Première - Hors-série

LA LÉGENDE DE MARK HAMILL

- BENJAMIN ROZOVAS

Pourquoi a-t-on tendance à minimiser la performanc­e de Mark Hamill dans Star Wars? Comme si ses grands yeux expressifs ne remplissai­ent pas tout l’écran. Les Derniers Jedi veut recoller les morceaux avec le héros de notre enfance.

En 1977, La Guerre des étoiles a bien failli être le premier ET le dernier film tourné par Mark Hamill. Rien que d’y penser, ça fout les jetons. Le 11 janvier 1977, cinq mois avant la sortie du film, Hamill conduit sa nouvelle BMW sur une autoroute du sud de la Californie, pied au plancher, écoutant l’Ouverture 1812 de Tchaïkovsk­y à plein volume. Comprenant qu’il est sur le point de rater sa sortie, il braque d’un coup sec dans l’espoir de traverser les quatre voies qui le séparent de son but, mais la voiture se retourne et effectue quelques cabrioles avant d’échouer avec fracas sur le bas-côté. Hamill se retrouve avec le nez et l’arcade de la joue explosés. Le visage de jeune premier qui s’apprête à illuminer les cinémas du monde entier à l’affiche du premier Star Wars est devenu méconnaiss­able. « Je me suis réveillé à l’hôpital et j’ai compris que c’était grave, racontera l’acteur un an plus tard. Quand on m’a tendu le miroir, la première chose qui m’a traversé l’esprit était que ma carrière était foutue. » Les chirurgien­s ont pu réparer les dégâts en utilisant le cartilage de son oreille pour lui reconstrui­re le nez, mais dans la comédie ado Corvette Summer, tournée six mois après l’accident, il n’a déjà plus les traits fins et naïfs du jeune fermier de Tatooine. Dans l’infâmant Holiday Special de 1978, Mark Hamill apparaît sous une épaisse couche de maquillage, shooté aux antidouleu­rs. Pour L’Empire contre-attaque, une sous-intrigue est introduite à la dernière minute dans laquelle Luke, sur la planète Hoth, se fait griffer au visage par un Wampa, justifiant ainsi la cicatrice sur sa joue gauche. Hamill n’a jamais vraiment reparlé de l’accident en public, sinon pour reconnaîtr­e son existence. En mai 1981, un an après la sortie de L’Empire..., il déménage à New York avec sa femme, une hygiéniste dentaire rencontrée sur le tournage. Son plan consiste à élargir son registre dramatique en faisant un peu de théâtre

avant de rejoindre les studios Elstree, en Angleterre, pour la production du Retour du Jedi. Mais le film, bouclé à l’été 1982, sera son dernier tourné pour le cinéma. Le début d’une traversée du désert longue de trente-trois ans. Jusqu’au Réveil de la Force, en 2015. D’une certaine manière, les Star Wars ont donc bien été les premiers ET les derniers films tournés par Mark Hamill. Et ça aussi, ça fout les jetons.

Harrison Ford a décroché la timbale avec Star Wars. La saga a fait de lui une superstar et Han Solo reste dans le peloton de tête des personnage­s les plus populaires de l’histoire du cinéma (après Vador, bien sûr). Mark Hamill, lui, a tiré le mauvais cheval. Pour commencer, il joue le héros bleusaille ordinaire, lancé dans une quête initiatiqu­e périlleuse. Luke Skywalker essaye beaucoup, échoue souvent. Sa coupe de douille et ses bouderies rêveuses lui ont probableme­nt causé du tort. Le héros boy-scout n’a simplement pas la cote, surtout dans un univers aussi riche et digressif que celui de Star Wars, où le regard a tendance à glisser sur les thèmes principaux (universels) pour s’attarder sur les éléments les plus périphériq­ues de l’histoire. Han Solo passionne. Boba Fett fascine. Anakin/Vador électrise, mais uniquement parce qu’il vient sporadique­ment aspirer l’air de la pièce. Lorsqu’il devient à son tour le héros adolescent en pleine croissance, la star des films (les épisodes I à III de la prélogie), le monde entier se met à le détester... Pour le privilège de passer après Han, Chewie, R2-D2 et les autres dans la hiérarchie des héros de Star Wars, Mark Hamill a payé le prix fort. C’est en 1983 qu’il commence à sentir le vent tourner, lorsque le promoteur de la pièce à sensation The Elephant Man imprime des affiches de l’acteur en tenue de Jedi, auréolé de la mention : « La Force continue... sur Broadway ! » Quelques mois plus tard, Hamill remplace Tim Curry à l’affiche d’Amadeus, mais Milos Forman refuse de l’auditionne­r pour l’adaptation cinéma, prétextant qu’il ne veut pas de Luke Skywalker dans son film. À jamais associé au chevalier Jedi, le visage de Mark Hamill est prié, du jour au lendemain, de ne plus se montrer. L’accident de voiture, bien que coûteux, n’avait pas totalement anéanti ses rêves de cinéma. C’est Star Wars qui s’en est chargé.

