Pedale!

Paris-Roubaix infernal.

En 1976, un cinéaste danois fan de Godard et de jazz, Jorgen Leth, s’invite sur Paris-Roubaix pour tourner A Sunday in Hell. Le résultat: un documentai­re culte sur fond de manifs, de choeurs antiques et de vainqueur surprise. Le plus beau film jamais tour

- PRESSE SPORTS ET DR PAR JEAN- MARIE POTTIER / PHOTOS:

80. En 1976, Jorgen Leth, un cinéaste danois fan de Godard et de jazz, s’invitait sur Paris-Roubaix pour tourner A Sunday in Hell. Le résultat est génial, le making-of encore plus.

Maillot de corps bleu ciel, cuissards carmin, Marcel Kittel récupère sur le sol de sa chambre d’hôtel de Compiègne en fixant son smartphone. En cette veille de Paris-Roubaix 2018, le sprinter allemand révise sa classique devant A Sunday in Hell, un documentai­re tourné en 1976 par le cinéaste danois Jorgen Leth. L’anecdote est rapportée par ce dernier, pas peu fier, à 81 ans, de la postérité de ce long métrage, l’un des plus connus d’une carrière qui l’a aussi vu filmer Andy Warhol dévorant un Whopper en plan fixe ou le tennisman Torben Ulrich, papa du batteur de Metallica. Jorgen Leth est un genre d’institutio­n dans son pays, où il commente le Tour à la télévision depuis 1988 et qu’il a également servi comme consul honoraire à Haïti –poste dont il a été évincé après s’être vanté dans un livre de ses relations sexuelles avec la fille de son cuisinier, âgée de 17 ans. La renommée de son documentai­re sur l’enfer du Nord, elle, a dépassé les frontières. “Je considère que c’est le meilleur film jamais tourné sur le cyclisme. Il donne à la course le rythme d’une poésie et la hisse à un niveau mythologiq­ue, s’extasie ainsi l’Américain Brendt Barbur, organisate­ur du Bicycle Film Festival à Brooklyn. J’ai vu plusieurs fois des gens applaudir devant, dire: ‘Vas-y!’ en voyant Merckx attaquer, comme s’ils assistaien­t à un vrai événement sportif.”

Ce n’est pourtant pas intuitivem­ent sur le vélo que les cinéphiles auraient attendu Leth. À la fin des années 50, le Danois démarre sa vie profession­nelle comme critique de cinéma et de jazz. Son premier film est d’ailleurs consacré au pianiste Bud Powell. Mais ce fan de Jean-

Luc Godard se passionne aussi de longue date pour Coppi, Bobet, Gaul, Koblet ou Kübler. Et quand arrivent les 70’s, il a une vision: “J’avais l’impression qu’il était nécessaire de faire accéder le cyclisme à un niveau supérieur au Danemark. Nous n’avions pas de journal comme L’Équipe, nous n’avions pas notre Roland Barthes.” Alors en 1970, Leth et son caméraman, Henning Camre, partent en voyage d’étude sur le Tour. “Je n’ai jamais oublié l’image de Merckx s’effondrant au sommet du Ventoux après avoir gagné l’étape.” Cette expédition est aussi l’occasion de faire connaissan­ce avec Félix Lévitan, le codirecteu­r de l’épreuve. Plutôt dur en affaires: “Il m’a clairement dit: ‘Vous êtes autorisé à observer la course mais ne filmez rien’. J’ai répondu: ‘Bien sûr que non’. Mais j’ai apporté une petite 8 mm et j’ai tourné quand même.” Du “matériel de recherche” dont il tire en 1973 un curieux court métrage en noir et blanc, Eddy Merckx in the Vicinity of a Cup of Coffee, montage alterné de plans de lui lisant ses poèmes dans un studio de télévision et de séquences du Tour introduite­s par des cartons lyriques: “Voici des images du Tour de France, mon roman favori, qui se poursuit année après année. […] Rassemblés dans une masse indétermin­ée d’ambition, d’habileté, de devoir et de rêves, cent trente hommes glissent à travers les villes et les campagnes.” Au son du titre Girl from Ipanema, quelques-uns de ces coureurs remontent à la file, déjà, “les célèbres pavés du Nord”, avec Merckx au premier plan, “le visage d’un athlète phénoménal, fort sur tous les terrains, par tous les types de temps et d’une ambition presque intolérabl­e”. Merckx plane aussi sur les deux documentai­res suivants du Danois. D’abord The Stars and the Watercarri­ers, dans lequel le cinéaste suit Ole Ritter, de l’équipe Bianchi, sur un Giro 1973 où le Cannibale porte le maillot rose de bout en bout. Puis l’année d’après, dans The Impossible Hour, qui documente, à Mexico, la vaine tentative de ce même Ritter de reprendre son record de l’heure des mains du Belge, encore lui. Un producteur lui propose alors d’en tourner encore un autre. “J’ai accepté mais décidé de le filmer de manière complèteme­nt différente, sur une course d’un jour et avec le plus grand nombre de caméras possible. Et j’ai choisi Paris-Roubaix parce que c’est une course plus profonde que les autres, un roman de courage, de fatalité, de destin et de déterminat­ion.” Voilà donc Leth qui débarque fin 1975 à Paris, rue du Faubourg-Montmartre, dans le bureau de Félix Lévitan au Parisien libéré, l’organisate­ur de la course. Lui et son producteur Christian Clausen ont préparé la réunion en vidant deux bouteilles

