S’AFFRANCHIR DE L’ÉROTISME
EOR ES BATAILLE LES LARMES EROS
George Bataille a eu un rôle essentiel, souvent insoupçonné, dans nos vies. il a su mettre des mots sur nos désirs les plus fous, les plus enfouis. «Le mouvement charnel est singulièrement étranger à la vie humaine : il se déchaîne en dehors d’elle, à la condition qu’elle se taise, à la condition qu’elle s’absente », théorise l’écrivain dans sa quête d’une essence de l’érotisme où notre attrait pour le corps étranger passe par des pulsions animales et mystiques.
avec sa tête de grand-père modèle au nez aquilin, Bataille n’a rien du physique d’un pervers. comme le marquis de sade, enfermé pour avoir écrit tout haut ce que beaucoup faisaient en silence, Bataille a le teint apaisé et la pommette haute : le visage d’un homme libre. il est un révélateur, une lumière qui veut bannir à jamais l’obscurantisme des interdits. Bataille a désaliéné les hommes du poids des conventions en leur donnant les clés de ce que la société s’acharne à rendre mystérieux, prohibé, coupable : nos désirs et leurs zigzags, notre sexualité dans toutes ses contradictions.
LA ORME E ISTE PAS
dans ses romans, la bien-pensance des rapports conventionnels entre les sexes est toujours bouleversée par l’apparition de personnages qui se placent au-delà du Bien et du mal. Les femmes sont belles, désirables, déesses de pureté, mais savent aussi manier la perversité, la violence et la domination. Les hommes dirigent, commandent, en imposent, mais finissent écrasés par leurs envies inavouables de servitude volontaire, de déviance joyeuse. à chaque page, une nouvelle transgression nous fait face, interpelle le lecteur, comme une claque, pour nous rappeler que la « norme » n’existe pas dans le plaisir qui prend corps et âme. Beaucoup de livres de Bataille auraient pu être citées comme autant de cris d’un coeur libérateur: le Bleu du ciel raconte l’amour impossible de l’écrivain et de dirty, femme « Aussi belle qu’elle était saoule ». idem dans Histoire de l’oeil où tous les orifices du corps, mêmes oculaires, s’ouvrent pour laisser passer la jouissance et le soleil. L’obsession de la lumière rédemptrice revient dans l’essai sur van Gogh où l’artiste mutilé, fasciné par l’astre jaune, s’échappe par le regard d’un monde trop sombre, d’une société trop sclérosée
EROS MEETS T A ATOS
mais c’est l’essai sur les Larmes d’Eros qui demeure le tour de force le plus habile. Bataille est vieux, il se sait en bout de course. il ne veut pas quitter la vie sans léguer une ultime arme pour contrer l’oppression des tabous. menacé par le censure d’avant mai 68, il prétexte une histoire de l’art pour parler de cul. publié dans la Bibliothèque internationale d’érotologie de l’éditeur libertaire Jean-Jacques pauvert, qui regroupe notamment une mythique Métaphysique du Strip-Tease, le texte de Bataille, agrémenté d’images allant des peintures préhistoriques de Lascaux aux dessins des surréalistes, retrace les évolutions des désirs de l’être humain. Bataille met à nu une constante que chacun d’entre nous a du mal à assumer : la jouissance n’existe pas sans souffrance. eros, pulsion érotique, roule des pelles à thanatos, désir de mort. Les deux amants antagonistes sont inséparables, en nous… et en l’art! dans le noir absolu de Goya, dans le regard des vierges baroques, dans les sculptures antiques ou dans les dessins d’andré masson. Les artistes révèlent ce que les hommes cherchent à enfouir : se faire du bien, c’est aussi se faire du mal. même dans une époque qui se dit libérée, le propos de Bataille a toujours toute sa force et son importance. car le combat pour le désir libre n’est jamais achevé, la bataille n’est jamais acquise.
en 1961 paraît Les Larmes d’eros. son auteur, GeorGes BataiLLe, Y prétexte une histoire L’art pour parLer de cuL. maLin, aLors que La censure Fait raGe.