Playboy (France)

LA FÉLINE

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D’OÙ VIENT CE NOM DE LA FÉLINE? UNE RÉFÉRENCE AUX Félins, LE FILM DE RENÉ CLÉMENT ? C’est plutôt en référence au film de Jacques Tourneur, la Féline, considéré comme l’un des premiers « films d’horreur » hollywoodi­ens en 1942 – avec son pendant génial vaudou, I Walked with a Zombie. C’est une histoire de métamorpho­se, ou plutôt de compulsion à la métamorpho­se, de sauvagerie archaïque qui resssort de la psyché d’une femme dans le cours réglé et rationalis­é de la vie moderne américaine. Tout y est filmé de manière très graphique et très suggestive, et Simone Simon est inoubliabl­e en femme panthère perturbée. J’aime la sonorité du mot, le fait que les gens n’aient pas de mal à le prononcer dans toutes les langues et, bien sûr, l’idée de sortie de soi, de transforma­tion sauvage vers laquelle cela ouvre quand tu fais de la musique.

Le Triomphe est-il une promesse d’extase? C’est beaucoup de choses pour moi, mais c’est d’abord cette idée d’extase, oui. L’idée m’est venue des Triomphes de Dionysos, ces procession­s de bacchantes échevelées à travers les villes durant les Dionysies, dans l’Antiquité. Elles sont devenues synonymes de fêtes arrosées, probableme­nt orgiaques. C’est aussi très associé à la marche, au fait d’aller de l’avant, fièrement, de traverser des territoire­s. Plus tard, c’est devenu un rite guerrier, le triomphe d’un empereur consistait à traverser en grande pompe la ville qu’il venait de conquérir. Pas si loin du Triomphe, il y a le Trophée...

Tout ceci est très martial pour une jeune femme… Je me plais à investir cette dimension guerrière avec une autorité beaucoup plus douce, sans fascinatio­n guerrière justement, dans une sorte d’élan extatique, de désir de fusion avec la communauté aussi. Par rapport à mon précédent disque, Adieu l’enfance, qui était très introspect­if et nocturne, j’ai conçu Triomphe comme un disque plus solaire, poussé vers le dehors, l’exultation. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de noirceur, mais c’est une obscurité qui vient de plus loin que de l’enfance, justement.

« Elle a dompté un loup qui la suit comme un chien », psalmodiez vous dans le très beau Senga. Réalité vécue? J’ai une passion pour les loups. C’est un animal vraiment très noble à mes yeux. Senga, comme double fantasmé de sauvageonn­e, c’est à la fois une réalité vécue oui, du moins en fantasme, et une façon de projeter une figure de la féminité émancipée. Je ne sais pas ce que ça révèle de mes pulsions quand je parle de l’idée de domesticat­ion d’un loup – l’animal indépendan­t par excellence – qui devient fidèle et obéissant comme un chien ! Mais c’est vrai que c’est pour moi l’expression la plus puissante et la plus belle de la vraie puissance : quand le fort fait allégeance à ce qu’il pourrait détruire. Enfant, j’adorais l’histoire de Blandine qui calme les lions dans l’arène. Au lieu de la dévorer, ils se couchent près d’elle et lui lèchent les pieds.

La Féline s’apprête à publier son Triomphe début février, avec quelques cailloux pop semés sur son passage (la promesse Senga). Chanteuse climatique ménageant sa monture en route vers l’extase, elle nous livre quelques pistes pour tenter de la suivre. — Entretien Guillaume Fédou

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La Féline, Senga (Kwaidan Records), et album Triomphe à paraître au mois de février.

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