Première - Hors-série

JOHN FROM CINCINNATI

- PAR FRÉDÉRIC FOUBERT

Série de surf mystique créée par David « Deadwood » Milch, John From Cincinnati fut violemment rejetée par le public en 2007. Elle prédisait pourtant l’époque des séries expériment­ales et arty dans laquelle on vit aujourd’hui.

John From Cincinnati devait annoncer une nouvelle ère. La date du début de sa diffusion n’avait en tout cas pas été choisie au hasard par les programmat­eurs de HBO – le 10 juin 2007 était sans doute le jour le plus important de l’histoire de la chaîne câblée. Ce soir-là, Les Soprano rendait l’antenne. Près de 12 millions de spectateur­s s’étaient donné rendez-vous pour dire adieu à la série par laquelle tout était arrivé (et, accessoire­ment, pour savoir si la cervelle de Tony allait oui ou non finir par éclabousse­r les murs). La tranche horaire qui suivait, celle de 22 heures, était d’une certaine manière un cadeau des dirigeants de HBO à David Milch, créateur génial et tempétueux qui venait de se voir couper les vivres de son (très onéreux) western Deadwood. Dépité, mais pas abattu, Milch s’était immédiatem­ent lancé dans la confection de John From Cincinnati avec l’écrivain de « surf noir », Kem Nunn. La série, tournée à Imperial Beach en Californie, au bord du Pacifique, devait être l’étendard de la chaîne durant tout l’été. Mieux que ça : annoncer un nouvel âge des séries d’auteur, encore plus complexe, audacieux, libre et fou que celui qu’avait symbolisé Les Soprano. Et, de fait, Milch avait eu carte blanche. John From Cincinnati était (est toujours) l’un des objets les plus bizarroïde­s jamais diffusés à la télévision américaine. Le John du titre est une sorte de messie christique venu à la rencontre d’une famille de surfeurs dysfonctio­nnelle, les Yost, et d’une poignée de misfits à la Beckett qui traînent dans un motel des environs. John répète mécaniquem­ent des bribes de phrases censées être autant d’énigmes à déchiffrer : « Les Zéros et les Uns », « Le père de mon père est mon père », « L’Internet est grand », et la plus fameuse d’entre elles, « The end is near » (« La fin est proche »).

Pour John From Cincinnati, en effet, la fin était proche. Dès le 10 juin, en fait, c’était plié. S’il y avait 11,9 millions de spectateur­s devant Les Soprano, ils n’étaient déjà plus que 3,4 millions une heure après à regarder le pilote de JFC. La série fut un bide. Cinglant. Trop bizarre, absconse, rebutante, elle attira néanmoins une communauté d’amoureux dévoués prêts à tout pour décrypter les oracles de John, beaucoup de blogueurs savants qui prouvaient à leur façon que, oui, l’Internet est grand. Les fans les plus extatiques du show le regardaien­t en pensant que l’ère des séries expériment­ales avait bel et bien débuté. Les longues plages de silence, les séquences sans début ni fin, la primauté donnée à la mise en scène, le refus de l’arsenal traditionn­el du langage sériel, la tentation surréalist­e... John From Cincinati cherchait clairement à aller au-delà. À conquérir la dernière frontière. À explorer un monde que les séries n’avaient pas encore osé approcher jusqu’à présent. Quand HBO sonna la fin de la récré, le lendemain du season finale, c’est comme si le rêve n’avait duré que le temps d’un été. Pourtant, dix ans après, les séries expériment­ales, arty, planantes, zarbi, sont partout. Legion, The OA, The Young Pope, Twin Peaks : The Return... Elles semblent toutes avoir reçu cinq sur cinq le message du prophète de Cincinnati. The end is near ? Ça ne faisait en fait que commencer.

Pays USA • 2007 • 1 saison • Créée par David Milch & Kem Nunn • Avec Austin Nichols, Bruce Greenwood, Rebecca De Mornay… • En DVD (import)

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Luke Perry et Austin Nichols
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