Première - Hors-série

JAMIE LEE CURTIS

« Toute sa vie Laurie Strode a souffert en silence » Halloween, c’est un masque, un couteau, des citrouille­s, quelques notes de synthé et… elle, bien sûr. Super Jamie. Cheveux courts, idées longues, la scream queen éternelle raconte quarante ans d’intimi

- PAR FRÉDÉRIC FOUBERT

PREMIÈRE : C’est la présence de John Carpenter en coulisses qui vous a convaincue de signer pour un nouvel Halloween ?

JAMIE LEE CURTIS : Oui et non. En fait, tout a commencé grâce à mon filleul, Jake Gyllenhaal. J’étais en vacances, et Jake m’a appelée pour me dire que son ami David Gordon Green savait comment ressuscite­r Halloween. Ils venaient de tourner Stronger et Jake en parlait comme de la meilleure expérience créative de sa carrière. Alors j’ai dit : « Fuck, yeah! » et j’ai appelé David. J’étais loin d’imaginer que je referais un jour un Halloween... Mais j’ai commencé à lire le script et j’ai dû dire oui quelque part vers la page 10.

Comment expliquez-vous ça ?

J’essaye de trouver la bonne métaphore... Disons que cette saga, c’est comme un sac à dos que je me trimballe. Et chaque nouvel épisode est une brique de plus dans le sac, un poids supplément­aire. Ce n’est pas comme si on respectait la vision originelle de John [Carpenter], comme s’il y avait une « bible », à l’instar des séries télé, où les types savent ce qu’ils vont raconter dans la saison 7. Non, c’est de l’impro, depuis toujours ! « Et si Michael Myers et Laurie Strode étaient frère et soeur ? Et si Michael était une femme ? Et si Laurie était

un homme? » Bon, je dis n’importe quoi, mais vous voyez l’idée : ce sac était lourd. Sur ce, David arrive et c’est comme s’il coupait les sangles du sac à dos. Me voici à nouveau libre de me promener tranquille­ment ! Il y a eu Halloween premier du nom [La Nuit des masques], et voici la suite, quarante ans après. On revient à l’essence du premier film. Au portrait de cette jeune fille vivant à Haddonfiel­d, Illinois, qui fait du babysittin­g le soir d’Halloween. Et soudain, l’horreur surgit. Cette fille doit se battre pour sa vie. C’était le concept initial, d’une pureté absolue : a baby-sitter slasher movie. Le nouvel Halloween pose la question : qu’est devenue Laurie Strode ?

Vous la connaissez intimement, mieux que quiconque. Racontez-nous son histoire…

C’est une femme qui, il y a quarante ans, a été traumatisé­e par un monstre. Mais personne n’a pris soin d’elle. Elle était blessée au bras, alors ils l’ont recousu, puis ils lui ont dit de rentrer chez elle. Elle est pourtant la seule à avoir regardé Michael Myers droit dans les yeux alors qu’il était en train de commettre ses crimes. Vous imaginez aujourd’hui ? Laurie serait immédiatem­ent prise en charge par une cellule de soutien psychologi­que! Mais ça n’existait pas à l’époque. Elle a subi ce traumatism­e et souffert en silence. Elle est devenue mère, parce qu’un soir elle a couché avec un inconnu rencontré dans un bar. Elle était bourrée, faisait n’importe quoi, ne pouvait pas garder un emploi stable, parce qu’elle avait perdu ses parents et qu’elle était seule au monde. Elle a donc cet enfant, mais le père se barre parce qu’elle est cinglée. Paranoïaqu­e. Obsédée par l’idée que Michael Myers va frapper à nouveau. Vous imaginez Laurie Strode emmener son enfant au CP ? Elle demanderai­t à l’instit ce qu’il a prévu pour protéger les enfants en cas d’intrusion dans l’école. Encore une fois, des questions auxquelles tout le monde sait répondre aujourd’hui mais que personne ne se posait à l’époque. Laurie crie au loup, mais tout le monde lui répond que Michael Myers est enfermé, qu’elle ne risque rien, qu’elle ferait mieux de passer à autre chose. Les services sociaux lui retirent la garde de l’enfant. Et on retrouve Laurie aujourd’hui. Une femme qui a survécu sans aide d’aucune sorte. Prête à accueillir Michael Myers.

Et qui a la coupe de cheveux de Laurie Strode, pas celle de Jamie Lee Curtis… C’est une perruque! Le truc, c’est que les gens me voient comme « Jamie ». Une femme d’un certain âge, qui n’a pas froid aux yeux, qui parle haut, qui dit ce qu’elle pense. Porteuse, je l’espère, d’une authentici­té et d’une certaine intégrité. Et Laurie, c’est tout l’inverse : parano, recluse, obsessionn­elle, ne faisant confiance à personne. Alors, oui, je porte une perruque, mais je crois qu’on l’oublie assez vite car c’est Laurie à l’écran, pas Jamie. J’avais déjà une perruque dans Halloween II.

Dans le premier film, en revanche, c’était mes vrais cheveux. J’avais très méticuleus­ement créé le look de Laurie. Avec le costumier, on était allés chez JC Penney [chaîne de magasins américains] et on a acheté toute la garde-robe de Laurie pour 300 dollars, quelque chose comme ça. Les jeans, la chemise bleue, la jupe plissée, le col roulé, le cardigan, les chaussette­s montantes... Tout venait de là. Parce que c’est ce que Laurie aurait fait. Elle serait allée faire du shopping avec sa mère chez JC Penney pour s’acheter des vêtements pour la rentrée. Le film se passe à Halloween, en octobre donc, Laurie a encore ses fringues toutes neuves achetées fin août. Elle les détestera sans doute d’ici la fin de l’année. J’avais réfléchi intensémen­t à tout ça parce que c’était mon premier véritable job d’actrice, la première fois que je me glissais vraiment dans la peau de quelqu’un d’autre. J’étais une débutante. J’avais juste joué dans cette série...

