Playboy (France)

ET DIEU CRÉA BRIGITTE

- Photograph­ies — Calendrier Brigitte Lahaie 2017, Éditions de la Musardine Entretien — Guillaume Fédou

Elle a été l’icône du cinéma français, celui de la libération de la libido et des tabliers de sapeur. Aujourd’hui à la radio, Brigitte Lahaie est l’oreille d’une France qui cherche une porte de sortie au tour de vis généralisé, au tout-porno et à la frustratio­n sexuelle. Qui mieux qu’elle pouvait nous parler d’amour à la française ?

PXaris, la pluie, il est 16h30, Brigitte vient de terminer son rendez-vous avec les Français en détresse - à qui elle s’adresse deux heures par jour sur Sud Radio depuis son éviction surprise (et contestée) de RMC où elle travaillai­t depuis quinze ans. A deux pas de la maison de la radio, avenue du Président-Kennedy, la face B de Brigitte Bardot, que les Allemands appellent Brigitte Bordeaux, s’installe sur un canapé 70’s et nous lance, goguenarde : « On y va les garçons ? » On acquiesce comme deux bambins avec Xavier Faltot, caméraman de l’extrême venu filmer l’entretien. Par politesse car nous ne l’avons pas écoutée, nous lui demandons comment s’est passée ce 14/16, véritable 5 à 7 radiophoni­que auquel elle tient tant. « Dans l’émission d’aujourd’hui, un sexologue spécialisé dans le handicap vient de nous apprendre que la sexualité d’un autiste est beaucoup plus libre que celle d’un bon névrosé… Ils sont plus dans la sensation que dans l’intellect : quand il a envie de sa femme, il lui touche les fesses et les seins au lieu de lui dire : “T’as une jolie robe aujourd’hui. » Voilà, c’est elle, Brigitte Lahaie. Les titres de films défilent dans nos têtes : Sarabande porno de Claude Bernard-Aubert (alias Burd Tranbaree), le classique Parties fines de Gérard Kikoïne, tourné en partie dans le salon de Jacques Séguéla, moquette épaisse garantie. Mais aussi Entrecuiss­es/ Possession­s, Cathy fille soumise, Arrête tu me déchires, C’est la fête à mon cul, la Clinique des fantasmes, toujours de Kikoïne, Viol, la grande peur de Pierre Chevalier, Porno roulette, Rentre, c’est bon de Maxi Micky, Bordel SS de Bénazéraf, Coulées d’amour, Caresses infernales de Jean Lefait… Tous ces films aux titres gratinés ont été tournés entre 1977 et 1980, cet âge d’or du X français que Brigitte incarne si bien : « C’était une parenthèse enchantée, post-pilule et pré-sida, avec un esprit très libre et beaucoup de camaraderi­e sur les tournages. Je ne me pouvais pas me rendre compte à quel point je marquerai les esprits. » La folle intensité de cette période éroto-giscardien­ne est le socle de la statue que Playboy édifie aujourd’hui en l’honneur de celle qui peut légitimeme­nt se targuer d’avoir « les plus beaux seins du cinéma français ». Après 1980, elle tourne dans des bluettes « classiques » (où elle ne tient pas les rôles gratifiant­s non plus). C’est en 1987 avec la publicatio­n de son roman «Moi la scandaleus­e» (Filipacchi) que Brigitte explose les cloisons aussi intimes que poreuses entre les différents publics. Oubliée la jeune pucelle débarquée de Tourcoing avec sa soeur au milieu des années 70. En passant chez Pivot et Ardisson, elle devient une espèce de Marianne du cul, une présidente la raie publique un peu plus de dix ans après la loi Giscard sur la libération du porno en 1974 – l’année d’Emmanuelle avec la regrettée Sylvia Kristel, phénomène beaucoup plus soft... Bref, Lahaie devient une star à part entière alors qu’elle ne tourne plus dans le X... Sans doute car elle a fait l’éducation d’une génération très reconnaiss­ante. Magnéto Brigitte !

Tout d’abord merci d’être l’ambassadri­ce de ce nouveau Playboy qui ressort après 5 ans d’absence...

5 ans c’est long pour un lapin (rires) J’espère que le vôtre sera comme un lapin Duracell...

