Mike Tyson malmène l’enquête
Champion du monde de la reconversion bizarre, Mike Tyson se fait détective du surnaturel dans un dessin animé Adult Swim qui doit moins à Scooby-Doo qu’à l’humour congénital et ésotérique de Tim & Eric.
Avant, le monde était simple. C’est vrai : la boxe, c’était pour papa et les dessins animés pour bébé. Aujourd’hui, tout est beaucoup, beaucoup plus compliqué et la responsabilité en incombe majoritairement à l’ancien champion du monde de boxe Michael Gerard Tyson (il tient beaucoup à son second prénom).
Créé en 2014 par Hugh Davidson pour la chaîne Adult Swim, Mike Tyson Mysteries est un dessin animé pour adultes qui se croient encore des enfants. À moins que ce ne soit l’inverse. On y voit l’ancien boxeur/ repris de justice/people/comédien/etc. y diriger une équipe d’enquêteurs spécialisés dans le surnaturel, au volant d’un minivan, et résoudre des énigmes au péril de pas grand-chose, vu qu’il finit souvent par coller des bourre-pifs à tout le monde. Il a une fille adoptive coréenne surdouée nommée Yung-Hee que tout le monde prend pour un garçon et vit avec le fantôme d’un lord anglais et un pigeon obsédé sexuel qui parle (ce qui nous permet de savoir qu’il est obsédé sexuel). Ça vous rappelle quelque chose? C’est normal... Hommage appuyé à Scooby-Doo et aux productions Hanna-Barbera des sixties, mais aussi au plus obscur I am the Greatest – The Adventures of Muhammad Ali (1977), Mike Tyson Mysteries est l’un de ces projets complètement absurdes, qui semblent ne s’adresser qu’à une très petite poignée d’esthètes régressifs et à deux ou trois stoners qui, à l’heure de diffusion du programme, regarderaient de toute façon. C’est pourtant un petit bijou de poésie régressive et surtout une concentration de talents.
Clouseau herculéen
Le créateur Hugh Davidson est lui-même un personnage. Comédien mais aussi scénariste, il a fait ses armes sur d’autres productions Warner Television comme le Looney Tunes Show avant de devenir l’un des scénaristes attitrés de la série culte Robot Chicken. Avec ses partenaires attitrés (notamment Rachel Ramras, son épouse qui prête également sa voix à YungHee) et Larry Dorf, il est allé chercher le véritable Mike Tyson pour lui proposer ce truc absurde : prêter sa voix à un Tyson en survêtement bleu Klein (c’est important) reconverti en détective et dont les enquêtes consistent à aider Cormac McCarthy à finir son prochain livre ou Garry Kasparov à battre une intelligence artificielle dans un tournoi d’échecs. Le plus amusant étant que notre héros réussit rarement ses défis. Voire, les fait lui-même foirer tel un inspecteur Clouseau à la force herculéenne. Ajoutons que le pigeon obsédé est doublé par le génie du stand-up Norm Macdonald (ex du SNL) et que le fantôme est en fait le Marquis de Queensberry (noble anglais à qui l’on doit les règles modernes de la boxe) et vous aurez une idée du mélange des genres. Curieusement, la sauce prend. C’est drôle, cultivé, gore, absurde, provocateur, bourré de références à l’art contemporain, la pop culture, l’ésotérisme, le sport et le porno. Surtout pas pour les petits, donc, mais pas vraiment pour les grands non plus : de fait réservé à tous ceux qui sont restés coincés entre deux âges. D’ailleurs, le trio d’auteurs est également responsable d’une série live, Nobodies, dans laquelle ils incarnent les auteurs frustrés d’un show télé pour les bambins. Il faut croire qu’ils ont malgré tout trouvé un public : Mike Tyson Mysterie, diffusée sur Adult Swim, vient d’être renou velée pour une quatrième saison...
