UN RÉVEIL EN DOUCEUR
Le plus grand coup de la première trilogie aura peut-être été le suivant : son choix de se conjuguer d’entrée de jeu au futur antérieur. Cette histoire se déroulait donc « il y a bien longtemps dans une galaxie lointaine, très lointaine » et d’emblée ce qui ne s’appelait alors que La Guerre des étoiles tordait à sa façon le temps et l’espace : tout ceci se situait à ce point loin de chez nous que le passé et le futur semblaient s’y donner la main. Une idée poétique sublime, vertigineuse, qui a débouché sur un véritable manifeste esthétique, baptisé used future, rejoignant tout autant les influences westerns de George Lucas que les intuitions géniales du designer en chef Ralph McQuarrie. Toute la trilogie allait donc sentir autant la poussière, la boue et les rouages qui grincent que le bon air de l’espace parcouru à la vitesse de la lumière. Le visage de la science-fiction était changé à tout jamais, les pyjamas fluos de coutume (Star Trek...) étaient remplacés par des kimonos ou des fringues de cow-boys et l’environnement futuriste brillait par sa « physicalité » et sa profusion de matière (du désert de Tatooine à la faune d’Endor). Un look primitif à l’intérieur d’un environnement space opera. On regardait Star Wars autant qu’on avait l’impression de pouvoir le toucher.
Comme beaucoup d’autres éléments-clés de la saga, cette ligne de conduite esthétique allait ensuite se faire piétiner allègrement, d’abord par les éditions spéciales puis par la prélogie. La force évocatrice des décors « en dur » et des effets spéciaux mécaniques y était
Star Wars fut pour George Lucas un véritable laboratoire d’images. Avec Le Réveil de la Force, J.J. Abrams décidait lui, que le look de la saga serait vintage ou ne serait pas. La SF serait-elle devenue avant tout une affaire de nostalgie ?
remplacée par un désir d’environnements lissés, outrageusement glossy et désincarnés, annonçant le virage tout numérique du blockbuster des années 2000. Plus difficile à avaler encore : le grand pari esthétique de la prélogie, qui consistait à raconter une histoire antérieure à la précédente avec une imagerie radicalement plus futuriste, sonnait surtout comme un anachronisme aberrant, érigeant une frontière imperméable avec la trilogie originelle. Zéro poésie dans ce concept-là, zéro raccord possible avec la saga, juste un contresens. Cette fois, Lucas s’était emmêlé les pinceaux entre passé et futur, trop obsédé à vouloir faire joujou avec les outils de son présent. Son génie de la concordance des temps était derrière lui.
Véritable incarnation de la doxa geek dominante, J.J. Abrams n’a semble-t-il pas hésité bien longtemps lorsqu’il a fallu décider du look de la nouvelle trilogie Star Wars pilotée par Disney et Kathleen Kennedy. Sa première idée fut même de sortir Ralph McQuarrie, qui n’avait pas participé à la prélogie, de sa retraite. Refus poli du vieux monsieur, qui décédera quelques semaines plus tard. Qu’à cela ne tienne, J.J. déclarera partout qu’il envisage son Star Wars comme un hommage au travail de McQuarrie. Le trop versatile George Lucas disparaît pour de bon des tablettes marketing : l’âme de Star Wars, c’est son look de l’époque seventies, et celui qui l’incarne le mieux reste son regretté illustrateur. Dès lors, au côté de Rick Carter (production-designer attitré de Steven Spielberg depuis les années 80), le travail de J.J. consistera à fétichiser jusqu’au moindre insert le look used future crayonné par McQuarrie dans ses vieux concept arts. Plus question ici d’expérimenter sur la notion de temps et d’espace et de réinventer le passé à travers le futur : plus rien ne bouge, le temps est figé, la nouvelle trilogie sera un exercice de style à la lisière de l’hommage et du pastiche. Une stase posée au beau milieu d’une galaxie plus si lointaine finalement.
Un chemin balisé
De fait, ce credo esthétique pour le moins vintage synthétise toute la teneur du Réveil de la Force reprenant non seulement les motifs visuels des Star Wars originaux, et ce dès son plan d’ouverture, mais aussi une partie de son cast, l’un de ses scénaristes stars (Lawrence Kasdan), ses décors, son bestiaire, ses accessoires, ses « beeps-boops » signés Ben Burt, sa tonalité, tout. C’est un choix en prise directe avec une époque où la nostalgie peut rapporter gros et qui renseigne aussi sur ce que le monde peut attendre aujourd’hui d’un film de science-fiction : non plus la promesse d’un nouvel
« L’ÂME DE STAR WARS, C’EST LE LOOK SEVENTIES. » J.J. ABRAMS
univers à explorer mais un chemin ouvertement balisé qu’on arpente dans les charentaises les plus confortables qui soient.
Le triomphe commercial absolu qui a accompagné cette vision-là de la mythologie Star Wars incite donc à croire que le monde a toujours attendu de revoir ça, depuis Le Retour du Jedi ou au moins disons L’Empire contre-attaque. Le paradoxe là-dedans : l’amour fou qu’entretenaient plusieurs générations avec Star Wars pouvait se résumer à une sensation de jamais-vu, alors que l’amour fou qui a accompagné la sortie du Réveil de la Force tient précisément dans sa volonté de déjà-vu...
Nostalgie vintage
Ce changement radical des attentes illustre à lui seul l’évolution du public et de ses désirs entre 1977 et 2015, et on pourrait partir de ce simple constat pour alimenter tout un petit traité de sociologie. Il montre surtout à quel point TOUTES les étapes de la mythologie Star Wars agissent comme des révélateurs parfaits de leurs époques. Si elle le fait mieux qu’aucune autre saga cinéma, c’est que son horizon a toujours été d’ordre esthétique, donc immédiat, instantanément décodable. Ses différentes visions sont les feuilles de route de l’entertainment de masse. Après l’hybridation used future, au croisement du cinéma classique et de la folie pyrotechnique qui définira les 80s, après l’overdose de numérique, préfigurant le blockbuster tourné intégralement sur fond vert, voilà donc le règne du revival qu’on regarde en suçant son pouce parce que c’était mieux avant. Le mystère du « Il y a bien longtemps dans une galaxie lointaine » est désormais éventé, on sait tous maintenant où se loge l’univers de Star Wars : pile au coeur de notre propre nostalgie.