“J’ai choisi ParisRouba­ix parce que c’est une course plus profonde que les autres, un roman de courage, de fatalité, de destin et de déterminat­ion” Jorgen Leth

de Bourgogne dans le train de nuit Copenhague-Paris. Lévitan essaie de les dissuader en arguant des risques du tournage, puis monnaie chèrement ses droits. “Je suis un organisate­ur de courses cyclistes, pas un producteur de films. Mais je sais que j’ai une histoire, des acteurs, des décors. Vous devez trouver un moyen de calculer ce que ça vaut”, lance-t-il avant d’inviter ses interlocut­eurs à descendre au café puis à remonter le voir une fois qu’ils se seront mis d’accord sur une propositio­n. “On est revenus avec un chiffre, raconte Jorgen Leth. Lévitan a répondu: ‘Je pense que cela vaut plus’, et en a donné un autre. On a protesté. ‘Vous dites ne rien connaître à la production, comment pouvezvous arriver à ce chiffre?’. Il a répondu: ‘C’est ce que mon instinct me dit’.” Les droits sont finalement cédés 90 000 francs, soit plus de 60 000 euros actuels.

Un steak saignant au petit-déjeuner

Après avoir effectué des repérages, Leth met en place un plan de bataille à vingtsept caméras, dont trois sur moto. Surtout, innovation pour l’époque, l’une d’entre elles –la Wescam– est montée sur un hélicoptèr­e et manoeuvrée par un Canadien, Ron Goodman, qui effectuera plus tard les prises de vue aériennes de L’Empire contre-attaque. Le Danois obtient aussi un accès aux équipes qui lui permet, dans le premier quart d’heure de A Sunday in Hell, de tirer le portrait de ses quatre mousquetai­res. Merckx en son crépuscule, dont la récente victoire à Milan-San Remo sera sa dernière grande classique. Roger De Vlaeminck, qui vise sa quatrième levée à Roubaix, record absolu. La troisième star belge, le blond Freddy Maertens, qu’on découvre avec son équipe Flandria au bar de l’hôtel. Et enfin, celui que la une de L’Équipe annonce “offert à la voracité des Belges”, Francesco Moser. Ce sont surtout les deux aînés qui l’intéressen­t: “De Vlaeminck et Merckx sont parfaits dans leurs rôles. Le premier est le plus intéressan­t pour moi, avec son goût de la confrontat­ion dans sa façon de s’exprimer et de courir. Vous pouvez sentir ce qu’il éprouve tout le temps. Merckx a une personnali­té plus sévère et calme mais coléreuse, aussi, quand il échoue.”

Leth aime les contrainte­s. En 2003, pour un film à quatre mains, Five Obstructio­ns, son cadet et émule Lars von Trier le contraindr­a ainsi à refaire cinq fois son court-métrage le plus célèbre, The Perfect Human, avec une règle différente –ne pas faire durer un plan plus d’une demi-seconde, par exemple. Sur Paris-Roubaix, il est prisonnier du tempo serré de la classique. “Sur le Tour, si tu rates ton plan de Froome qui prend une musette, tu peux le refaire le lendemain. Là, c’est un tournage d’un jour, sans possibilit­é de rien refaire. Ça passe ou ça casse”, analyse le journalist­e britanniqu­e William Fotheringh­am, qui vient de publier un remarquabl­e livre sur le film, Sunday in Hell. Behind the Lens of the Greatest Cycling Film of All Time. Parfois, ça casse: l’un des trois caméramans mobiles, Jacques Loiseleux (futur directeur de la photo ou cadreur d’une poignée de chefs-d’oeuvre de Pialat, de À nos amours à Van Gogh), est victime, le matin même du tournage, d’un accident qui laisse sa caméra hors d’usage. Parfois, à l’inverse, l’imprévu enrichit le film. Dans cette France de 1976 qui découvre le chômage de masse, la course est émaillée de manifestat­ions des imprimeurs d’Amaury et des ouvriers de Rhône-Poulenc, qui offrent à la caméra des images de routes jonchées de journaux ou de coureurs prenant timidement le tract qu’on leur tend. Leth, lui, est désarmé: “J’ai passé la

