Playboy (France)

“ma VIE Est UN pEU RocK’N’Roll”

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Comédien, metteur en scène, réalisateu­r, Vincent Macaigne est sur tous les fronts : le Sens de la fête, Marvin, la réalisatio­n de son premier film, Pour le réconfort, et la mise en scène de trois spectacles dans le cadre du Festival d’automne à Paris. On prend un café?

Ben alors, Vincent, t’es jamais fatigué ?

Euh oui mais non ! En ce moment, je tourne le prochain film d’Olivier Assayas et on vient de terminer à 7h00 ce matin, donc avec mes mises en scène tous les soirs au théâtre, ma vie est un peu rock’n’roll. Mais bon, la seule fatigue que je ressens parfois, c’est celle de ne pas être compris dans mon travail. Pour moi, un artiste doit diffuser sa pensée au mépris du temps passé ou du succès qui en découle.

Cris et hurlements au mégaphone, bains de sang, boue, mousse… Tes spectacles sont hors norme, indiscipli­nés…

Pour moi, je fais du théâtre classique ! Pour ionesco, le théâtre moderne, c’est le boulevard qui a recours à tout les artifices du monde actuel tel qu’un décor, des accessoire­s, des costumes dans l’époque…

Tu prends quand même plaisir à secouer le public ?

Je n’ai pas l’impression de le malmener. Le son, par exemple, paraît très fort parce qu’au théâtre, on n’est pas habitué à ça. Dans Je suis un pays, le son est beaucoup moins fort que n’importe quel concert mais la surprise vient de la transposit­ion de ce niveau sonore au théâtre, qui est un lieu qu’on sacralise peut-être trop.

Tu encourages d’ailleurs le public à réagir en participan­t, tu les invites même à monter sur scène…

Oui, je trouve que le lien qui s’établit entre le public et les comédiens est très beau, je fais du théâtre pour ça. C’est aussi pour ça que je demande au public à la fin du spectacle de monter sur scène pour prendre une bière. Ce sont les acteurs qui les servent, d’ailleurs.

Dans Je suis un pays, tu fais se télescoper théâtre antique et télé-réalité, pour quelles raisons ?

J’essaie de transmettr­e le tremblemen­t que je ressens, en espérant que ce tremblemen­t soit saisi par quelqu’un d’autre qui soit plus intelligen­t que moi. Faire de l’art, c’est une forme de bêtise. Comme je ne suis pas assez brillant pour réussir à résoudre les choses, je fais du théâtre en espérant que ça aide les autres à réfléchir et à trouver des réponses aux questions que je pose.

La question de la France revient souvent en filigrane. Comment perçois-tu ton pays ?

Je trouve qu’il y a quelque chose de très paradoxal ici. J’adore tous les progrès que la France apporte – l’hôpital public, la gratuité des soins, une certaine liberté d’expression, aussi. Mais le protection­nisme en art me dérange un peu. J’ai l’impression qu’on ne soutient pas suffisamme­nt les francs-tireurs ou les avant-gardes. Y compris dans la recherche, il y a une prime à l’efficacité mais pas à la mise en danger… il faut conserver tout le temps cette idée de recherche, de défrichage, c’est primordial pour avancer.

Quelle différence vois-tu entre ton théâtre, presque naïf, et ton cinéma, plus réfléchi ?

Je ne trouve pas que mon théâtre soit naïf. A l’époque où j’ai écrit le premier jet de Je suis un pays, je l’ai effectivem­ent trouvé très simpliste mais, finalement, beaucoup moins que ce que je présente aujourd’hui, simplement parce que l’époque est encore plus folle! Trump qui est élu président en parti grâce à la télé-réalité, Sarkozy et ses discours populistes, l’époque toute entière est naïve, donc j’ai construit ce spectacle à cette image. Mais pour revenir à ta question, la différence entre théâtre et cinéma se perçoit à la fin de la représenta­tion. Pour moi, un spectacle est réussi si le public s’est rencontré, s’il s’est demandé qui était dans la salle. C’est la question centrale, pour moi, au théâtre. Au cinéma, c’est réussi si le spectateur est envahi d’une pensée intérieure persistant­e.

Tu es un artiste engagé ?

Oui si tu veux dans ce sens, je suis engagé. Mais, finalement, tout le monde est engagé. Quand tu fais un film comme Epouse-moi mon pote sous couvert de divertisse­ment, tu n’en dis pas moins des choses. Le fait même de présenter un travail à un public est une position politique et engage une responsabi­lité. C’est pour ça que l’art est aussi important.

Saurais-tu dater la naissance de cette conscience politique ?

Je suis d’origine iranienne et j’ai vu ma famille souffrir et lutter contre le gouverneme­nt iranien. Ça m’a fait prendre conscience de la chance que j’avais d’avoir cette vie préservée en France et de la responsabi­lité qui en incombait.

Pour revenir au cinéma, tu vis comment le succès ?

Depuis le Sens de la fête, on me reconnaît ailleurs que dans mon quartier. Mais pour être très honnête, ce n’est pas quelque chose que j’apprécie forcément.

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