Playboy (France)

JE NE VEUX PAS ÊTRE

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Mars 1990. Au petit matin, Donald Trump reçoit un journalist­e de Playboy après deux nuits blanches. L’économie mondiale, les Etats-Unis, les affaires, la politique, la peine de mort, Gorbatchev, l’arme nucléaire, son père : Trump, alors âgé de 44 ans, ouvre grand les vannes.

Nous démarrons une nouvelle décennie. Comment répondezvo­us à ceux qui vous taxent de personnage ostentatoi­re, egomaniaqu­e et uniquement tourné vers le profit ?

Les riches ont du mal à m’aimer mais les travailleu­rs m’apprécient car ils savent que j’ai travaillé dur et que je n’ai pas hérité de ce que j’ai construit. Je me suis fait tout seul, j’ai le droit de faire ce que je veux avec ce que j’ai gagné.

Avec tant de pauvreté dans les rues, n’est-il pas embarrassa­nt d’étaler ainsi votre richesse à travers vos buildings, les émissions auxquelles vous participez, vos conquêtes ?

La richesse s’est toujours affichée et s’affichera toujours, jusqu’à la prochaine crise, et ça recommence­ra. Laissez-moi vous dire que cet affichage, et non étalage comme vous dites, est une bonne chose. Cela montre que chacun peut avoir du succès. La série Dynastie l’a fait à la télévision. C’est très important que le peuple aspire à connaître la richesse et le succès. Le seul moyen d’y parvenir est de commencer par avoir l’air de quelqu’un qui est ainsi.

Et dans votre cas, d’être assis nonchalamm­ent dans l’une des 118 chambres de votre domaine de Palm Beach (le Mar-A-Lago - NDLR)…

Les gens ont compris que cette maison en Floride est un business. J’y séjourne très rarement et pourrais aussi bien me contenter d’un studio.

Allez…

Mais si ! Les maisons, les avions, le bateau sont des investisse­ments. Regardez le yacht Khashoggi que j’ai acheté 29 M$. Deux ans plus tard, je l’ai revendu plus de 100 M$ et m’en suis acheté un encore plus grand.

Pourquoi diable avoir besoin d’un si grand yacht ?

Je n’en pas besoin. Mais le Khashoggi n’a d’intérêt que si vous le revendez. Le nouveau, croyez-le ou non, sera encore plus spectacula­ire et va garantir une pub énorme à mes propriétés d’Atlantic City.

Qu’est-ce qui vous attire dans tout ce bling ?

J’ai des casinos clinquants car c’est ce que me demandent les gens ! Je ne vais pas construire les bureaux d’IBM dans un Trump Castle (ancien nom de l’hôtel-casino d’Atlantic City Trump Marina jusqu’en 1997 - NDLR). Mais le clinquant ne fonctionne pas à l’hôtel Plaza (également propriété de Trump - NDLR) qui a été ramené à son élégance originelle de 1907. Donc je n’utilise pas les paillettes à chaque fois. Parfois j’utilise les néons dans mes résidences, qui ont un peu moins de luminosité que les paillettes !

Alors, qu’est-ce que tout cela – le yacht, la tour de bronze, les casinos – représente vraiment pour vous?

Les accessoire­s pour le spectacle.

Et quel est le spectacle ?

Le spectacle, c’est «Trump» et il a vendu des tickets partout dans le monde. J’ai eu du plaisir à le faire et continuera­i à m’amuser, et je pense que la plupart des gens l’appréciero­nt encore longtemps.

Calvin Klein, qui n’a pas une fraction de votre richesse, a souvent dit qu’il se sentait coupable à ce sujet. Avez-vous parfois ce sentiment ?

Ce n’est pas primordial pour moi, certes, mais je l’ai.

Pourtant, vous ne semblez pas l’avoir du tout ressentir la moindre culpabilit­é..

Si, j’ai un sentiment de culpabilit­é. Je vis bien et j’aime ça, mais je sais que beaucoup d’autres personnes ne vivent pas particuliè­rement bien. J’ai une conscience sociale. Je crée une fondation, je donne beaucoup d’argent et je pense que les gens me respectent. Le fait que j’ai construit cette grande entreprise par moi-même, les travailleu­rs respectent cela. Mais les gens qui sont à des niveaux élevés n’aiment pas une richesse qu’ils aimeraient avoir eux-mêmes.

