Le Monde sur le fil
Bien avant Matrix, Fassbinder inventait dans une micro-série en deux parties le vertige des mondes virtuels.
Quelle mouche a bien pu piquer Rainer Werner Fassbinder, l’ogre du cinéma ouest-allemand d’après-guerre et grand maître du mélo queer pervers, pour qu’il s’attaque à l’adaptation d’un roman SF de Daniel F. Galouye (Simulacron 3) ? L’enquête de Fred Stiller, chef de la sécurité d’un institut de cybernétique, sur la mort d’un savant n’a a priori absolument rien à voir avec les préoccupations notoirement politiques de RWF. Mais, d’entrée, le cinéaste est comme chez lui dans un dédale visuel de miroirs, reflets et surcadrages en guise d’écrans, de personnages au jeu polaire sis dans des décors déshumanisés (le 15e arrondissement parisien !) ou de cabaret décadent. Bricolant une science-fiction cérébrale façon Alphaville de Godard, où les idées compteraient plus que les effets spéciaux, Fassbinder n’a donc pas à se forcer lorsque Stiller découvre que lui et son monde, dont les événements semblent être réécrits et rebootés par une main invisible, n’existent peut-être pas : l’aliénation est la condition du personnage « fassbindérien », transposée de la société allemande à un monde de faux-semblants où résonne l’avertissement toujours contemporain d’un personnage : « Nous ne sommes rien d’autre que l’image que les gens ont de nous, c’est tout. »
Welt am Draht • Pays Allemagne de l’Ouest • 1973 • 1 saison • Créée par Rainer Werner Fassbinder • Avec Klaus Löwitsch, Barbara Valentin, Mascha Rabben… • En DVD et Blu-ray (Carlotta)