Première - Hors-série

LES EWOKS CONTRE -ATTAQUENT

- PAR DAVID FAKRIKIAN

Douche froide pour tous les fans de Star Wars en 1983. Après trois années de fantasmes fous entretenus par le brillant premier épisode des aventures d’Indiana Jones (1981), des centaines de millions de préados découvrent l’ultime volet de la trilogie qui les a bouleversé­s depuis 1977, Le Retour du Jedi. Avec Luke Skywalker tout de noir vêtu et Leia en bikini, certes, mais aussi la résurrecti­on de Han Solo en adolescent boudeur, jaloux et capricieux, le gros muppet Jabba le Hut et aussi, oh, les Ewoks.

C’est La Menace fantôme, avec seize ans d’avance, la brebis galeuse de la trilogie originelle, le doigt d’honneur de George Lucas en direction de son public de base, celui des deux premiers films. Sortis par la grande porte,

Six ans après, les premiers enfants de Star Wars ont grandi, Luke Skywalker est devenu adulte, mais George Lucas opte pour une régression infantile qui marque un premier divorce génération­nel.

le réalisateu­r Irvin Kershner et le producteur Gary Kurtz laissent Lucas entouré par des yes men serviles, avec un seul mot d’ordre : livrer un film pour enfants, dans la tradition du premier, en laissant tomber le virage plus mature annoncé par L’Empire contre-attaque.

Retour aux sources

George Lucas n’a pas digéré le relatif fiasco financier de L’Empire..., un film trop adulte à ses yeux, qui a rapporté outre-Atlantique 100 millions de dollars de moins que La Guerre des étoiles. Il tente donc de rééditer le « coup » du premier Star Wars par un retour aux sources. « Nous sommes revenus au style de tournage du premier film, explique Mark Hamill, le même que celui utilisé pour Les Aventurier­s de l’Arche perdue. Le principe était “dernière prise !” et si elle n’était pas bonne, tant pis, on passait à la scène suivante. On ne faisait pas plus de trois prises. La vitesse de tournage sur L’Empire... était bien plus lente. On avait explosé le planning, ce qui a entraîné des coûts astronomiq­ues. Avec Le Retour du Jedi, George est revenu à l’économie. C’était tout le temps “allez, allez, allez, allez !” »

Cette fois, le film est tenu d’une main de fer par Lucas, malgré la présence de Richard Marquand comme réalisateu­r. En permanence sur le plateau (alors qu’il avait laissé Kershner maître à bord pour le film précédent), il passe son temps à donner des contre-ordres aux acteurs, à changer les caméras de place et même les focales, au point que le directeur photo Alan Hume quittera le tournage, stupéfait par la façon dont était traité Marquand, et sera remplacé par son opérateur caméra Alec Mills. Un opérateur caméra aux commandes de la direction photo : tout s’explique ! L’iconograph­ie reste impeccable (les premières photos font monter l’excitation des fans du monde entier, notamment en France avec la publicatio­n d’un hors-série du magazine culte Starfix), mais les premiers signes d’inquiétude apparaisse­nt quand le titre, originelle­ment La Revanche du Jedi, est changé pour Le Retour du Jedi, jugé moins violent et plus accessible. À la sortie, la déception est brutale. Le résultat est très loin des fantasmes entretenus pendant les trois années qui ont précédé le film. Ne regardant que les chiffres, obsédé par l’idée de pouvoir financer le Skywalker Ranch avec les bénéfices de la saga, Lucas réussit son pari, Le Retour du Jedi rapportant cinquante millions de plus que L’Empire contre-attaque. Mais à quel prix ?

Un nouveau public

Au fond, Lucas vient de « rebooter » une première fois la saga, visant avec les infantiles Ewoks, le baveux Jabba, l’immaturité régressive de certains dialogues et le bikini « serialesqu­e » de Leia, un nouveau public, qui découvre Star Wars sans avoir vu les deux films précédents, les magnétosco­pes VHS étant alors des produits

de luxe peu répandus. Le film est donc, par essence, un remake faiblard de La Guerre des étoiles et des meilleurs moments de L’Empire contre-attaque, avec une nouvelle Étoile noire et une nouvelle révélation – Leia est la soeur Skywalker – rendant à rebours la scène de L’Empire... où elle embrasse Luke sur la bouche, sacrément osée. Malgré la présence de Lawrence Kasdan à l’écriture, la version initiale a été repensée, après d’interminab­les séances de travail avec Lucas, jusqu’à ce que toute trace de sensibilit­é « adulte » soit effacée. (On murmure que Kasdan aurait conservé tous les enregistre­ments de ses réunions, et qu’il ne se prive pas de piocher des idées à l’intérieur pour les nouveaux films).

Vador démasqué

Le plus grand choc pour le public, une trahison pour les fans, est sans aucun doute la révélation de Vador en vieux monsieur grassouill­et et débonnaire sous le masque. Dans L’Empire contre-attaque, Irvin Kershner nous avait montré de dos un tout premier aperçu d’un Vador monstrueux, à la peau atrocement mal cicatrisée. Son apparition en retraité dans la scène finale du Retour du Jedi est vécue comme un affront, une première revisitati­on/révision de l’histoire (Lucas en deviendra un habitué avec les éditions spéciales), une provocatio­n de George Lucas envers tous ceux qui l’ont aidé à bâtir son succès, le vrai début de sa relation amour-haine et sado-maso avec son public.

Pour les fans, comme pour Lucas, qui divorce de sa femme Marcia juste après Le Retour du Jedi et entame un passage à vide ponctué de production­s qui sont pour la plupart des fours, les années qui suivent sont très rudes et très noires. Une énorme sensation domine le monde des fans de Star Wars, celle d’avoir été floué, comme si un Terminator avait remonté le temps et réécrit notre histoire, nous aiguillant dans un monde alternatif qui nous prive de la timeline originale, où Le Retour du Jedi est un film bouleversa­nt, où les pères et les fils s’entretuent et où Han Solo meurt tragiqueme­nt, comme le souhaitait Harrison Ford. Certes, George Lucas saura en tirer la leçon et ne refera pas la même erreur avec la prélogie qui grandira avec son ( jeune) public, d’épisode en épisode et se terminera avec La Revanche des Sith dans un noir profond et absolu pour son personnage principal. Mais on ne peut s’empêcher de penser qu’il aurait pu, aurait dû, avoir autant de compassion et de considérat­ion, pour nous, la première génération.

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 ??  ?? Maître Yoda (L’Empire contre -attaque).
Maître Yoda (L’Empire contre -attaque).
 ??  ?? Le Retour du Jedi, de Richard Marquand.
Le Retour du Jedi, de Richard Marquand.
 ??  ?? Carrie Fisher dans Le Retour du Jedi.
Carrie Fisher dans Le Retour du Jedi.

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