TOUT DOIT DISPARAÎTRE
Au début des années 2000, Star Wars menait le combat en faveur du numérique et George Lucas, qui rêvait d’indépendance, fut déterminant dans son adoption par l’industrie. Toute sa vie, l’homme à la barbe a cherché à se construire les outils de sa libération, à plier la technologie à ses besoins, de sorte qu’il n’ait plus à composer avec les investisseurs, la réalité d’un plateau, la météo, les acteurs, etc. Sa quête du tout dématérialisé, disent certains, a toujours été la vraie raison de son regain d’intérêt soudain pour Star Wars... Quoiqu’il en soit, les épisodes I à III sont sortis pleins de pixels, automatisés, bizarrement inertes, soulevant d’un film à l’autre, au-delà d’une vague de sidération/protestation générale, une question leitmotiv : est-ce que ça allait s’arranger ? L’histoire flirtant de plus en plus avec le côté obscur, est-ce que L’Attaque des clones laverait l’affront de La Menace fantôme ? Et La Revanche des Sith, celui de L’Attaque des clones ? George allait-il prendre en compte les retours critiques et relever l’âge moyen du spectateur, comme le niveau pâquerette des dialogues et de la mise en scène ? En fait, non. De 1999 à 2005, les films se succédèrent, imperturbables, à raison d’un tous les trois ans, et leur immense succès en salles constituait théoriquement la preuve que leur créateur avait vu juste, et que Star Wars appartenait désormais à une nouvelle génération de gamins prépubères.
Bientôt, les épisodes de la prélogie Star Wars ne seront plus qu’une vieille anomalie remplie de fonds verts, de décors numériques et d’acteurs guindés, comme un mauvais rêve balayé sous le tapis.
Prequel business
La prélogie a été ce médoc de synthèse que Lucasfilm nous a administré de force, soi-disant pour notre bien. Si vous êtes d’humeur à plaisanter, vous pouvez jeter un oeil au marketing de l’époque. Sur la fresque intérieure
de l’intégrale Blu-ray sortie en 2011 (regroupant tous les personnages de la galaxie Star Wars), Luke Skywalker est introuvable. Anakin et Padmé posent la bouche en cul de poule au centre de l’image, entourés de leurs amis Mace Windu, Jar Jar Binks et Qui-Gon Jinn, mais Luke n’est... Oh, attendez ! Si ! Il est là ! En tout petit, derrière le Wookie... Lucasfilm était dans le business du prequel jusqu’au cou, et il lui restait encore un bon paquet de séries Clone Wars en images de synthèse à écouler. À Halloween, les gamins s’arracheraient le costume d’Anakin, pas de Luke. L’avenir de Star Wars était assuré.
La révolution est passée
Mais ça n’a pas tenu. Il s’avère en fin de compte que personne, pas même les kids, ne peut piffrer Anakin et Padmé (« Je t’aime tellement ! – Non, moi je t’aime ! »). Le nouveau régime Disney-Lucasfilm est d’ailleurs aujourd’hui engagé dans une gigantesque entreprise de rétropédalage, visant à marginaliser la prélogie, priée de s’effacer humblement des bases de données et de disparaître de la vie culturelle sans laisser de traces. Ces films, autrefois pensés pour préparer l’avenir et mener la révolution du tout numérique, font déjà figure d’objets du passé. Leurs couleurs baveuses, leur naïveté Nickelodeon et leurs personnages guindés les classent définitivement à part dans la grande famille Star Wars. Ils continueront d’être invités à dîner, et feront toujours partie des coffrets Blu-ray. Mais à mesure que Lucasfilm agrandira le cercle et accouchera de spin-off et de petits cousins, ils deviendront de plus en plus zarbes, de plus en plus isolés, pas tout à fait montrés du doigt comme le Holiday Special, mais presque. Avec le temps, et le passage des générations, ils gagneront en rareté et en charme « collector ». Dans un futur plus ou moins proche, peut-être même que ce sera cool de raconter La Menace fantôme à ses copains dans la cour de récré. Un gamin de CE1 s’épanchera sur la course de pods dans les canyons de Tatooine, et personne ne le croira. « Je croyais que c’était un mythe », s’entendra-t-il répondre. Mais il se tournera de trois quarts et, d’un air grave et pénétré, il leur dira : « Les midi-chloriens, Jar Jar Binks, C-3PO créé par Dark Vador... C’est vrai. Tout est vrai. »
Bon. Mais n’y a-t-il vraiment rien à sauver dans ces neuf heures de films généreusement garnies ? Rien qui ne puisse survivre à leur passage sur Terre et prétendre à une petite place au panthéon Star Wars ? Le combat entre Obi-Wan et Dark Maul, sans hésiter. Dark Maul en général. Yoda en action, à la rigueur... Bien peu de choses, en vérité. C’est même stupéfiant de constater à quel point aucun des comédiens de la prélogie (ni Christopher Lee, ni Sam Jackson, ni Natalie Portman, ni même le très honorable Ewan McGregor) ne transporte sur lui un morceau de la mythologie Jedi, ou quelque signe d’appartenance à la saga.
Retrouvailles
Il paraît que Lucasfilm a longtemps rechigné à utiliser le visage de Hayden Christensen pour une scène cruciale des Derniers Jedi, où Luke communique avec l’image astrale de son père. Rien ne dit d’ailleurs qu’ils l’aient fait (réponse en salles le 13 décembre prochain). Pauvre Hayden. Sans doute la plus grande victime de toute cette histoire. Mal à l’aise avec sa célébrité, l’acteur s’est retiré du métier en 2007 pour apprendre l’agronomie et exploiter une petite ferme en banlieue de Toronto. Il continue aujourd’hui de labourer ses champs, tout en faisant des apparitions timides dans des direct-to-video. Mais le 16 avril dernier, à Orlando,
N’Y A-T-IL VRAIMENT RIEN À SAUVER DANS LES NEUF HEURES DE LA PRÉLOGIE ?
une surprise l’attendait dans le grand auditorium de la convention Star Wars, où il se rendait pour la première fois en quinze ans. La foule, spontanément, l’a porté en triomphe, faisant trembler l’édifice et déclenchant la stupeur de l’intéressé. Les retrouvailles, des deux côtés de la scène, étaient gorgées d’émotion. Ils avaient 5, 8, ou 12 ans au moment des faits, et dormaient à l’époque dans des draps sertis du visage de Vador. Les enfants de la prélogie ont grandi, et en ce qui les concerne, ils n’ont rien, ou si peu, à pardonner. Tout espoir d’une réappropriation tardive des épisodes I à III reste donc possible. Après tout, rouler pour les freaks et les sansgrades... N’est-ce pas là un devoir star-warsien ?