Il y a beaucoup de choses autour de vous, un calendrier, un disque, un livre de culte, un DVD célébrant votre âge d’or, qui était aussi celui du X en France. Sans devenir rétrosexue­l, on a l’impression que la sexualité était vécue de manière beaucoup plus naturelle il y a trente-quarante ans...

La sexualité ne s’ouvre que dans les périodes où ça va bien. Aujourd’hui, elle est moins libre qu’au début des années 80, oui, malgré Internet et la publicité. Les gens sont crispés, moins épanouis. On a loupé le coche de ce qu’aurait pu être une vraie révolution sexuelle. On confond sexe et sexualité, on consomme de l’affectif sans savoir qui on est… Car on ne prend plus le temps de se connaître soi-même ! Je prône une éducation affective plutôt que sexuelle. Et ce besoin va bien au-delà des époques.

On aurait donc régressé depuis la fameuse libération de 68 ?

Dans l’ensemble, je dirais que oui, surtout que la culture du porno généralisé et constammen­t disponible génère beaucoup d’effets pervers. Par exemple, des types m’appellent, en disant qu’ils ne comprennen­t pas pourquoi leurs compagnes refusent la sodomie. Je leur dis que ça peut faire mal, que ce n’est pas forcément un plaisir pour nous, qu’il faut des crèmes anesthésia­ntes (Brigitte a toujours eu recours à une « doublure sodomie » dans sa fulgurante carrière - NDLR) et ils me disent : « Ah bon ? Mais dans les films, elles n’ont pas l’air d’avoir mal… » Voilà où on en est. La rebelle des 70’s s’est transformé­e en maîtresse d’école, elle nous tape sur les doigts et ça ne fait pas mal. Sa voix fait penser à une Françoise Hardy qui assumerait son côté Pravda, l’héroïne de Guy Pellaert inspirée de la chanteuse.

Pourquoi la France est-elle tombée en panne érectile avec des figures comme la vôtre ? Vous n’êtes pas assez écoutée ?

J’en parlais avec un ami, il y a quelque chose qui cloche ici. On est le pays de la libération sexuelle mais aussi celui de la littératur­e, de la poésie, des parfums, de l’amour libre... Et pourtant on a l’impression que nous n’avons jamais été aussi auto-contrôlés. L’Allemagne et les pays scandinave­s vont beaucoup plus loin sur le plan sexuel. Nous en sommes restés au plan sensuel. Là-dessus, nous sommes en tête. J’ai d’ailleurs été approchée par la Chine pour donner des cours de sensualité aux Chinoises… Mais ça ne suffit pas, il faut passer à autre chose ! La sensualité c’est bon pour les préliminai­res, ensuite il faut y aller. Et la France est très hypocrite en la matière !

Si vous avez exercé le même métier, on a l’impression que votre approche de la sexualité est à l’opposé de celle d’un Rocco Siffredi, qui a voulu créer sa Rocco Academy…

Déjà ne vous moquez pas de Rocco, vous ne pouvez pas vous imaginer l’effet qu’il fait aux femmes... Ensuite l’épanouisse­ment sexuel, c’est un chemin individuel que chacun doit faire, pour se libérer, ça ne peut pas devenir institutio­nnel. La sexualité est cognitive et culturelle. Nos premiers émois sont déterminan­ts. Si vous avez grandi dans une ferme et que vous avez connu votre premier orgasme en caressant un mouton, vous serez fatalement attiré par les moutons. Ça, c’est cognitif. Embrasser un enfant sur la bouche, c’est incestuel mais pas forcément dans tous les pays. Ça, c’est culturel. On ne peut pas trouver de solution universell­e. La seule chose que l’on puisse faire, c’est aider chacun à se connaître.

La génération née dans les années 60 a grandi avec vous, empruntant les sorties de secours des cinémas X qui pullulaien­t pour aller voir « le dernier Brigitte ». Il en reste quelque chose ?

Oui, certains hommes entrés dans l’âge mûr me serrent la main et en rougissent. Pourtant je ne pense pas que ma main fasse ce genre d’effet, ah ah ah ! Non, ce sont ses souvenirs qui les font rougir. Il faut dire que j’étais très belle, particuliè­rement dans certains films, avec un corps extraordin­aire... Mais ça, je n’y suis pas pour grand chose. Je pense que c’est surtout ça qui a marqué.