regarde après du Tim & Eric semble curieusement infecté par leur esprit. Un peu comme ces effets d’optique qui font voir des spirales dans les tableaux de Van Gogh, les bidouillages vidéo, les trouvailles sonores (jingles, bruitages, voix) et quelques outrances difficiles à oublier (le pantalon pour incontinents Cinco doté de larges réservoirs tout au long des jambes), rendent certaines images indélébiles. En cela, on peut considérer Tim & Eric comme un équivalent du grand requin blanc ou du téléphone portable : un mal nécessaire. Dangereux, mais indispensables à leur écosystème. Véritables dragueurs de mines du comique bête et méchant, ils sont à la fois les éléments les plus incontrôlables d’un marché bien rodé (la production alternative pour chaînes câblées, Web et désormais réseaux sociaux) et sa soupape de sécurité. Ils testent et repoussent les limites du mauvais goût tout en inspirant une bonne partie du courant général. Car depuis longtemps Tim & Eric ont balayé la question bateau « Peut-on rire de tout ? » pour la remplacer par sa bien plus lapidaire et angoissante version : « Peut-on rire ? »
Superstars confidentielles
En 2012, Tim & Eric larguent une bombe dont la déflagration (pour ceux qui étaient dans la zone d’impact) se fait encore sentir : un long métrage. Tim & Eric’s Billion Dollar Movie est passé totalement inaperçu au box-office, mais s’est taillé peu à peu une réputation d’objet tellement inconcevablement glauque qu’il en devient subversif. Tim & Eric y sont deux réalisateurs qui, à la suite d’erreurs d’appréciation (un costume orné de diamants trop cher et un acteur qui s’avère n’être que le sosie de Johnny Depp), doivent rembourser un milliard de dollars à leurs financiers. Ils décident donc, en toute logique, de diriger un centre commercial... Le film est devenu la mascotte du tout-Hollywood qui y voit une merveilleuse preuve de leur liberté d’expression. Tant mieux, puisqu’il offre aux Chevallier et Laspalès américains une liberté absolue... à vie.
Aujourd’hui, Tim & Eric sont des superstars confidentielles. Ils fêtent les dix ans du Awesome Show, Great Job ! par une tournée presque mondiale (le caractère quasi intraduisible de leur humour limitant l’accès à notre belle francophonie). Une nouvelle saison de leurs Bedtime Stories (des sketches inspirés de contes d’horreur détournés) est arrivée sur Adult Swim et chacun de son côté multiplie les projets en solo ou avec d’autres partenaires. Eric Wareheim est désormais connu pour être le partenaire d’Aziz Ansari dans la série Netflix Master of None. Quant à Tim, il sort des disques, continue le stand-up (il oublie son texte, se bat avec le public), coécrit et joue dans des films (deux chefs-d’oeuvre de leur copain Rick Alverson : The Comedy, en 2013 avec Eric en guest et Entertainment, en 2016) et surtout, continue d’alimenter le réseau Adult Swim (malheureusement uniquement accessible aux États-Unis) avec un avantageux remplaçant au géant Eric : Gregg Turkington, un avorton au physique d’employé de morgue chez Lucky Luke, mais pur génie comique. Il a d’ailleurs créé un personnage de scène : Neil Hamburger, qui lui permet de traverser l’Amérique en insultant les spectateurs d’une voix nasillarde et alcoolisée. Avec Turkington, Tim a pondu une série policière (Decker, six saisons) et une émission de cinéma (On Cinema at the Cinema) qui ont généré une nouvelle chapelle de fans hystériques, à base de fausses rivalités et péripéties abracadabrantes. Un autre membre de la bande, le monteur Vic Berger IV, qui poste régulièrement sur Twitter des vidéos virales (remontages de discours politiques ou de talk-shows bourrés de coups d’avertisseur et de zooms disgracieux) a connu un tel succès qu’il est à son tour copié par tous les aspirants provocateurs du Net.
Si vous voulez savoir pourquoi John C. Reilly porte un blouson signé « Good for Your Heath » dans Kong – Skull Island, pourquoi le réalisateur de la série culte Mr. Robot a consacré un épisode entier à recréer une fausse sitcom des années 80 « à la Tim & Eric », pourquoi des séries comme Preacher semblent littéralement inspirées par leur univers, il faudra bien un jour ou l’autre risquer l’exposition prolongée. Tim & Eric sont des génies infectieux. Dangereux pour les estomacs sensibles, peut-être, mais indispensables en ce qu’ils vont là ou personne d’autre n’ose aller.
LEUR UNI VERS INFU SE DANGEREUSEMENT DANS LES SÉRI ES QUE NOUS CONSOM MONS.