Un acteur de voix

Il fit alors ce que tout acteur sans visage ferait dans sa situation : il devint une voix. Son amour des comics l’aida à décrocher le rôle du Joker dans la série animée Batman, en remplaceme­nt de Tim Curry (!). L’antithèse absolue de Luke Skywalker. Un portrait hanté et dérangeant, sorti des entrailles de l’enfer, qui vibre délicieuse­ment à l’oreille des enfants. La référence Joker indépassab­le pour les fans hardcore de DC. Ouvert à tous les jobs de sous-culture, Mark Hamill s’est imposé ces dernières années comme l’un des comédiens de voix les plus cotés du marché. Le plus versatile et caméléon des has been... Il n’avait pas disparu ; il travaillai­t. En quarante-sept ans d’une carrière étonnammen­t remplie, il n’a jamais arrêté. La grande erreur serait de croire que Mr Hamill n’a pas le talent ou le niveau nécessaire pour revenir jouer dans Star Wars. Ou pire : qu’il n’est pas (suite page 96)

LES STAR WARS ONT ÉTÉ LES PREMIERS ET LES DERNIERS FILMS TOURNÉS PAR MARK HAMILL.

« POUR MOI, STAR WARS EST UNE COMÉDIE. VOUS AVEZ UN CHIEN GÉANT QUI PILOTE UN VAISSEAU, UN GAMIN QUI DÉBARQUE D’UNE FERME ET DEVIENT DINGUE D’UNE PRINCESSE QU’IL N’A VUE QU’EN HOLOGRAMME. IL Y A CES DEUX ROBOTS QUI SE DISPUTENT... ET TOUTE CETTE BANDE RENCONTRE UN SORCIER AVANT D’EMPRUNTER LE VAISSEAU D’UN PIRATE. SÉRIEUSEME­NT, C’ÉTAIT COMPLÈTEME­NT DÉLIRANT! » MARK HAMILL

personnell­ement responsabl­e de notre attachemen­t profond à la saga. Les robots, les vaisseaux, les loupiotes, c’est bien joli, mais l’univers commence (et finit) quelque part. Et qu’on le veuille ou non, il tourne autour de Mark Hamill, de son talent de conteur, de son timbre nasillard et romantique, de cette conviction étrangemen­t contagieus­e qu’il met à réciter des dialogues aussi abscons que « les champs de force électromag­nétiques n’auront jamais la même puissance de répartitio­n que sur Alderaan ». Il avance ses grandes billes bleues sur l’écran de contrôle en plastique dur, et on y croit. C’est sa main que Vador sectionne en haut de la tour de guet. Son reflet, qu’il emmène avec lui dans la cave aux cauchemars. Sa voix, grave et mélancoliq­ue, qui demande à Leia de lui parler de sa mère. Les cordes sensibles de Star Wars vibrent à travers lui. Dans Le Réveil de la Force, un seul plan sur son visage grisonnant suffit à conjurer le feeling des films précédents, et à renouer avec la période classique. Un seul plan, sans paroles... Bon. Il veut bien l’admettre : « C’est moyen pour un acteur de voix ».

Luke ad vitam aeternam

Maintenant que Le Réveil de la Force a rectifié le tir avec Skywalker, lui rendant la place qui est la sienne dans l’univers, Les Derniers Jedi déroule le tapis rouge à Mark Hamill. Le film semble promettre un grand rendez-vous pop : les retrouvail­les de Luke avec son public historique, la fin d’un long silence de trente-trois ans. J.J. Abrams, de son côté, fait déjà campagne pour l’Oscar du Meilleur acteur. Non pas que Mark ait son mot à dire dans l’histoire. Son job consiste à recevoir le script, et à le jouer face caméra. Il a accepté beaucoup de choses en ce qui concerne Star Wars, et notamment de tenir ce rôle jusqu’à la fin de ses jours, d’en rester l’humble et dévoué serviteur, pour les fans bien sûr, mais aussi, n’ayons pas peur des mots, pour l’humanité. En réalité, il a surtout accepté parce qu’il n’avait pas le choix. « Je ne suis pas sûr de ce qui se serait passé si j’avais refusé de revenir, déclarait-il en 2015 à propos du Réveil de la Force. Les gens se seraient peut-être pointés chez moi avec des piques et des fourches. » Autre chose surprenant­e à propos de Mark Hamill : il était geek avant tout le monde. Rêvant d’une carrière syndiquée chez Marvel, il a grandi entouré de comics et de figurines à collection­ner. S’il ne jouait pas dedans, il serait probableme­nt un fan hystérique de Star Wars à l’heure qu’il est. Ce qui ne l’empêche pas de donner de sa personne, multiplian­t les apparition­s sabre à la main, piégeant les quidams dans la rue et retournant les late shows avec le pouvoir de la Force. L’oeil malicieux, et le sourire vétéran en bandoulièr­e. Personne ne peut dire s’il s’amuse vraiment, ou s’il fait juste semblant. Dans tous les cas, un très, très bon acteur.

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Le Retour du Jedi, de Richard Marquand.
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 ??  ?? La Guerre des étoiles, de George Lucas.
La Guerre des étoiles, de George Lucas.
 ??  ?? Luke Skywalker et Yoda (L’Empire contre-attaque).
Luke Skywalker et Yoda (L’Empire contre-attaque).
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