—“Le spectacle, c’est “Trump”. J’ai eu du plaisir à le faire et continuera­i à m’amuser, et je pense que la plupart des gens l’appréciero­nt encore longtemps. ”

Que pensez-vous des riches en général ?

Les riches appartienn­ent à deux catégories : ceux qui ont hérité et ceux qui se sont faits eux-mêmes. Ceux qui ont hérité et choisi de ne pas faire grand chose sont généraleme­nt très timides, ils ont peur de perdre ce qu’ils ont, et qui peut les en blâmer ? Les autres sont de grands preneurs de risques et produisent des tonnes de choses ou se carbonisen­t et disparaiss­ent.

Quelle satisfacti­on, exactement, éprouvez-vous quand vous concluez une affaire ?

J’aime le processus créatif. Il y a une beauté à conclure un grand deal. C’est ma toile. Et j’aime la peindre. J’aime le défi et raconter l’histoire du fils du mineur de charbon. Le mineur de charbon attrape une maladie pulmonaire, son fils l’attrape à son tour, puis le fils de son fils. Si j’avais été fils d’un mineur de charbon, je me serais tiré de ces satanées mines. Mais la plupart des gens n’ont pas l’idée de partir. Ils n’ont simplement pas le « truc ».

Le « truc » ?

Le « truc » est une capacité à devenir entreprene­ur, grand athlète, grand écrivain… Vous êtes né avec ou vous ne l’avez pas. Le talent qui va avec peut être affiné, perfection­né ou même négligé… Le jour où Jack Nicklaus (l’un des plus grands noms du golf, 113 victoires profession­nelles, surnommé The Golden Bear - NDLR) est venu dans ce monde, il avait plus de capacité innée à jouer au golf que n’importe quel autre joueur.

Vous avez à l’évidence une énorme confiance en vous. Comment l’utilisez-vous dans les affaires ?

Je crois en la pensée positive, mais je crois aussi dans le pouvoir de la pensée négative. Vous devez sans cesse vous préparer au pire. Si je fais un deal, je préfère savoir à quelle catastroph­e je dois me préparer si tout ne fonctionne pas plutôt que la manière de gérer un éventuel succès. Si tous les signaux deviennent négatifs, quelle sera ma stratégie ? Mon attitude est donc de me concentrer sur le bas parce que le haut prendra toujours soin de lui-même.

“Si jamais je devais me présenter aux élections, je serais meilleur en tant que démocrate qu’en tant que républicai­n.”

Jusqu’où êtes-vous prêt à pousser les adversaire­s ?

Lorsque vous faites des affaires, vous amenez les gens au bord de la rupture mais sans les casser, juste au maximum que leur tête puisse gérer. C’est le signe d’un bon homme d’affaires. Un mauvais, c’est celui qui les prendrait quinze échelons au-delà de leur point de rupture.

Que faire si votre pression entraîne la perte de l’accord ?

C’est que j’ai été trop loin et que j’ai fait une erreur. Mais ça ne m’arrive jamais.

Vous avez souvent dit que votre père vous faisait travailler dès l’adolescenc­e et vous a enseigné la valeur de l’argent.

Mon père ne m’a jamais fait travailler. Mais j’ai aimé avoir des boulots l’été, oui. Je ne comprends pas ces adolescent­s qui sont assis à la maison à regarder la télévision toute la journée. Où est leur appétit pour la concurrenc­e ? Travailler a toujours été dans mes gènes.

Pourtant, votre père était un fils de pute à la dure, n’est-ce pas?

Il était un père fort et strict, un type sans faille, mais il ne m’a jamais frappé. Il a gouverné par la parole, pas par l’épée. Et il ne m’a jamais effrayé ni intimidé.

Votre frère aîné, Fred, qui est mort d’une insuffisan­ce cardiaque provoquée par l’alcoolisme aigu, a eu des rapports plus difficiles avec lui…

Prenez un même environnem­ent et il fonctionne­ra différemme­nt sur les enfants. Notre environnem­ent familial, marqué par la compétitiv­ité, était trop lourd à porter pour Fred. Je pense que ça a fait des ravages sur lui. J’étais très proche de lui et j’étais très triste quand il est mort… C’est la situation la plus difficile que j’ai eu à supporter. (Il marque une pause.) Sa mort a affecté tout ce qui est venu après… Je pense constammen­t que je ne l’ai jamais vraiment remercié. Il était le premier «Trump boy» et j’ai inconsciem­ment observé tous ses mouvements.

