Playboy (France)

L’ AMOUR & LA VIOLENCE

- Photograph­e — Stéfanie Renoma Direction artistique — Raphael Say Modele — Tristane Banon Make up — Odile Jimenez Stylisme — Stéfanie Renoma Lieu — hotel nolinski Paris

Convaincue que la sensualité est un droit qui doit survivre à la violence, Tristane Banon se souvient des mots de notre voisin d’en face, l’illustre rédacteur en chef de Lui. Au travers duquel elle s’adresse à nous tous pour livrer son manifeste féministe new school.

Quand j’ai rencontré Frédéric Beigbeder, c’était il y a quinze ans au moins, le champagne arrosait les fêtes littéraire­s parisienne­s et on savait encore rire pour rien. La crise n’avait pas fait son grand office, elle s’est rattrapée depuis. Pour sortir, les femmes choisissai­ent des décolletés interminab­les, ou pas, et des jupes sans beaucoup de tissu, ou pas. Ça n’était pas toujours de bon goût, c’était aussi parfois plein de style, ça n’était pas très important.

On avait le choix. J’avais le choix.

On se maquillait parfois beaucoup, c’était l’humeur, parfois très peu. On était «dark» ou colorée, «nude» ou ultra-glamour. On aimait jouer. On aimait rire et s’amuser, boire et danser. J’aimais ça. J’étais comme les autres. On dansait mal, on buvait trop. On se couchait tard, parfois on ne se couchait pas. J’avais encore le droit à tout ça, il ne serait venu à l’esprit de personne de m’empêcher de quoique ce soit. Pire encore, d’en être choqué. Ça n’était pas tous les jours, c’était des moments, des instants volés au reste du temps, à tout le reste du temps ; un peu de futilité pour continuer d’avaler la vie avec gourmandis­e, sans allusion sexuelle aucune. Oui, on avait même le droit d’être graveleux, et aussi celui d’être graveleuse! On en riait, on n’intellectu­alisait pas franchemen­t. Les fêtes de la nuit n’étaient pas les rendez-vous de la journée, on faisait la différence.

Quand j’ai rencontré Frédéric Beigbeder, c’était il y a quinze ans au moins, il m’avait dit une phrase, une chose évidente et capitale :

« Le sexe n’est pas grave ! »

C’était vrai, ça l’est toujours. La séduction était un jeu d’adolescent­s car elle était festive. On avait le droit d’être adolescent à tout âge, même à 40 ans, la fête est belle aussi pour ça. Le droit à la légèreté est une revendicat­ion d’importance capitale. Parfois, on se réveillait près du mauvais visage, on l’avait choisi, on l’avait voulu la veille au soir ou au milieu de la nuit, aviné ou sous vodka, mais on l’avait voulu, c’était gênant mais pas dramatique.

Le sexe ne devrait jamais être grave.

Le sexe doit être léger, sensuel, amoureux parfois, brutal si l’on veut, amical, pourquoi pas? inattendu, impatient, désiré, orgasmique même, rapide… trop ou pas assez, lent… trop ou pas assez, voulu.

Frédéric, tu avais définitive­ment raison : le sexe devrait être tout, tout sauf grave.

Parfois, pourtant, il peut le devenir.

Quand le consenteme­nt n’y est pas, la légèreté est un mythe. C’est injuste, triste, inqualifia­ble, impardonna­ble, dément, détestable, irréparabl­e, punissable, condamnabl­e, rarement condamné, haïssable, illégal, rarement pénalisé, destructeu­r. La victime ne l’a jamais cherché, on ne cherche pas à avoir si mal. Les circonstan­ces ne doivent pas donner d’improbable­s raisons aux bourreaux, quelles que soient les circonstan­ces et qui que soient les bourreaux. Mais, si le sexe a été si grave, la plus grande des revanches est de le laisser devenir à nouveau léger. La vie ne serait plus rien sans la frivolité des choses.

Les fêtes existent toujours, et pas seulement dans le milieu littéraire. Les fêtes existeront toujours, c’est la grande supériorit­é de la vie sur la crise, c’est la grande supériorit­é de la vie sur tout le reste. Rien n’est plus beau que d’imaginer que cette fille, là-bas, cette fille qui un jour a subit la violence d’un homme, cette fille qui est peut-être une femme et certaineme­nt une victime, cette fille a le droit de porter des jupes courtes, très courtes même, des décolletés si le coeur l’en dit, du rouge à lèvre et des talons hauts. Cette fille a tous les droits, même celui d’être vulgaire, parfois, chienne si l’envie le lui chante, sensuelle, érotique, pourquoi pas? hédoniste à l’envie, sexuelle, distinguée, raffinée, esthétique. Cette fille a le droit d’être femme, et même garce ou frivole, sage ou délurée. Cette fille, qui sera toujours une femme, a le droit de redevenir féminine.

On ne reste pas victime toute sa vie, on l’a été.

il y a cinq ans aujourd’hui, j’ai porté plainte pour tentative de viol. Ok. Je n’en suis pas moins femme, comme toutes les autres victimes de violences sexuelles que la société regarde encore de travers quand l’envie leur prend de redevenir sensuelles après ça, sexuelles même. Je me souviens avoir entendu des hommes dire:« On ne va plus pouvoir draguer désormais ! » J’ai envie de répondre que si, qu’il ne faudra jamais arrêter d’avoir ce droit-là, et même celui de draguer, parfois, des femmes qui auront été des victimes un jour. Répondre à un décolleté féminin, rétorquer à la sensualité d’une femme qui a été victime qu’« elle l’a sans doute bien cherché», c’est ajouter de la violence à la violence. Parfois, ce décolleté sera une attitude, un battement de cils, une nuque dégagée, un trait de crayon sous les yeux. interdire à une femme d’être féminine, ça n’est pas violent, c’est ultra-violent. C’est comme si un homme qui aurait été violé (si, si, ça arrive, les drogues permettent ça, certaines situations aussi), c’est comme si cet homme, s’il avait le courage de dénoncer l’acte, devait hypothéque­r par le fait sa virilité pour la vie, faire à jamais une croix sur son droit à être macho quand avant ça lui arrivait parfois, une croix sur sa masculinit­é qui pourtant le définit aussi. imaginez cet homme-là, à celui-là on interdirai­t sans doute de lire Playboy, par exemple. Mon Dieu, si une telle chose lui était imposée par la société, sans doute qu’il ne dénoncerai­t jamais ce qu’il a subi. Sans doute même qu’il se tairait. Ses amis, sa famille n’en sauraient rien. Tous autour de lui ne soupçonner­aient pas les faits qu’il aurait subis. D’ailleurs, le fait est que cet homme se tait, les hommes ne portent pas plainte, ou si rarement. Les hommes veulent continuer d’avoir le droit de lire Playboy!

il y a cinq ans aujourd’hui, j’ai porté plainte pour tentative de viol. Ok. Je reste une femme, je lis parfois Playboy et il peut même m’arriver de poser seins nus sur des photos. «Donc tout va bien».

—“Interdire à une femme d’être féminine, ça n’est pas violent, c’est ultra-violent. ”

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