Pourtant, tout n’a pas coulé de source…

Oui, j’ai découvert la sexualité assez tard, d’une étrange façon. J’ai été dépucelée à l’âge de 19 ans, rendez vous compte ! Avec la naïveté qui me caractéris­ait alors, j’ai été à fond dans la découverte, avec mon corps à l’époque, avec ma tête aujourd’hui. Ce qui était aussi très excitant, c’était la sensation d’être les premiers, de faire un pied-de-nez à la bonne société… Une sensation libertaire au bon sens du terme. Quand je disais : “Moi, je suis actrice de films pornograph­iques” dans un dîner en ville, les fourchette­s ne bougeaient plus et ça, j’adorais. Aujourd’hui, il faut une actrice porno à sa table pour être branché.

— “J’AI ÉTÉ DÉPUCELÉE À L’ÂGE DE 19 ANS ”

En 1980, braguette, vous mettez un terme à votre carrière porno. Vous pensez avoir fait le tour du métier. C’est la fin d’une parenthèse enchantée ?

Oui, de 1976 à 1980, cette période était folle. Ambiance Il est 5 heures Paris s’éveille. En sortant de boîte de nuit, on allait petitdéjeu­ner au Fouquet’s, on ne mettait pas la ceinture en roulant à 200 km/h sur l’autoroute… Maintenant, tout est très sécuritair­e et maîtrisé. Bientôt, vous n’allez plus pouvoir tenir la porte à une dame sans être taxé de sexisme ! Tout ça a une incidence sur notre rapport aux autres, y compris dans l’intime. Mais braguette, non ! Au contraire le fait d’arrêter de tourner à décuplé mon désir d’expériment­er, de faire tout ce que je refusais sur les tournages.

Ce fol appétit remonte sans doute à la frustratio­n d’avoir été dépucelée si tard... Mais si personne ne va y croire (rires)

Ah si, j’ai grandi dans un milieu très bourgeois, fermé, et j’ai vraiment été dépucelée à 19 ans… Bien sûr que la frustratio­n était immense. Surtout que j’ai découvert par la suite que mon père était fan de Curiosa, ces chefs d’oeuvres de la littératur­e érotique quel’on s’échangeait sous le manteau... Donc lui a fini par s’y faire, ça l’amusait, même si pour ma mère ça a été beaucoup plus difficile… Ma première carrière a constitué un vrai choc pour elle.

Et vous nous dites que votre vie sexuelle a explosé après les tournages, c’est insensé! Quand on voit votre filmograph­ie...

Je sais, c’est difficile à concevoir, surtout pour les hommes... Les femmes me comprennen­t, allez savoir pourquoi. J’avais des blocages au cinéma, une doublure sodomie, je refusais le SM, etc. Mais je ne voulais pas mourir idiote pour autant. Donc je me suis ratrapée par la suite. On dirait que je vous fais rougir…

On admire seulement le travail bien fait, au-delà des films...

Ah mais vous pouvez ! Ah ah ! J’ai pas mal donné de ma personne, avec une caméra ou pas vous savez.

Beaucoup de jeunes vous appellent et n’ont d’ailleurs pas vu un millième de votre production cinématogr­aphique…

Leur problème à eux, ce sont les réseaux sociaux. Avant, les mecs montraient leur bite au bois de Boulogne – je me souviens, j’en voyais en passant à cheval –, maintenant c’est sur Twitter. On punit, on punit, et voilà ce qu’on récolte. Rien n’est authentiqu­e. Quand vous avez 5 000 amis sur Facebook, le jour où vous êtes à l’hôpital, ce ne sont pas eux qui vous apporteron­t des chocolats. Tinder, c’est de la pure consommati­on aussi. On zappe les profils comme dans un magasin. Beaucoup de jeunes m’appellent et sont totalement bloqués. Autrefois, c’était : « Mais à quoi ça ressemble ?» Aujourd’hui, c’est : «Est-ce que je vais être à la hauteur ?» Les mêmes angoisses demeurent, notamment chez les femmes qui appellent pour dire : “Je n’ai pas eu d’orgasme vaginal, je suis anorgasmiq­ue”, etc. Elles ont le vocabulair­e, c’est déjà ça, mais elles se sentent anormales de ne pas connaître l’orgasme alors que seulement 30% d’entre elles l’auront connu à la fin de leur vie ! Ce culte de la performanc­e, de la réussite, est absolument morbide, tout comme l’idée d’être connecté à tout prix en permanence.

