Playboy (France)

ALERTE À LA SCOPO LAMINE

- — Raphaël Turcat

LA « DROGUE DES VOLEURS » SE GLISSE DANS UN VERRE OU SE SOUFFLE AU VISAGE DES VICTIMES LES TRANSFORMA­NT EN zOMBIE SANS AUCUN LIBRE-ARBITRE. BIEN CONNUE EN AMéRIQUE DU SUD, LA SCOPOLAMIN­E EST-ELLE EN TRAIN DE DéBARQUER EN FRANCE ? UNE ENQUêTE QUI SENT LA POUDRE.

L’histoire remonte au début de ce siècle. Jean-Pierre, tenancier d’un bar de nuit au physique de troisième ligne, erre devant son établissem­ent en caleçon. Il est midi et sa tenue n’a rien à voir avec une nuit de folie passée à fêter le bouclier de Brennus que le Stade français vient de souffler à Colomiers. Hagard, assoiffé, ne sachant pas trop ce qu’il fout là, il finit par attirer l’attention du maître d’hôtel du restaurant voisin : « Eh bien J.-P., qu’est-ce que tu fous dans la rue en calbut ? » Il n’en sait rien mais se remémore les faits quinze ans plus tard. « A l’époque, j’avais des responsabi­lités dans le monde de la nuit, explique-t-il devant une blonde à faux col. Un soir, une connaissan­ce m’emmène faire un tour de lieux de nuit dans des quartiers que je ne fréquentai­s pas. Je sais gérer la picole mais là, j’ignore absolument ce qui s’est passé. Le trou noir. Le lendemain, je n’avais plus une thune sur moi et je reconnaiss­ais à peine mes voisins. » Pas très vaillant, il finit par se rendre chez un ami dans un laboratoir­e qui lui fait des analyses de sang et d’urine. Le cocktail n’a rien d’amical. « Mon ami m’a dit qu’il y avait là de quoi tuer un boeuf », continue Jean-Pierre. Chez lui, c’est un champ de bataille. Des traces de transpirat­ion au sol, des vêtements éparpillée­s dans tous les coins, des bouteilles brisées… Sans savoir s’il lui raconte des histoires ou pas, l’homme avec qui il est sorti la veille lui assure qu’il ne se souvient de rien non plus. Seule certitude : parmi toutes les substances peu recommanda­bles décelées par le labo, apparaisse­nt des traces de scopolamin­e.

— “ON L’APPELLE “LE SOUFFLE DU DIABLE” PARCE QUE SOUVENT, ON LA SOUFFLE AU VISAGE DE SES PROIES.”

SÉRUM DE VÉRITÉ À LA CIA

Vous connaissie­z le GHB, la « drogue du violeur » ? Let me introduce you la scopolamin­e, la « drogue du voleur » qui soumet littéralem­ent la victime à son agresseur, lui fait perdre son librearbit­re rien qu’en la respirant. Une saloperie qui n’a rien de récréative. Sous forme de poudre, elle est soufflée au visage ou se glisse discrèteme­nt dans un verre. La scopolamin­e provient de la sève de la brugmansia, une jolie plante jaune dont les fleurs, en forme de clochettes, sont identifiab­les entre mille. La brugmansia a été découverte en Amérique du Sud au XIXe siècle par le naturalist­e Sebald Justinus Brugmans. Ce docteur allemand au regard bovin aurait-il donné son nom à cette plante toxique s’il avait pu imaginer l’usage qui allait en être fait deux siècles plus tard ? Peut-être pas… Mais la scopolamin­e n’a pas toujours servi à détrousser les bonnes âmes. « La scopolamin­e ? C’est un vieux médicament bien connu pour des effets thérapeuti­ques intéressan­ts, dont la lutte contre le mal de mer, confirme le professeur Antoine Coquerel, directeur du laboratoir­e antidopage français à Châtenay-Malabry. C’est un atropiniqu­e (un composé chimique présent naturellem­ent dans certaines plantes - NDLR) et, bien sûr, en cas d’abus, ça fait disjoncter. » Mais encore ? « Cela crée des syndromes confusionn­els, comme des pertes de repères spatio-temporels, des hallucinat­ions ou des idées délirantes. » Outre le professeur Antoine Coquerel, la scopolamin­e est bien connue des fans de conspirati­on – elle aurait servi de sérum de vérité chez les nazis et à la CIA – mais, surtout, des Sud-Américains.