“J’ai vu plusieurs fois des gens applaudir devant ce film, dire: ‘Vas-y!’ en voyant Merckx attaquer, comme s’ils assistaien­t à un vrai événement sportif” Brendt Barbur, organisate­ur du Bicycle Film Festival

course dans une voiture, sans aucune possibilit­é de passer devant le peloton. Je n’avais aucun contrôle, je devais croire en mes hommes et attendre. C’était à la fois frustrant et excitant parce que j’entendais à la radio ce qui se produisait en sachant que j’avais mes caméramans sur le parcours. À la fin, plusieurs sont venus me dire ce qu’ils avaient raté, comme ce cadreur supposé filmer Merckx après la course et qui avait suivi sa Mercedes jusqu’à chez lui sans rien obtenir d’intéressan­t… J’étais déprimé, je n’entendais que les mauvais côtés.” Comme lorsqu’il découvre qu’il lui manque des images de l’échappée victorieus­e, qu’il sera forcé d’acheter à TF1…

Cette organisati­on complexe explique la capacité du film à capter des instants fugaces, comme cette scène où Merckx profite d’un arrêt forcé pour demander une clef à une voiture Brooklyn, l’équipe de De Vlaeminck, puis refixe sa selle. “La caméra le suit jusqu’à la ‘voiture de l’ennemi’, disons, et on a là un exemple du facteur chance: j’en avais une autre dans la voiture, installée toute la journée avec Brooklyn. Du coup, j’ai deux caméras sur cette histoire, petite, mais non sans importance.” Dans

ASunday in Hell, on voit l’essentiel –les échappées, le sprint final, le bouquet du vainqueur–, mais aussi l’apparemmen­t accessoire: un mécano qui nettoie méthodique­ment un vélo Benotto, un coureur qui crache sa détresse face caméra dans la voiture-balai, le peintre qui dessine les lettres “BNP” sur la ligne d’arrivée du vélodrome désert ou le steak saignant dans l’assiette du petit-déjeuner de De Vlaeminck. On sent aussi le temps, que Leth a su capter grâce à son amour du plan fixe. Interrogé sur ses scènes préférées, il se souvient d’un passage de l’échappée gagnante, vers la fin de la course, pendant que la voix off égrène son avance: “Les quatre échappés passent. La poussière retombe. La caméra filme toujours pendant peut-être quarante ou quarante-cinq secondes, puis les poursuivan­ts arrivent. Pour moi, c’est un moment de satisfacti­on absolue car je voulais que tout soit filmé comme cela: garder un cadre fixe et laisser le temps le remplir.”

La dernière folie du sport

“Paris-Roubaix, c’est une histoire de dix heures où il se passe toujours quelque chose. La bonne idée de ce film, c’est d’avoir plein d’images prises en même temps dans des endroits différents. Le rendu de l’ambiance et de la course est exceptionn­el, juge l’ancien directeur sportif du Crédit Agricole Roger Legeay, qui courait cette édition pour l’équipe Lejeune-BP. Quand on le regarde aujourd’hui, c’est une fresque historique, un film-mémoire sur le Paris-Roubaix de ces années- là.” Entre le village-départ de Chantilly aux allures de kermesse, où les coureurs viennent émarger sur une table de camping, les vieux vélos et les maillots en laine ou le papier peint psychédéli­que du Café de la place de Valencienn­es, A Sunday in Hell est une bulle seventies. Le témoin d’un cyclisme qui n’existe plus, jusqu’aux mythiques douches collective­s où le film se conclut sur un plan de Ole Ritter en train de se laver et se désaltérer en même temps. “J’ai couvert ParisRouba­ix de 1990 à 1996 avant d’arrêter, car j’avais déjà suivi le meilleur de tous les temps, la victoire de Tchmil en 1994, quand de la neige tombait à la sortie de Compiègne, abonde William Fotheringh­am. Les infrastruc­tures étaient moins artisanale­s que dans le film de Leth mais ce qui lui ressemblai­t, c’est que, à part à Arenberg, très peu d’équipes attendaien­t avec des roues dans les endroits stratégiqu­es, contrairem­ent à maintenant. C’était une course plus ‘pure’: quand un type crevait, il avait du mal à revenir.” Le “plateau” de 1976, avec ses princes des classiques et ses coureurs de grands tours (Merckx, Thévenet, Poulidor), est aussi un vestige du passé. “Vous avez tous les cadors alors qu’à la fin des années 80, c’était déjà devenu une course de spécialist­es, que LeMond et Fignon étaient les derniers vainqueurs du Tour à disputer”, souligne le journalist­e.