Au-delà ce ces questions d’hygiène mentale et digitale, Brigitte voit des choses positives monter de plus en plus à la surface : le yoga, le bio, le besoin très contempora­in de se déconnecte­r, de passer du temps avec l’autre… On papote à l’heure du thé.

Il y a donc des solutions, une issue, aidez-nous Brigitte !

Il y a surtout deux grands tabous à éradiquer, et je vous dévoile ici le contenu de mon prochain livre... il y a d’abord le tabou de l’infidélité. Tant que l’on ne pourra pas surmonter l’adultère dans un couple – comme si cela avait quelque chose à voir avec l’amour –, on ne s’en sortira pas. C’est encore la première cause de rupture aujourd’hui. Dans le même ordre d’idée, vouloir abolir la prostituti­on est stupide. Je ne vois pas où est le problème de travailler avec son sexe, il y en a bien qui travaillen­t avec leur dos toute leur vie…

Et le deuxième tabou ?

C’est qu’il manque un tabou sur le porno justement. Il y a trop de porno constammen­t disponible, il n’y a plus cette excitation de l’interdit, comme ces garçons dont vous me parliez qui empruntaie­nt les sorties de secours des cinémas réservés aux adultes. Tout avoir en deux clics tue le désir, et sans désir, on entre en dépression, sans parler de ce qu’on voit à l’image : ce n’est jamais filmé en continuité, aucun homme ne pouvant tenir dix minutes avec des coups de rein aussi intenses que dans un film X. Je ne condamne pas le porno, ce serait absurde, surtout venant de moi, mais il y a des petites choses à savoir.

Je voulais terminer cet entretien sur un hommage aux autres Brigitte françaises, Fontaine et Bardot. La première a chanté «Comme à la radio», la comparaiso­n s’arrête là. Mais je trouve qu’il y a quelque chose qui vous lie à Bardot, comme si vous étiez sa face B... L’envers du décor acidulé des 60’s.

— “IL N’Y A PLUS CETTE EXCITATION DE L’INTERDIT. ”

C’est vrai que Bardot est venue avant, et a plus que pris sa part dans la vraie-fausse libération sexuelle des années 60 avec le film de Vadim. J’admire énormément cette femme, je me souviens avoir dîné avec elle en 1993, dans le sud de la France; avec son mari assis entre elle et moi... Mais n’allez pas vous imaginer quoi que ce soit ! Nos célébrités n’ont rien à voir, elle était une icône mondiale comme Marylin alors que j’étais au départ réservée aux amateurs ! C’est par la suite que je suis devenue très connue.

Noël approche et je voulais savoir de quel film X vous étiez la plus fière, c’est pour offrir à un ami.

Je suis à prendre de Francis Leroi, sans hésiter. C’est un classique, avec une histoire qui tient la route. Erotica sinon, réédité par René Château, mon ancien compagnon. Je crois que je n’ai jamais été aussi belle que dans ce film. Sublime, même.

Vous l’êtes encore rassurez-vous...

Oui merci, on me le dit beaucoup. Je suis encore baisable, non ?

RéTROSEXuA­LITé

Double actu pour Brigitte: «C’est la fête à Brigitte», un calendrier dont nous publions quelques extraits ici, et un «Disque de culte» financé à 500 % sur Kiss Kiss BB comportant des inédits d’Alain Goraguer à vous rouler sur la moquette... Littéralem­ent dévalisés, les disquaires indépendan­ts, tels Martial de Total Heaven (Bordeaux), en demandent encore ! Une suite est prévue, avec d’autres inédits. Pour Noël vous pourrez aussi glisser un beaulivre sous le sapin, «les Films de culte» (Glénat), bourré d’images, d’anecdotes et de témoignage­s savoureux «à lire d’une seule main ».

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