LES MÉFAITS DE DIEU
En 2015, Le Sanctuaire – balade flippante en forêt autour du mythe du changelin – a valu à l’Irlandais Corin Hardy une place de choix sur les radars hollywoodiens : le voilà aux commandes de La Nonne, le nouveau film dérivé de la franchise Warner Conjuring, qui explore l’histoire de la créature traumatisante surgie de Conjuring 2 : Le Cas Enfield.
La nonne démoniaque de Conjuring 2 : Le Cas Enfield vous avait traumatisé? Pas de bol, la voilà qui revient dans un long métrage rien que pour elle qui explore ses origines. Il ne s’agit pas d’un film d’horreur comme les autres, non : c’est un pur produit franchisé, à l’instar d’un opus du Marvel Cinematic Universe (en moins cher) ; le nouveau spinoff de la saga Conjuring de Warner, qui relate l’histoire de la créature traumatisante surgie du Cas Enfield. Il y avait déjà eu deux Annabelle qui racontaient les méfaits de la poupée maléfique apparue dans le premier Conjuring... Le « Conjuring Universe », comme on l’appelle désormais, base ses films dérivés sur des créatures marquantes. On attend déjà Conjuring 3 qui racontera une nouvelle enquête des investigateurs Ed et Lorraine Warren, The Crooked Man sur un démon issu lui aussi de Conjuring 2 et un troisième Annabelle. En attendant, la nonne est prête à traumatiser de nouveau le public. Comme nous l’explique le réalisateur Corin Hardy.
PREMIÈRE : Comment êtes-vous arrivé sur un projet comme La Nonne ?
CORIN HARDY : J’ai terminé Le Sanctuaire en 2015, et j’avais beaucoup de choses en projet. Je me suis lancé dans le reboot de The Crow en 2017 avec Jason Momoa... mais le projet s’est effondré par manque d’argent, et je me suis retrouvé sans film. J’ai fait beaucoup de réunions avec des gens très différents pour dégoter un nouveau projet. J’ai rencontré James Wan [le réalisateur des Conjuring] dans son studio Atomic Monster, on s’est super bien entendus et il m’a envoyé le scénario de La Nonne. Il venait de le terminer avec Gary Dauberman [Ça, Annabelle 1 et 2]. Le script m’a vraiment intrigué. J’aime tout ce que James a créé dans le Conjuring Universe. La Nonne apporte quelque chose de neuf, de différent à la franchise. Ce n’est pas un film de facilité.
En quoi La Nonne est-il différent des autres film du Conjuring Universe ?
Les films Conjuring partagent le même espace : ils se passent autour d’une maison, dans une famille où quelqu’un se retrouve possédé ; La Nonne est différent. Chronologiquement, c’est le premier chapitre de la franchise. On est en Roumanie, en 1952. Un prêtre envoyé par le Vatican (Demián Bichir) fait équipe avec une religieuse novice (Taissa Farmiga) pour enquêter sur une abbaye hantée. On n’explore pas le même territoire que les films précédents. Mais il fallait que le film s’emboîte dans le Conjuring Universe, ce qui s’est fait de façon naturelle. Je n’avais qu’à suivre le scénario, tout était écrit. On veut tous créer des films neufs, apporter de la fraîcheur. La Nonne est un film très old fashioned en fait. De l’horreur très, très classique. Je ne crois pas avoir fait quelque chose d’inédit. (Rires.) L’élément d’enquête est plus important que dans les autres films. Une enquête dans un territoire impie... Notre histoire se situe dans un monde catholique, mais on ne veut offenser personne. L’aspect religieux fournit des règles, un cadre : une abbaye remplie de nonnes dans un paysage sinistre. C’est jouissif à explorer en termes de cinéma. On est au coeur de la Roumanie, des bougies, des clairs de lune, des couloirs... Et des nonnes. On a tous des déclencheurs différents concernant l’horreur. Certains réagiront à des flots de sang, d’autres à des spectres blafards. D’autres à des nonnes.
James Wan a bâti la franchise
Conjuring : comment se comporte-t-il en tant que producteur ?
Entre James et moi, ça a été un processus très naturel et collaboratif. Il m’a dit de faire un film de mystère et d’aventures. L’horreur vient d’un amour pour l’imagination, même la plus sombre. Je ne m’éloigne jamais de l’horreur. Si quelqu’un comme James me donnait un Fast & Furious, je dirais : « Je peux mettre des créatures dedans ? Le situer sur une autre planète? » J’admire un mec comme lui qui peut gérer aussi bien un film de superhéros comme son futur Aquaman que des films de fantômes comme ceux de la saga Conjuring. Je ne pense pas pouvoir faire comme lui et changer de genre aussi radicalement. Lui, il s’enthousiasme pour l’horreur comme pour n’importe quel autre genre. Moi, j’ai l’horreur dans le sang. Taissa Farmiga, la jeune soeur de Vera Farmiga, alias Lorraine Warren dans Conjuring, joue dans La Nonne. Il y a un lien au sein du Conjuring Universe ? Non, Taissa ne joue pas une version jeune de Lorraine Warren jouée par sa soeur Vera. C’est une coïncidence. Ou presque. On a fait un casting, on a vu plein de jeunes actrices anglaises mais on est restés bloqués sur Taissa, elle était tellement douée. Le lien familial n’a pas joué, sauf dans l’aspect génétique : il y a quelque chose de fascinant dans leurs regards à toutes les deux, ça nous ouvre un univers... Ils créent un lien visuel entre Conjuring et La Nonne. Au début, j’étais un peu gêné, je ne voulais pas qu’on dise que j’avais embauché la soeur de Vera...
Est-ce difficile d’éviter de copier le chefd’oeuvre de Friedkin quand on fait un film d’exorcisme ?
On ne peut pas s’empêcher d’y penser. L’Exorciste est un de mes films préférés de tous les temps. Mais je ne cherche absolument pas à m’y frotter. La Nonne est complètement différent, Demián Bichir apporte sa propre personnalité au prêtre qu’il joue... J’adore aussi L’Exorciste 3 – Legion. Son réalisateur, William Peter Blatty, en a fait quelque chose d’unique. Et il y a le plan le plus flippant de tous les temps dedans. Un travelling interminable dans un couloir, une infirmière dit bonne nuit à tous les patients, elle disparaît dans l’ombre d’une porte, et cette créature apparaît au moment où tu t’y attends le moins... C’est le putain de meilleur jump scare de tous les temps ! C’est le mètre étalon des jump scares ! (Rires.)
La nonne maléfique était la belle surprise de Conjuring 2. Vous n’avez pas peur de tuer son mystère – et donc son attrait – avec ce film ?
C’est tout le problème. Il ne faut pas trop en montrer. Laisser le public connaître certaines choses et pas d’autres. Mais lesquelles ? C’est un exercice hyper délicat. L’horreur au cinéma, c’est en fin de compte créer une ambiance qui irrigue le film de tension et de mystère. Ce n’est pas une simple question de jump scares. Les films Conjuring fonctionnent sur un mouvement : une alternance de sursauts et de relâches qui vous maintiennent en éveil.