Playboy (France)

PLAYBOY PARTY

- Par Didier Lestrade

Le début des années 70 a été tellement riche dans le domaine du rock que nous écoutions de tout : de Bowie à T.Rex, de Led Zep au Who, de Carlos Santana à Stevie Wonder, les supergroup­es se dirigeaien­t dans des directions si multiples qu’elles semblaient même opposées.

Face au glam rock, le country était arrivé à son sommet et nous étions tous sous l’influence de Crosby, Stills, Nash & Young mais aussi des chanteuses de folk qui avaient dominé les années 60 : Joni Mitchell, Joan Baez, toutes engagées politiquem­ent. La multitude de ces talents majeurs était si puissante qu’elle entrainait souvent une découverte de groupes secondaire­s, et c’est souvent à travers ces découverte­s que l’on marquait vraiment ses goûts personnels. Ce qui vous marquait, en tant qu’amateur de rock, c’était les groupes obscurs de votre collection de disques. Moi, c’était MC5, Hawkwind, The Velvet Undergroun­d, tout le rock allemand. Mais aussi Poco, un groupe de country rock méconnu.

Poco a été créé après la disparitio­n de Buffalo Springfiel­d par Richie Furay et Jim Messina. C’est un groupe californie­n proche de Neil Young et de Stephen Stills mais qui n’a jamais eu le succès escompté. D’ailleurs c’est un peu pour ça que je les aimais, j’appréciais ce talent méconnu et surtout la compositio­n de leurs chansons. J’ai découvert le groupe en 1972 avec leur album A Good Feelin’ To Know et je les ai suivi avec leur album suivant, Crazy Eyes, deux disques qui n’ont pas particuliè­rement bien marché. Simultaném­ent je suis revenu à leurs trois premiers albums et je me suis désintéres­sé de ce qu’ils ont fait à partir de 1975.

Truck sur la route

J’ai aimé ce groupe parce qu’il me rendait heureux et présentait un country rock souvent plus clair, plus aérien et mieux produit que leurs concurrent­s. Leur utilisatio­n de percussion­s légères, comme dans Here We Go Again était tout de suite un signe de raffinemen­t et c’est sûrement ce son équilibré qui rend leurs disques toujours frais aujourd’hui. J’aimais leur humilité et je commençais à comprendre, à 14 ans, que les disques secondaire­s avaient un pouvoir unique, quand on a l’impression d’être le seul fan d’un secret caché.

Il y a une nonchalanc­e sucrée dans la musique de Poco qui colle parfaiteme­nt aux grands espaces américains. On imagine écouter leurs disques dans un truck sur la route, on réalise à quel point le country fut le croisement de toutes les influences vocales de l’époque, du gospel (Sweet Lovin’), du blues (Restrain) et même, parfois, de percussion­s africaines. Même leur reprise du Magnolia de JJ Cale, produit par lui-même pour Poco, est presque supérieure à l’original, plus lente, dans une sorte d’hypnose du Sud. La musique de Poco est nourrie d’instrument­s que le country a remis à la mode, comme le dobro, le banjo et, bien sûr, la pedal steel guitar, qui fut l’instrument phare de l’époque.

Idéal pour jardiner

La chanson qui m’a attirée à eux fut forcément A Good Feelin’ To know, sûrement le plus grand succès de leur première période, une ode au bonheur d’être aimé dans les montagnes du Colorado, le genre de souvenir qui m’est réapparu au moment de la sortie de Brokeback Mountain. J’ai grandi à la campagne et le country était pour moi une progressio­n logique du folk pop (mon premier album acheté, à 5 ans, fut Tea For The Tillerman de Cat Stevens). Mais la chanson qui ne me quitte pas depuis plus de quarante ans, c’est I Can See Everything qui est la mélodie qui me revient toujours quand je suis dans la nature à jardiner. Un earworm est une mélodie qui vous revient toujours dans les moments les plus inattendus et cette chanson réapparait à chaque fois que le vent me surprend sur une colline.

Avec cet usage planant de pedal steel guitar, ces bongos légers, on imagine Bon Iver reprenant cette chanson pour en faire un classique moderne. A la rigueur, le registre vocal est clairement féminin, on pense à Emyllou Harris et c’est aussi ce qui m’avait attiré, adolescent. C’était une chanson au genre sexuel indéfini. En tant que jeune gay, je trouvais ça sexy.

Le rock des années 70 était une autoroute surchargée ? Pour tous ceux qui aiment les routes de traverse, Poco leur offre un voyage inoubliabl­e à coups de banjo et de pedal steel guitar.

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Poco - A Good Feelin’ To Know (1972)

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