IL N’Y A PAS DE MORT IL Y A LA FORCE
Mai 1987. Le week-end du Memorial Day, Gene Roddenberry, créateur de Star Trek, se glisse dans les coulisses de la convention Star Wars qui fête les dix ans de la saga. C’est la première convention officiellement soutenue par Lucasfilm, et elle se déroule à Los Angeles, dans l’hôtel Stouffer Concourse. Dix mille fans voient Gene rejoindre George Lucas sur scène (à la grande surprise de ce dernier), marquant la seule et unique rencontre connue entre les deux hommes. À travers eux, les deux plus grandes franchises SF de l’histoire se croisent – et se passent le témoin ? – le temps d’une poignée de mains. D’un côté, la série télé mythique où un fantasme d’humanité unie (Noirs, Asiatiques, femmes, hommes) explore les étoiles dans un but pacifique ; de l’autre, une trilogie de films politiques sur les gentils rebelles opposés au méchant Empire. Tout un symbole : non seulement, Lucas n’a cessé de répéter que « sans Star Trek, il n’y aurait pas eu Star Wars », mais surtout, l’événement marque en quelque sorte l’avènement officiel d’une armée de fans de Star Wars organisée, sur le modèle des trekkies...
Après Le Retour du Jedi, la saga Star Wars entre en hibernation. La franchise survivra grâce à la passion des fans, paradoxalement nourrie par l’absence de nouveaux films.
Memorial Day
La convention de 1987 était là pour honorer George Lucas et fêter les dix ans du premier film, d’accord, mais elle fournissait aussi le motif des conventions suivantes, avec des conférences – payantes – où les acteurs iconiques de la saga régalent le public d’anecdotes. En 1987, seuls Billy Dee Williams (Lando Calrissian), Anthony Daniels (C-3PO) et l’illustrateur Ralph McQuarrie
ont fait le déplacement, à une époque où les artistes étaient encore accessibles et pouvaient répondre aux questions du public (ce qui est devenu inconcevable aujourd’hui). Ce week-end-là, Lucas reçut une carte postale géante signée par des milliers de fans, ainsi qu’une lettre de la part de Carrie Fisher et une autre de Jimmy Carter – sans oublier une missive du producteur du Retour du Jedi, Howard Kazanjian, qui souhaite à Lucas de donner aux fans « six nouveaux films, merveilleux et excitants, dans le futur ». En entendant ça, le public hurle sa joie. Il n’est pas rassasié de Star Wars.
Le grand sommeil
Et pourtant, les perspectives sont moroses concernant l’avenir de la saga. Plombé par son divorce en 1984, un an après la sortie du Retour du Jedi, Lucas n’a plus la flamme. Lucasfilm se diversifie et planifie coup sur coup Howard... une nouvelle race de héros, Willow, Indiana Jones et la Dernière croisade, Labyrinth et même la série Les Aventures du jeune Indiana Jones (sur laquelle il rencontre Bob Iger, l’homme qui, devenu PDG de Disney, lui rachètera Star Wars près de trente ans plus tard). Bref, tout plutôt que Star Wars. La sortie le 24 juin 1987 de la parodie de Mel Brooks, La Folle Histoire de l’espace et le décès du réalisateur du Retour du Jedi, Richard Marquand, en septembre, semblent symboliser la mise en carbonite de la franchise. Sans Internet et sans nouveaux films pour maintenir la flamme, Star Wars paraît voué à rapetisser et à devenir un fandom de niche, réduit à une convention annuelle et une attraction à Disneyland ( Star Tours qui ouvre en 1987). Même Howard Roffman, vice-président des produits dérivés chez Lucasfilm, ne parvient plus à placer les jouets Star Wars dans les magasins, dont les rayons sont squattés par les gros bonshommes des Maîtres de l’univers. « Star Wars est mort », entend-il partout. Lucas lui-même y croit-il encore ? « Star Wars n’est pas mort, il est en sommeil, répond-il, prophétique. Les enfants adorent tellement ce film... Un jour, ils grandiront et ils auront eux-mêmes des enfants. Et ce jour-là, on leur rendra Star Wars. »
Le réveil de la Force
De fait, le mythe Star Wars se révèle surpuissant. Le succès en octobre 1987 du jeu de rôle papier, seule publication officielle d’importance de la période, sera un premier réveil. Lucas ne produit plus de films Star Wars ? Qu’importe : les fans, boostés par le sentiment de manque et d’abandon, s’emparent de la Galaxie et créent leurs propres histoires. L’Héritier de l’Empire, premier roman « hors canon » signé Timothy Zahn, sort en 1991. Côté comics, alors que Marvel Comics a jeté
« STAR WARS N’EST PAS MORT, IL EST EN SOMMEIL. » GEORGE LUCAS
l’éponge en 1986, l’éditeur Dark Horse frappe un grand coup avec la publication de Dark Empire, également en 1991, qui raconte en six numéros une autre suite possible du Retour du Jedi avec clone de l’empereur et passage de Luke du côté obscur. Le succès permet à Dark Horse de développer comme jamais l’univers de Star Wars mais aussi de rééditer les BD Marvel et d’explorer le passé le plus lointain de la franchise ( Tales of the Jedi qui se situe 5 000 ans avant La Guerre des étoiles). Dark Horse gardera les droits jusqu’en 2015, quand Disney les récupérera pour les rendre à Marvel. Au cours des années 80, pendant que les films Star Wars sont au purgatoire, l’Expanded Universe, qui rassemble les créations qui ne sont pas signées George Lucas, vient de naître pour de bon. Plutôt qu’un culte underground bizarre, c’est une véritable nation geek qui se constitue. Développée, enrichie, la mythologie Star Wars se révèle increvable. Et interactive : les années d’absence ont fait muter l’ADN de l’univers Star Wars, désormais dominé par les fans eux-mêmes. Ils en feront ce qu’ils voudront pendant plus d’une décennie – et cela explique en partie la mauvaise réception de la prélogie, qui réaffirme la vision de Lucas et se clashe avec les fantasmes parfois délirants de la fanbase. Lucas a-t-il seulement lu les livres et les BD Star Wars ? Joué au jeu de rôle ? Rien n’est moins sûr. C’est en tout cas la découverte de Jurassic Park et la présence à ses côtés du producteur Rick McCallum qui pousseront George Lucas à annoncer, fin 1993, qu’il est bien décidé à tourner une nouvelle trilogie. Dont il commencera l’écriture le 1er novembre 1994. Le créateur, pendant toutes ces années, a laissé les fidèles s’emparer de son univers, en prenant le risque de le perdre. Mais la parenthèse est terminée. On ne joue plus.