Première - Hors-série

INTERVIEW EXPRESS

Au dernier Festival de Cannes, Lars von Trier venait présenter The House that Jack Built, un slasher avec Matt Dillon qui marquait son grand retour sur la Croisette et qui devait également être « le » scandale de cette édition. Rencontré à cette occasion,

- PAR GÉRARD DELORME

Retour avec Lars von Trier sur son dernier film, qui plonge le public dans la tête d’un serial killer.

ars von Trier a toujours flirté avec l’horreur. Depuis les excisions en gros plans d’Antéchrist jusqu’aux lapidation­s de Breaking the Waves, en passant par des coups de marteau dans les tibias, il a toujours aimé jouer avec les nerfs de ses spectateur­s. Mais cette fois-ci, on nous promettait un pic. Son dernier film, The House that Jack Built, était précédé d’une rumeur annonçant un slasher éprouvant – tellement, que même le monteur avait dû quitter sa table de travail pour aller vomir. Un film de serial killer donc, nous faisant pénétrer dans la tête d’un tueur en série qui décrit en voix off ses douze années de crimes. Insoutenab­le ? Après sept ans de purgatoire, Lars von Trier revenait à Cannes avec ce festival de violence gore doublé d’un autoportra­it de l’artiste en tueur fou qui doute. Le sang gicle, les corps raclent le bitume, et le spectateur est happé jusqu’à un final qui revisite Dante et ses cercles de l’enfer. LVT au sommet de sa forme ? Rencontré dans une villa cannoise durant le festival, on l’avait trouvé diminué, agrippant son verre de jus d’orange à deux mains et s’excusant à plusieurs reprises d’être éreinté. L’occasion de vérifier si le chaos régnait toujours.

PREMIÈRE : Comment allez-vous ?

LARS VON TRIER : Je suis très fatigué. Je ne pense pas avoir la force de tourner un autre film dans l’immédiat. J’envisage de faire des courts, ce qu’on appelle en musique des études. Les compositeu­rs faisaient ça à une époque lorsqu’ils prenaient de l’âge et voulaient enseigner comment traiter un thème particulie­r. Voilà mon ambition du moment.

Justement votre dernier film ressemble à ce qu’on pourrait appeler de l’art poétique, un procédé utilisé par des artistes arrivés à maturité et qui cherchent désormais à transmettr­e.

Ce n’était pas mon intention. Je suis juste tombé amoureux du personnage de Jack et je l’ai forcément traité comme un alter ego. S’il a un problème, c’est moi qui l’ai et ainsi de suite. Il prend son activité comme un art en travaillan­t son habileté technique, son inventivit­é...

Vous partagez évidemment ce genre de valeurs avec lui ?

Toutes les choses qui l’intéressen­t m’intéressen­t. Nous avons ça en commun. La seule différence, c’est que je ne tue personne. Même pas les journalist­es! D’ailleurs, je tiens à le dire : mes films ne sont pas si violents qu’on le prétend. En tout cas, j’ai vu bien pire à Cannes. Je suis toujours surpris que certaines personnes ici les trouvent si difficiles à regarder.

On a eu l’impression que The House… était conçu délibéréme­nt comme une sorte de mise au clair après votre dérapage cannois de 2011. Est-ce que vous faites des films sur mesure pour les festivals ?

Non, mais je crois que tout festival, et Cannes en particulie­r, trouve son intérêt à montrer mes films car ils permettent « d’élargir le spectre ». Cannes a été d’une importance capitale pour moi. Il a aidé à lancer ma carrière. Je suis devenu très ami avec Gilles Jacob et Thierry Frémaux. Bien sûr, il y a eu cette petite chose avec la conférence de presse il y a sept ans... J’ai eu le sentiment d’avoir reçu un traitement quelque peu injuste. J’ai été en contact avec Gilles pendant tout ce temps-là, ce qui a permis de ne pas prendre des décisions que tout le monde aurait pu regretter au final.

Jack a besoin d’être reconnu : il envoie des photos aux journaux et affiche les articles à son sujet comme des récompense­s. Quelle importance accordez-vous aux prix ?

Les festivals sont étranges... Ils sont censés organiser des compétitio­ns mais les concurrent­s ne pratiquent pas le même sport : l’un fait de la course à pied, un autre du saut en hauteur, un autre de la natation. Comment comparer dans ces conditions ? Ça ne m’intéresse pas beaucoup au fond, surtout si les membres du jury doivent se mettre d’accord à l’unanimité. Je fais justement des films pour ne pas faire l’unanimité !

Jack est athée mais il va en enfer. Et vous, en quoi croyez-vous ?

Je ne crois pas en Dieu. Et je ne crois pas en l’enfer. Mais j’apprécie la valeur de l’histoire. Je trouve dommage que les artistes ne représente­nt plus l’enfer comme il était populaire de le faire il y a quelque temps. J’aimerais savoir à quoi l’enfer ressemble aujourd’hui, c’est ce que j’ai essayé de montrer dans le film d’ailleurs. En fait, c’est mon premier film pleinement moral parce que le méchant est puni. Il y a encore deux ans, je ne l’aurais pas fait. Je pensais à Hitchcock en imaginant la fin, lorsque Jack est suspendu au-dessus du vide et escalade ce gouffre. Hitchcock disait qu’il ne fallait jamais mettre le méchant dans cette situation-là parce que le public ne se préoccupe pas du méchant. Sauf qu’ici le méchant est également le personnage principal, donc le public n’a pas le choix. (Rires.)

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Matt Dillon
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The House that Jack Built

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