“UNE DROGUE MAGIQUE”

Anais Ruales est une jolie Equatorien­ne de 26 ans. Installée en France depuis quelques années, elle a fait de la scopolamin­e le sujet de son court-métrage de fin d’études à la Femis : « Là-bas, en Equateur, tout le monde connaît la scopolamin­e. On l’appelle “le souffle du diable” parce que souvent, on la souffle au visage de ses proies. On sait tous qu’il faut se méfier d’une personne qui s’approche avec un papier en te demandant de le lire parce que c’est mal écrit ou un plan parce qu’elle est perdue. » Anaïs reprend une gorgée de son thé avant d’affirmer : « Cette drogue a quelque chose de magique, elle annihile ta volonté. Plein de gens se retrouvent un jour avec leur compte bancaire vidé du jour au lendemain. Mais ceux qui n’y ont pas été confrontés ont du mal à imaginer qu’on puisse te voler ta volonté. » Burundanga, le court-métrage d’Anaïs raconte l’histoire d’un jeune paumé équatorien rejeté par sa famille et une fille qu’il convoite en vain. En lui faisant respirer de la scopolamin­e, il parvient à ses fins sentimenta­les avant d’agresser un homme âgé qui connaîtra, lui, une vraie fin. « Je voulais parler de la violence en Amérique mais sans le sang ni les armes, continue Anaïs. J’ai eu l’idée de faire de la scopolamin­e mon sujet central car elle résume cette idée. » Comme beaucoup là-bas, Anaïs a une histoire liée à la « scop » qui est arrivée à un de ses proches : « Pour mon film, je me suis inspirée d’une mésaventur­e qui est arrivée à un ami de mon père. Des témoins ont raconté qu’un jour, une femme s’est approchée de son 4x4 et lui a soufflé au visage de la poudre. Il s’est réveillé à l’hôpital quelques jours plus tard après avoir été retrouvé errant sur une voie ferrée sans aucun souvenir. Pendant plus d’un mois, il n’a plus eu de mémoire immédiate. Il pouvait boire un verre avec des amis puis, après être allé aux toilettes, revenir et leur dire bonjour comme s’il ne les avait pas vus depuis des lustres. »

— “OUI IL Y AVAIT BIEN DE LA SCOPOLAMIN­E DANS LA COKE REVENDUE EN SEINE-SAINT-DENIS.”

“SCOPO” EN SEINE-SAINT-DENIS

Retour en France. En juillet dernier, plusieurs hôpitaux de SeineSaint-Denis traitent une dizaine de cas d’intoxicati­ons sévères et bizarroïde­s. Les patients, tous consommate­urs de cocaïne par voie nasale, sont victimes des mêmes symptômes:hypertensi­on artérielle, nausées, agitation, état délirant. Après analyse, il s’avère qu’ils ont sniffé à leur insu de la scopolamin­e présente à hauteur de 15% dans leur dose de « c ». Un pourcentag­e très important qui fait chaud dans le pif mais froid dans le dos. Une alerte est immédiatem­ent lancé. « La scopolamin­e n’est pas un produit qui se consomme à des fins récréative­s. Ce n’est pas non plus un produit de coupe habituel », détaille Julie-Emilie Adès, responsabl­e du pôle communicat­ion de l’OFDT (Observatoi­re français des drogues et des toxicomani­es. Une enquête est ouverte par le TGI de Bobigny. Trois personnes sont mises en examen. « Oui il y avait bien de la scopolamin­e dans la coke qui a été revendue à des profils très différents – du SDF qu’on a retrouvé dans une voiture à une clientèle fêtards et plus aisée – mais il n’y avait pas la volonté de soumettre psychologi­quement les consommate­urs, témoigne une source proche de l’enquête. A mon avis, les trafiquant­s ont dû trouver un stock de “scopo” et en ont profité pour couper leur coke avec. » Malgré les trois « vendeurs de lourd » mis en examen et les trois points de vente « dégagés », personne n’a pu mettre la main sur la main qui a coupé la coke. Fin de l’histoire ? Pas tout à fait.