Une chose n’a pas changé, en revanche: la religiosit­é de la course. Avec sa longueur et sa difficulté (279 kilomètres, dont 45 de pavés, cette année-là), Paris-Roubaix est peut-être un enfer mais certaineme­nt une croyance, “la dernière folie que le sport cycliste propose à ses officiants”, pour reprendre la célèbre phrase du directeur du Tour, Jacques Goddet. En ce dimanche lumineux, la caméra de A Sunday in Hell capture merveilleu­sement la beauté tour à tour élégiaque et brutale de la “pascale”, cette journée passée sous le soleil de Satan. Une dimension que renforce la partition classique de Gunner Moller Pedersen. Le compositeu­r, qui avait croisé Jorgen Leth quelques années plus

“Les quatre échappés passent. La poussière retombe. La caméra filme toujours pendant peut-être quarante ou quarante-cinq secondes, puis les poursuivan­ts arrivent. C’était ce que je voulais: garder un cadre fixe et laisser le temps le remplir” Jorgen Leth

tôt dans une salle de montage en attirail complet de cycliste, vélo compris, se souvient de sa perplexité devant un premier bout-à-bout de six heures: “Devant tous ces types qui ne faisaient que rouler d’un endroit à un autre, une pensée m’est venue: si au moins ils pouvaient chanter en le faisant!” Le musicien imagine alors, sur fond de percussion­s, un choeur mâle étirant de manière lyrique les mots “L’Enfer du Nord”, “ParisRouba­ix” ou “Les Pavés”: “J’ai composé cette scène de ‘L’Enfer du nord’ comme un Dies Irae classique, d’une manière dont Giuseppe Verdi lui-même n’aurait pas rougi”, se rengorge-t-il. Pedersen offre également un élégant thème pour le “personnage” de Roger De Vlaeminck: “Dans une épopée classique, il vous faut un héros que vous suivez avec un intérêt particulie­r, comme Ulysse. Jorgen avait parié sur De Vlaeminck comme vainqueur probable, et le violoncell­e solo nous le rend plus proche, par contraste avec le super-héros Eddy Merckx, le Achille ou Hector de cette course. Heureuseme­nt pour le film, il n’a pas gagné –mais presque!” Quand on demande à Fotheringh­am si ce Paris-Roubaix 1976 était une grande course, la réponse claque: “Non! Non, non et non. Et c’est intéressan­t: Jorgen a fait ce film extraordin­aire sur un Paris-Roubaix assez ordinaire avec un vainqueur qui n’est pas un grand champion, une course sans démonstrat­ion de force. Une course normale, quoi.” Une anomalie dans une période qui voit De Vlaeminck l’emporter quatre fois (dont l’année suivante), Merckx trois et Moser trois.

Dans l’échappée finale à quatre se sont en effet glissés, aux côtés du “Gitan” et de l’Italien, le Néerlandai­s Hennie Kuiper, qui l’emportera en 1983, et le Belge Marc Demeyer. À bientôt 26 ans, ce dernier sert de lieutenant de luxe à Freddy Maertens, mais c’est un bon outsider, qui termine troisième et quatrième des deux dernières éditions et passe très près d’une victoire d’étape sur le Tour 1975 à Roubaix. Quand, à quarante bornes de la fin, Maertens chute lourdement et est contraint à l’abandon, le directeur sportif Guillaume Driessens tait la nouvelle et enjoint Demeyer à ne pas relayer pendant que De Vlaeminck se dépense pour amener l’échappée au bout. Sur le vélodrome, celui-ci désobéit à son manager Franco Cribiori et choisit d’emmener le sprint. Tout ça pour se faire piéger par le vent dans la ligne droite comme “un boxeur qui croit que le combat est dans la poche et se fait cueillir par un uppercut”, explique à Fotheringh­am le sprinter Walter Godefroot. Centimètre après centimètre, Demeyer grignote depuis la sortie du virage. Moser et De Vlaeminck sont battus d’une roue. “Le triomphe d’une santé à rendre jaloux les centaures du Caucase”, écrit le lendemain L’Équipe, qui constate que le vainqueur n’a laissé exploser sa joie que comme “un pétard tiré en une salve, presque à la sauvette”. “Je roule à cent pour cent pour Freddy, c’est tout, s’excusera presque Demeyer devant la presse. Je ne suis pas un chef d’équipe.”

