est le levier psychologi­que qui m’a poussé à m’y mettre à fond, à me faire toujours plus mal… J’avais pas de problèmes, la famille allait plutôt bien.

Tu t’es aussi intéressé à l’histoire du sport?

Bah oui, surtout que je partais de zéro ou presque. Mes premiers souvenirs de courses à la télé, c’est LeMond, le Blaireau, la Vie Claire, Stephen Roche. Avant ça, j’avais jamais regardé. 85, 86, 87 –ma première année de licence et de compétitio­n–, c’est vraiment là que ça commence à germer. Puis en lisant des bouquins, des magazines, je me suis fait une culture: les grands anciens, les palmarès, les cols mythiques, les rivalités... J’étais déjà vieux mais je mettais des posters de cyclistes sur les murs… Quand j’étais amateur, j’aimais bien un petit coureur de l’équipe Z, Abadie. Il avait les premières Oakley Razor Blade. Je les cherchais partout, je découpais les magazines et j’allais chez l’opticien: “Il me faut des lunettes comme ça, il faut les commander!” fou…

Mes “idoles”, c’était les gars d’ici. En 89, j’étais allé voir les championna­ts du monde amateur à Chambéry, où Christophe Manin, un petit coureur de RMO, fait podium derrière Halupczok, qui est mort depuis sur un stade de foot, et Eric Pichon, qui s’est suicidé en 2012. Putain, Pipiche… Mais Manin, je m’étais vraiment identifié à lui parce qu’il était dans un club de Franche-Comté, et surtout parce qu’il était grand, longiligne, et qu’il passait partout. C’est une époque où on suivait à fond toutes les courses locales. Le Tour de Franche-Comté, c’était notre petit Tour de France. J’ai commencé à vraiment m’intéresser aux coureurs profession­nels, à Indurain, quand j’ai décidé d’en faire un métier, à 20 ans.

Et en dehors d’Abadie, d’autres idoles? Ça paraît fou, quatre ans seulement après avoir commencé à rouler, d’avoir le niveau pour faire carrière en pro…

En junior 2, j’ai dû claquer 15 ou 16 courses, et on m’a

J’étais un “Le vélo? J’ai eu un appel, comme Jeanne d’Arc. Ça m’a pris du jour au lendemain, comme une illuminati­on, alors que j’y connaissai­s rien”

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En blanc, Paco Mancebo dans sa fameuse imitation de la Tour de Pise.
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