— “IL EST PLUS FACILE DE SE PROCURER DE LA SCOPOLAMIN­E EN FRANCE QU’EN COLOMBIE.”

LE GANG DE BELLEVILLE

Me Joseph Hazan a d’autres chats à fouetter que la scopolamin­e : il vient d’être papa. Malgré son départ imminent pour la clinique, il prend le temps de nous répondre. L’affaire remonte à l’année 2015, période pendant laquelle il défend deux Chinoises soupçonnée­s de faits d’extorsion en bande organisée dans le quartier GoncourtBe­lleville à Paris. La police découvre dans la valise d’un de leurs complices une grosse dose de scopolamin­e. « Mes deux clientes ont bénéficié d’un non-lieu par manque de preuves », explique Me Hazan. Mais le complice, accusé d’avoir « importé, transporté et détenu des substances, plantes ou préparatio­ns » illicites et vénéneuses, est renvoyé devant le tribunal correction­nel. Cet épisode a-t-il un lien avec cette étrange affaire qui s’est déroulée mi-octobre à Vitry ? Han, employée dans une blanchisse­rie et serveuse dans un restaurant le soir, se fait aborder dans la rue par deux Asiatiques qui lui demandent si elle connait un fleuriste dans le coin. C’est à peu près tout ce dont Han se souvient précisémen­t. Pour la suite, c’est son entourage qui témoigne. « Je l’ai croisée près du restaurant où elle m’a dit d’une voix normale: “Je viendrai un peu plus tard ce soir” », raconte la patronne du resto. Han monte chez elle, explique à ses enfants qu’elle ne fait que passer, glisse 7 000 € en cash et ses bijoux dans un sac en plastique puis repart. Ce n’est que quelques heures plus tard qu’elle réalise qu’elle s’est faite avoir. « Elle est allée chez les flics qui ne l’ont pas prise au sérieux : elle parle mal français et après tout, pour eux, elle avait donné cet argent et ces bijoux de son plein gré, témoigne son beau-frère. Quinze jours après, elle est toujours sous le choc, comme si elle s’était fait violer. Avant, elle était très joyeuse, dynamique. Aujourd’hui, elle est comme prostrée. » Un témoignage très proche de cinq autres que nous avons glanés durant notre enquête.

“HALLUCINAT­IONS CAUCHEMARD­ESQUES”

«Je vais te sortir un scoop : il est plus facile de se procurer de la scopolamin­e ici, en France, qu’en Colombie, me sort une connaissan­ce portée sur les psychotrop­es. La datura est une plante qui pousse partout dans l’Hexagone et dont les fleurs sont très proches de la brugmansia. La concentrat­ion en scopolamin­e y est la même. Il est alors facile d’en extraire les alcaloïdes et de se confection­ner une tisane. » Et ça donne quoi ? « C’est un grand décollage avec des hallucinat­ions cauchemard­esques que je ne souhaite pas à mon pire ennemi…» Au fait, si les histoires sordides vous intéressen­t, réservez votre après-midi du 11 janvier 2017 : le Chinois suspecté d’avoir détenu de la scopolamin­e dans l’affaire de Belleville passe devant la 31e chambre correction­nel à 13h30. Et si d’aventure il vous demandait de lui lire un petit papier qu’il n’arrive pas à déchiffrer, prenez garde, on ne sait jamais…

Newspapers in French

Newspapers from France