Opération Charme ?

Voilà. Toute mignonne, en tenue d’infirmière. Même si je n’avais pas encore développé ma « jamie-nité », j’avais déjà cette personnali­té de cheerleade­r sexy et grande gueule. Il y avait trois baby-sitters différente­s dans Halloween, et, franchemen­t, les chances pour qu’on me confie l’emploi de la vierge intello et introverti­e étaient plutôt minces ! Du coup, je l’ai reçu comme un immense compliment de la part de John. C’était un rôle magnifique­ment écrit. Je sais que ça restera à jamais mon plus grand accompliss­ement.

À quel point le fait d’être la fille de l’actrice de Psychose avait joué ?

J’étais en concurrenc­e avec une autre comédienne, je ne vous dirai pas qui. Mais tout le monde aurait fait comme John. Tu hésites entre deux actrices pour le premier rôle de ton slasher et l’une des deux est la fille de Janet Leigh ? Putain, bien sûr que oui tu vas embaucher la fille de Janet Leigh !

Vous vous souvenez de votre première rencontre avec John Carpenter ?

Il faisait passer les auditions dans le minuscule bureau qu’il partageait avec Debra Hill sur Cahuenga Boulevard. C’est Debra qui avait eu l’idée de situer l’intrigue la nuit d’Halloween, elle aussi qui a trouvé le titre du film. J’ai interprété la scène où Laurie se parle à elle-même et voit Michael Myers par la fenêtre. Je disais mes répliques en regar-

dant la circulatio­n dehors. Je me souviens de tout, vous savez. Du sentiment d’euphorie que j’ai ressenti quand j’ai su que j’avais décroché le rôle. Et du soir après le premier jour de tournage. J’étais dans mon appartemen­t, dans la Vallée. Le téléphone sonne, ma coloc Tina décroche et m’annonce : « C’est pour toi, c’est John Carpenter. » Je me suis dit : « OK, putain, c’est mort, je suis virée. » Parce que quand on vous appelle le premier soir, en général c’est pour vous annoncer ça ! Mais John était super rassurant : « Hey darling, je voulais juste te dire à quel point je suis heureux, tu as été fantastiqu­e aujourd’hui. » Un réalisateu­r qui t’appelle pour te dire que tout va bien se passer, c’est inestimabl­e. J’avais 19 ans. Ça ne m’est plus jamais arrivé.

Vous n’en avez jamais eu marre d’Halloween ?

Non, ça a fait ma carrière ! J’ai été couronnée scream queen très vite mais j’ai su rendre ma couronne à temps. Juste après Halloween II, en fait. Celui-là, je l’ai fait uniquement parce que c’était une suite directe, qui commençait une minute après le premier épisode, donc je ne pouvais pas ne pas être dedans ! Entre-temps, j’étais allée au Canada tourner quelques films d’horreur merdiques [Le Bal de l’horreur, Le Monstre du train] et j’ai très vite compris, ayant été élevée dans le show-business, que ce truc de scream queen ne pouvait pas durer. Si tu portes cette couronne trop longtemps, ils ne verront bientôt plus que ça. Et dans tous les cas, quelqu’un finira par te la voler. J’ai donc fait Halloween II, la boucle était bouclée, c’était fini, bye bye. J’ai eu de la chance parce qu’en l’espace de quelques mois, j’ai signé pour ce téléfilm sur Dorothy Stratten [Meurtre d’une créature de rêve], le film d’amour Love Letters et Un fauteuil pour deux... J’avais une toute petite fenêtre de tir, mais j’ai réussi à l’utiliser pour échapper au destin qui m’attendait.

Le come-back de Laurie Strode, la victime que personne ne voulait écouter, arrive en pleine ère post #MeToo…

C’est marrant, l’autre jour, je suis allée voir Les Indestruct­ibles 2 et j’ai réalisé que cette vague grandit depuis longtemps, bien avant #MeToo. Parce que Les Indestruct­ibles 2 était en développem­ent depuis, quoi, quatre ou cinq ans ? C’est pareil pour Ocean’s je ne sais plus combien...

8…

Voilà. Ocean’s Women. Tous ces films qui cartonnent, avec des femmes qui prennent les choses en main. C’est une vague, qui n’arrête pas de grandir, et Halloween en fait partie, indiscutab­lement. Et après, que vat-il se passer ? Le sommet de cette vague, ce serait quoi ? Pour moi, c’est l’Equal Rights Amendment [propositio­n d’amendement de la Constituti­on américaine, déposé dans les années 20 mais jamais ratifié, qui vise à garantir que l’égalité des droits entre les sexes ne peut être remise en cause par aucune législatio­n fédérale, étatique ou locale]. Vous imaginez ? Ce serait magnifique. Si le mouvement #MeToo, toute cette énergie féminine, Wonder Woman, cette émergence de femmes réalisatri­ces, ressuscita­ient l’Equal Rights Amendment, cette idée qu’on pensait morte politiquem­ent. « Tous les hommes ET LES FEMMES ont été créés égaux. » BOUM ! Mic drop ! (Elle se lève, lâche un micro imaginaire et sort de la pièce triomphale­ment.)

« IL Y A EU HALLOWEEN PREMIER DU NOM, ET VOICI LA SUITE, QUARANTE ANS APRÈS. ON REVIENT À L’ESSENCE DU PREMIER FILM. » JAMIE LEE CURTIS

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Halloween de David Gordon Green
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Jamie Lee Curtis et David Gordon Green

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