Dustin Hoffman et des mots croisés

A Sunday in Hell va connaître une postérité aussi inattendue que son vainqueur en offrant à Leth un ticket pour Hollywood. Un jeune producteur fauché, Gary Mehlman, qui a acheté les droits d’adaptation de The Yellow Jersey, un roman sur la Grande boucle, propose au cinéaste de contribuer au projet: “Il voulait que je donne des conseils, peut-être aussi que je tourne des images. J’ai été à Hollywood et j’ai rencontré le célèbre Carl Foreman, le scénariste du Train sifflera trois fois et du Pont de la rivière Kwaï, qui avait été blacklisté durant le maccarthys­me.” En 1984, Leth est invité sur le Tour avec Mehlman, Dustin Hoffman, la star du futur film, et Michael Cimino, qui doit le réaliser: “Nous avons dîné à Bordeaux en présence de Félix Lévitan, et Dustin Hoffman m’a dit: ‘Jorgen, tout ce que je sais du cyclisme, c’est grâce à A Sunday In Hell’. Il avait une copie du film et se l’était projeté plusieurs fois dans sa salle privée. Lévitan a entendu l’histoire, ce qui était génial pour moi…” Mais Hoffman et Mehlman abandonnen­t ensuite le projet, récupéré par le duo de la Cannon Menahem Golan et Yoram Globus. Ces spécialist­es du Chuck Norris movie et du film de ninjas chargent Leth de tourner des images d’illustrati­on, sans acteurs, sur le Tour 1986. Il en subsiste, dans un coffret DVD, quelques minutes de rushes: un hélico planant sur un peloton qui serpente ou une descente d’entraîneme­nt en caméra embarquée avec l’Australien Phil Anderson. Et bien plus d’images on ne sait où, égarées dans la faillite de la Cannon –l’étape des Champs avait été filmée par douze caméras, dont une perchée sur l’Arc de triomphe. “Ils se sont montrés très négligents envers un matériau qui, potentiell­ement, pourrait m’offrir l’occasion de livrer un documentai­re sur le Tour, s’irrite Jorgen Leth. Cela me met en colère car c’était extrêmemen­t intéressan­t à tourner. Nous avions des motos mais aussi une ‘voiture-caméra’ qui avait été autorisée car Lévitan était très impression­né par Hollywood, et par l’argent d’Hollywood. C’était un choc pour le peloton de voir remonter cette Citroën avec une caméra accrochée derrière, c’était inédit.”

Ce Tour 1986, qui bascule dans un autre monde avec la première victoire de Greg LeMond, les héros de A Sunday in Hell ne l’ont pas couru. Moser, obsédé par son cher Giro, sèche la course. Kuiper et Maertens, en fin de carrière, sont absents. De Vlaeminck, Merckx, Thévenet ou Poulidor à la retraite. Marc Demeyer, quant à lui, est mort chez lui le 20 janvier 1982 d’une crise cardiaque, alors qu’il faisait ses mots croisés, après une sortie d’entraîneme­nt avec sa nouvelle équipe, Splendor. Il repose au petit cimetière d’Outrijve, à vingt kilomètres de Roubaix, pas loin de Paul Deman, le premier vainqueur du Tour des Flandres. Pour son dernier Paris-Roubaix, en 1981, on l’avait encore vu débouler pour la gagne sur le vélodrome au sein d’un petit groupe, passant même en tête dans la ligne opposée avant de voir un maillot arc-en-ciel lui filer sous le nez pour gagner en force cette “cochonneri­e” de course. Cinq ans plus tôt, le jeune Bernard Hinault n’était encore qu’une silhouette du villagedép­art, filmée furtivemen­t par la caméra de Jorgen Leth, figurant presque anonyme d’un dimanche enfer.• en Lire: Sunday in Hell. Behind the Lens of the Greatest Cycling Film of All Time, par William Fotheringh­am (Yellow Jersey Press). Voir: le coffret Jorgen Leth #2 – Sportsfilm.

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Un Bordelais à Roubaix.
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Hipster, année 0.
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Francesco “le Shérif” Moser mène devant le Néerlandai­s Jan Raas.

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