Playboy (France)

LOVE IS JOHN

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L’actu d’hier est aussi ceLLe de demain. en 1970, John Lennon, orpheLin des BeatLes , sort avec Yoko ono L’aLBum John Lennon /pLastic ono Band, son premier aLBum soLo. — Par didier Lestrade

JOHN LENNON/PLASTIC ONO BAND - JOHN LENNON (PARLOPHONE, 1970)

Tout a été écrit sur la séparation des Beatles qui a été ressentie comme une fracture majeure de la culture des années 60. dans ma famille, ce divorce musical illustrait celui de mes parents et le rock a servi de ciment entre mes trois frères et moi, d’ailleurs nos discussion­s sur les rolling stones versus les Beatles étaient tout à fait représenta­tives de ce que disaient les fans à travers le monde. nous avons donc attendu le premier album de Lennon et Yoko ono avec rage, tristesse et une immense curiosité. pourtant, dès les premières écoutes, cette appréhensi­on fut retournée comme un flip-flop magistral : nous avions dans les mains un classique instantané, rempli de révolte, qui donnait la chair de poule, qui nous expliquait pourquoi John Lennon devait absolument être libre pour mériter notre amour.

NIQUE TA MÈRE

Le glas des quatre sons de cloche du premier titre, Mother, scellait définitive­ment l’enterremen­t du « groupe » dont on n’osait presque plus prononcer le nom et tout de suite Lennon adressait un message glacial à sa mère Julia décédée en 1958, une déclaratio­n colérique très opposée au message admiratif habituel sur la condition de mère, en tout cas diamétrale­ment différente de celle, plus récente, de Beyoncé dans Lemonade. un père qui est parti, une mère qui ne voulait pas de lui, des parents absents qui ont fait de lui une star (I Found Out). a 12 ans, j’avais du mal à comprendre comment on pouvait chanter un truc aussi dur envers sa propre mère, en tout début d’album en plus, mais j’ai alors compris qu’il faudrait partir le plus vite possible. 1970 marque le début de la première décennie de contestati­on familiale. on s’engueulait avec les parents sur tout. ces règlements de compte se manifesten­t dans presque tout l’album et appellent à la révolution intérieure, loin, des hippies et des drogues.

WORKING CLASS HERO

Lennon est écorché quand il parle de la libération des femmes (Well Well Well) ; il insiste sur une condamnati­on des religions (trois chansons sur onze : I Found Out, Working Class Hero, God) qui serait impossible aujourd’hui avec tout se qui se passe dans le monde ; il préfigure le punk des talking heads et de richard hell dans I Found Out, il prépare le Fame de Bowie dans Isolation ; il crée le plus bel hymne politique dans Working Class Hero. c’est avec cet album que Lennon se décrit comme un héros de la classe ouvrière. il n’aura jamais pu être aussi nihiliste dans le cadre des Beatles, ici il peut vraiment exprimer ce qu’il pense de l’état de la civilisati­on après mai 68 et dans ce sens, cet album est aussi un miroir du monde actuel. c’est le protest album que tout le monde espère aujourd’hui et qui ne sort pas parce que les mots modernes sont désormais trop compliqués pour être compris sur les cinq continents. il y a quelque chose de rudimentai­re chez Lennon qui le sépare de tout le reste, en particulie­r Bob dylan, toujours trop complexe, presque incompréhe­nsible. La production de l’album, si rudimentai­re, avait alors choqué car elle avait un aspect volontaire­ment mal fini malgré l’aide de phil spector sur deux chansons, mais on a vite compris que c’était le meilleur moyen pour Lennon d’aller droit au but, sans le bullshit qui règne suprême dans la pop d’aujourd’hui. et des millions de personnes, comme moi, ont entrepris de le suivre en essayant de devenir des working class heroes, des gens rejetés par le système mais qui tentent de garder leur intégrité.

YOKO LA RÉDEMPTION

Plastic Ono Band alterne ces moments de colère avec des balades qui vous font fondre comme Hold On, Look At me. Lennon se dévoile tout en s’adressant sans cesse à ses fans et leur fait comprendre méthodique­ment qu’il doit être libre et que Yoko est sa rédemption, pas cette femme dangereuse que les médias insultaien­t alors. il utilise des arrangemen­ts simples à la guitare ou au piano pour ne garder que le fil le plus fin de la mélodie, comme dans Love ou la berceuse My Mummy’s Dead, il poursuit le style des Beatles et le débarrasse de ses artefacts. La photo de la pochette de l’album, prise à l’instamatic, est une image champêtre, automnale, où le couple John/Yoko ne regarde pas l’objectif mais le paysage doux et serein du futur, ensoleillé, caché du public. au même moment, George harrison sort le double album All Things Must Pass avec l’énorme révélation mystique qu’est My Sweet Lord. un an plus tard exactement, c’est le premier disque de paul mccartney et Wings, critiqué à sa sortie mais qui s’avère être un des plus beaux de sa carrière, là aussi avec une pochette de disque campagnard­e, poétique, heureuse. et quatre chansons magnifique­s qu’il faut écouter ou découvrir aujourd’hui : Love Is Strange, Some People Never Know, I am Your Singer et Dear Friend. Finalement, chacun des Beatles tourne la page en revenant à la simplicité de la nature. Les fans meurtris comprennen­t que la liberté de leurs idoles est le cadeau le plus important à leur offrir. au lieu d’un groupe, quatre stars indépendan­tes qui multiplien­t l’héritage commun en explorant quatre directions différente­s. « The dream is over », chante Lennon à la fin de God avec tristesse mais sa catharsis est faite. sting dira plus tard : « If you love somebody, set them free », en parlant de l’afrique du sud. c’est cette soif d’indépendan­ce qui fera du premier disque de Lennon et Yoko ono un des meilleurs de l’histoire du rock.

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John Lennon/plastic ono Band - John Lennon (parlophone, 1970)

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