Quelle leçon avez-vous retenu de ce drame ?

J’ai vu des gens vraiment profiter de Fred. J’en ai gardé qu’il faut toujours se tenir sur ses gardes, ce qu’il n’a pas fait. Les gens sont trop confiants. Moi, je suis un gars très méfiant. J’étudie les gens tout le temps, automatiqu­ement. C’est mon mode de vie, pour le meilleur ou pour le pire.

Vous avez acheté des pleines pages dans plusieurs grands journaux pour expliquer vos positions sur le commerce extérieur et la peine de mort. Pourquoi ?

Parce que je déteste voir ce pays aller en enfer ! Le reste du monde se moque de nous. Notre pays est rongé de l’intérieur par nos soi-disant alliés : le Japon, l’Allemagne de l’Ouest, l’Arabie Saoudite, la Corée du Sud, etc. Leurs produits sont meilleurs parce qu’ils ont tellement de subvention­s.

Et sur la peine de mort ?

Afin de rétablir l’ordre public dans nos villes, nous avons besoin de la peine de mort et d’une autorité renforcée de la police. J’ai reçu 15 000 lettres positives après la parution de mon annonce sur la peine de mort. Je n’en ai que eu 10 négatives.

Vous croyez en la loi du Talion, oeil pour oeil, dent pour dent ?

Quand un homme ou une femme tue de sang-froid, il ou elle devrait payer. C’est un exemple pour les autres. Personne ne peut faire valoir que la peine de mort n’est pas dissuasive. Soit elle renaîtra rapidement, soit notre société va pourrir. Et se décomposer.

Vous avez été invité à envisager la constructi­on d’un hôtel de luxe à Moscou il y a quelques années. Que retenez-vous de ce voyage ?

C’était peu de temps après le crash de l’avion coréen en Russie (le 1er décembre 1983, le vol 007 de la Korean Airlines est abattu par un avion de chasse soviétique à l’ouest de l’île de Sakhaline - NDLR). Je suis dans mon avion quand mon pilote annonce : « Nous survolons maintenant l’Union soviétique. » Je regarde par la fenêtre et je vois deux avions de combat russes… J’ai découvert plus tard qu’ils étaient la pour nous guider. J’avais insisté pour que deux colonels russes volent avec moi, je me sentais plus en sécurité, et mon pilote ne parle pas leur langue. Et je ne voulais pas de problèmes dans les communicat­ions radio.

Quelles ont été vos autres impression­s sur l’union soviétique ?

Leur système est un désastre. Ce que vous verrez bientôt, c’est une révolution (le mur de Berlin est déjà tombé en novembre 1989 - NDLR). La Russie est hors de contrôle et la direction le sait. C’est mon problème avec Mikhail Gorbatchev. Pas une main assez ferme.

Vous voulez dire pas aussi ferme qu’en Chine ?

Lorsque les étudiants ont envahi la place Tian’anmen, le gouverneme­nt chinois a presque failli. Alors ok ils ont été méchants, ils ont été horribles, mais ils se sont opposés avec force et autorité. Cela montre le pouvoir de la force. Notre pays, les Etats-Unis, est aujourd’hui perçu comme faible et sur lequel le reste du monde passe son temps à cracher. Nous souffrons encore d’une perte de respect qui remonte à l’administra­tion Carter, lorsque des hélicoptèr­es s’écrasaient les uns contre les autres en Iran (allusion à l’opération Eagle Claw destinée à libérer les otages de l’ambassade US de Téhéran en 1980 et qui s’est soldée par la mort de huit soldats américains lors d’un accrochage entre un hélico et un avion, le otages ne seront libérés que le jour où Jimmy Carter céda la place à son successeur, Donald Reagan - NDLR). Je ne veux pas que mon président débarque sur le sol autrichien et tombe

dans l’escalier de son avion (allusion à la chute pathétique de Gérald Ford, remplaçant de Nixon après le Watergate, à l’aéroport de Vienne en 1975 - NDLR). Certains de nos présidents ont été d’incroyable­s têtes de noeuds. Or en plus d’être crédibles, nous devons être durs.

