A24 Á LA RESCOUSSE?
En distribuant Under the Skin de Jonathan Glazer en 2013, A24 n’avait sans doute pas dans l’idée de se spécialiser dans l’horreur arty et le sous-genre de festival. Pourtant cinq ans plus tard, la société de distribution est devenue une référence du genre. Au point de changer le jeu hollywoodien?
Cest l’histoire d’une petite boîte de distribution. Une maison indépendante dont le travail consiste à acheter des films déjà faits, concevoir les bandes-annonces, les affiches et placer ces films dans les salles de cinéma. C’est l’histoire d’une petite boîte de distribution devenue la référence ultime à Hollywood. Comme le disait récemment Scott Rudin, producteur historique de David Fincher ou de Wes Anderson : « A24, c’est le Coca-Cola original. Tous les autres à côté ? Du New Coke. »
À part quelques exceptions (on pense surtout à Miramax qui a su faire germer le cinéma indé des années 90 ou la division arty de la 21st Century Fox, Fox Searchlight) en matière de distribution, la règle a toujours été claire : discrétion, application et humilité. A24 au contraire a tout de suite su se faire remarquer au sein du sérail. En 2013, on a vu apparaître son logo devant cinq films ; des longs métrages aussi différents que Spring Breakers de Harmony Korine, The Bling Ring de Sofia Coppola et The Spectacular Now de James Ponsoldt. Des films indés branchés, provocs et racés, qui n’ont pourtant pas de quoi faire lever un sourcil à un fan d’horreur. Mais la compagnie qui venait d’être créée par un triumvirat de hipsters new-yorkais (Daniel Katz, David Fenkel et John Hodges, tous trois issus du circuit de la distribution indé de la côte Est) s’est tout de suite frottée à l’effroi. En 2014, sur un coup de coeur, ils distribuent Under the Skin, beau récit d’horreur plastique qui suit les tribulations d’une veuve noire venue de l’espace. Un film de genre esthétisant, strié de visions d’horreur, aussi beau qu’abscons, mais que personne à Hollywood n’aurait osé sortir en salles. A24 l’a balancé sur les écrans et ce fut le début du succès. « Under the Skin, c’était de la kryptonite, le type même du film de genre qu’aucun studio n’aurait dû approché. Trop bizarre, et surtout pas vendeur. Personne n’en a voulu. Eux l’ont pris et l’ont sorti comme une évidence. En voyant ça, je me suis dit que ces mecs-là avaient du cran », racontait récemment le réalisateur Alex Garland [Ex_Machina, distribué par A24] au magazine GQ. Cinq ans et un Oscar du Meilleur film plus tard (Moonlight), A24 s’est fabriqué un catalogue de films de peur conséquent. Jusqu’à devenir avec Green Room, Hérédité, The Witch, February et The Monster (entre autres) un nouvel acteur incontournable du secteur.
Au-delà de la profusion de titres, qu’est-ce que ces films ont en commun? Existe-t-il une politique éditoriale d’horreur propre à A24? Un positionnement artistique et industriel particulier? Quand on cherche à comprendre le modèle et les intentions, on en revient toujours à la même chose. Et c’est Harmony Korine qui en parle le mieux. Le cinéaste expliquait il y a peu : « Aujourd’hui, Hollywood est dirigé par des comptables. Dès que tu t’adresses à quelqu’un qui n’est pas un fonctionnaire, dont le boulot ne consiste pas uniquement à
tailler des crayons, eh bien... c’est excitant. A24, c’est ça. Ils ont du coeur et ils essaient de comprendre les artistes. » Contrairement à Blumhouse qui a réussi à s’imposer avec des films hyper rentables surfant sur l’air du temps (l’Amérique post-Obama, le nihilisme politique, la peur de l’étranger), A24 est d’abord et avant tout un asile pour auteurs, une maison qui privilégie les visions artistiques au détriment du reste. « Ils donnent l’impression de ne s’appuyer que sur leurs goûts et leur instinct. Ça n’est pas toujours payant, mais c’est ce qui donne envie aux gens de bosser avec eux », confirme le scénariste et producteur du genre Scott Neustadter. A24 ? Une tête chercheuse, un samouraï qui tente vaille que vaille de préserver l’originalité et la pureté du genre. Et de sortir des films décisifs, libertaires, idéologiques. Et farouchement « anti ». Au moment où le genre est infesté par les sequels et reboots en folie, et fait désormais le beurre des vendeurs de soupe de l’industrie dans des versions expurgées, cosmétiques et acceptables par tous, A24, par sa radicalité formelle et conceptuelle, son parfum entêtant, tente de résister dans une production aseptisée. La punchline de leur podcast résume assez bien leur philosophie éditoriale : « A24 in your eardrums. No host, no ads, no rules. » (« A24 dans tes oreilles : pas d’intermédiaire, pas de pub, pas de règle »). Alors oui, le rapport entre The Witch, film de sorcellerie post-bergmanien et le satanisme familial tordu d’Hérédité n’est pas immédiat – à part justement la fixette sataniste et l’atmosphère malsaine et étouffante. Pourtant, si on regarde bien, ce qui relie tous ses films, ce sont des thèmes très abstraits (le mal, la foi, la mystique, la sauvagerie...), une peur existentielle qui pousse l’humanité dans ses retranchements (Green Room et Hérédité) et la volonté évidente d’exploser les canons mainstream. Évidemment, ça va de pair avec la volonté matricielle de la boîte d’affirmer une caution chic et smart. Cette stratégie ne révolutionnera certainement pas le genre. Et ce n’est pas la première fois qu’une maison de prod ou de distribution tente de fondre prestige et effroi (Shining, L’Exorciste ou n’importe quel Polanski 70s ont fait bien mieux sur ce terrain-là). A24 distribue du cinéma de genre subversif ; des films aux grandes idées anar, des coups de poing subliminaux. C’est cool de regarder un film d’horreur A24.