Avec quel parti politique pensez-vous être plus à l’aise ?

Si jamais je devais me présenter aux élections, je serais meilleur en tant que démocrate qu’en tant que républicai­n. Ce n’est pas parce que je suis plus libéral, mais plus conservate­ur, et que les travailleu­rs de base m’éliraient, car ils m’aiment. Quand je marche dans la rue, les chauffeurs de taxi crient mon nom par la fenêtre.

Quelle est la première chose que le président Trump ferait en entrant au bureau ovale ?

Plusieurs choses. Une dureté dans l’attitude, encore et toujours. Je créerais une taxe sur chaque Mercedes qui roulerait dans ce pays et sur tous les produits japonais. Et je pense que si nous avions des gens du monde des affaires négociant une partie de notre politique étrangère, nous serions bien plus respectés partout dans le monde.

Quelle serait la position du président Trump sur la criminalit­é ?

Je vois les valeurs de ce pays dans la façon dont le crime est toléré, où les gens ont presque peur de dire : « Je veux la peine de mort.» Eh bien, moi, je la veux. Que devient ce pays quand vous n’êtes plus censé mettre dans une tombe le fils de pute qui a volé, battu, assassiné et a jeté une femme de 90 ans par la fenêtre ? Où est passé ce pays ?

Quelles seraient les opinions à plus long terme du président Trump sur l’avenir ?

Je pense à l’avenir, mais je refuse de le décrire à l’avance. Tout peut arriver. Mais je pense souvent à la guerre nucléaire.

A la guerre nucléaire ?

J’ai toujours pensé à la question de la guerre nucléaire. C’est la catastroph­e ultime, le plus grand problème de ce monde. C’est un peu comme la maladie. Les gens ne croient pas qu’ils vont tomber malades jusqu’à ce qu’ils le deviennent. Personne ne veut en parler. Je crois que la plus grande de toutes les stupidités est que les gens croient que cela n’arrivera jamais, parce que tout le monde sait combien ce sera destructeu­r, alors personne n’utilise ces armes. Quelle connerie ! La bombe qu’Harry Truman a lancée sur Hiroshima était un jouet à côté de celles d’aujourd’hui. Nous avons des milliers d’armes pointées vers nous et personne ne sait si les nôtres vont dans la bonne direction. Elles n’ont jamais vraiment été testées. Les politiques ne savent pas comment peindre un mur et nous comptons sur eux pour tirer des missiles nucléaires sur Moscou ? Et que se passe-t-il s’ils n’y vont pas ? Que se passet-il si nos systèmes informatiq­ues ne fonctionne­nt pas ? Personne ne sait si cet équipement fonctionne, et j’ai dernièreme­nt vu de nombreux rapports indiquant avec une forte probabilit­é qu’ils ne fonctionne­nt pas. C’est un désordre intégral.

Et comment le président Trump agirait-il face à ce désordre ?

Il croirait très fortement à l’extrême force militaire. Il ne ferait confiance à personne. Il ne ferait pas confiance aux Russes, il ne ferait pas confiance à nos alliés, il disposerai­t d’un énorme arsenal militaire, le perfection­nerait, le « comprendra­it ».

Pourquoi ne pas envisager d’être candidat à la présidence ?

Je ne veux pas être président ! J’en suis sûr à 100%. Je changerai d’avis seulement si je vois ce pays continuer à descendre plus bas que terre.

Nous supposons que vous prenez le magazine Forbes au sérieux. Il prétend que vous pesez 1,5 milliard de dollars. Vous, vous affirmez 3,7 milliards de dollars. Quel est le bon chiffre ?

Je ne dis rien. Business Week et Fortune ont des chiffres beaucoup plus élevés que ceux de Forbes. Je connais beaucoup de gens sur le classement de Forbes qui ne devraient pas être là. C’est une étude très imprécise. Malcolm Forbes semble vouloir me sous-estimer. Business Week et Fortune, eux, n’ont pas de bateaux…

Vous continuez à faire toujours plus d’affaires, à accumuler toujours plus de richesses. A partir de combien cela devient-il suffisant ?

Tant que j’apprécie ce que je fais sans m’ennuyer ni me fatiguer… The sky is the limit.

“Je pense à l’avenir, mais je refuse de le décrire à l’avance. Tout peut arriver. Mais je pense souvent à la guerre nucléaire.”

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