Première - Hors-série

UN FEU D’ARTIFICE CITATIONNE­L QUI CÉLÈBRE LE SOUFFLE CRÉATEUR DE STEPHEN KING

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Javais un oncle. Il était écrivain. Et un hiver, il a juste pété les plombs. Il a essayé de tuer sa femme et ses enfants dans un hôtel de montagne avec une hache... » Cette descriptio­n vous rappelle quelque chose? Normal. C’est le principe de Castle Rock, la dernière création de la plateforme américaine Hulu, produite par J. J. Abrams et diffusée en France sur Canal+ : une série sombre et angoissant­e, qui jongle avec les histoires les plus célèbres du roi de l’horreur, Stephen King. On a bien dit « jongle », car Castle Rock n’est pas une nouvelle adaptation d’un bouquin du maître, comme on en a vu si souvent ces derniers temps sur le petit écran (The Mist, 22-11-63, Under the Dome...) : « Les studios semblent s’intéresser à nouveau à l’oeuvre de King depuis quelques années. Mais l’énorme succès commercial du film Ça a provoqué un emballemen­t qui dépasse ce regain d’intérêt », explique Jeremy Guerineau, auteur des Adaptation­s de Stephen King et responsabl­e du site club-stephenkin­g.fr. « Depuis la sortie de Ça, chaque semaine amène son lot d’annonces d’un nouveau projet inspiré de King ; les studios fouillent le catalogue existant, à la recherche de droits qu’ils pourraient exploiter. Même un obscur poème méconnu, Église d’ossements, a fait l’objet d’une option pour devenir une série ! » Le projet de Sam Shaw et Dustin Thomason, lui, est nettement plus ambitieux, parce qu’il pioche partout dans l’oeuvre de Stephen King afin de fabriquer une histoire originale. Cette série anthologiq­ue déploie son intrigue inédite dans l’univers de l’auteur, où se croisent les personnage­s et les pitchs de ses romans. Un super crossover qui ravira les fans hardcore comme les simples amateurs de séries efficaces qui n’ont pas lu une ligne de Shining. L’histoire nous emmène à Castle Rock, petite ville du Maine, décor d’une douzaine d’oeuvres du romancier, qui vit au rythme de la prison locale de Shawshank (oui, celle des Évadés). Quand le directeur Lacy, fraîchemen­t parti en retraite après trente années à diriger le pénitencie­r, se suicide, sa remplaçant­e décide de rouvrir une aile de l’établissem­ent, qu’il avait volontaire­ment laissée à l’abandon. C’est là, dans les profondeur­s de la prison, qu’un gardien découvre un cachot où croupit depuis des années un prisonnier inconnu. Qui est-il? Pourquoi le directeur Lacy avait-il enfermé cet homme ? Et pourquoi ce détenu sans identité réclame-t-il Henri Deaver? Cet avocat spécialisé dans la défense des condamnés à mort a quitté Castle Rock il y a bien longtemps, après avoir été pointé du doigt comme le meurtrier de son père...

Les mystères sont légion, les rebondisse­ments aussi, et le scénario puzzle déroulé de manière intelligen­te prend le spectateur dans un jeu de révélation­s, de faux-semblants et de secrets inavouable­s comme King (et J.J. Abrams) les affectionn­e. Il y a surtout ce mal indicible qui sévit sur la ville, un trope « kingien » évident.

« Castle Rock est une histoire que King aurait pu écrire, confirme Jeremy Guerineau. Ce n’est pas de l’horreur à proprement parler. Justement : King n’est pas un simple écrivain d’horreur. Ce qui est assez jouissif, c’est que les références à son univers sont multiples, ce qu’il fait d’ailleurs lui-même dans ses livres où il mentionne régulièrem­ent des noms ou des lieux incorporés dans d’autres récits. » En suivant les traces des deux principaux héros (un étrange jeune homme sans identité qui croupit en taule – Bill Skarsgård – et son avocat, Henri Deaver, joué par André Holland), on voit le décor prendre vie et cacher, sur une affiche, un panneau ou un sigle, des clins d’oeil à l’oeuvre de King. La chasse à l’easter egg peut commencer. Chasse au trésor

Comme le récent Ready Player One au monde méta-spielbergi­en, Castle Rock est une mise en abyme de l’univers de l’homme-livre et la série a été pensée pour les fans du maître. Un faisceau de références émaille jusqu’au vertige la narration et seuls ses lecteurs assidus pourront apprécier la pleine mesure des clins d’oeil glissés dans chaque plan. Un petit coucou à Shining (dites bonjour à la nièce de Jack Torrance!), l’omniprésen­ce de la prison des Évadés, un article sur le chien enragé Cujo, une mention au tueur de Dead Zone, l’évocation de Vince Desjardins (Stand By Me)... Castle Rock prend un malin plaisir à malaxer la bibliograp­hie de la star. Pourtant rien d’asphyxiant. Pas de nostalgie doudou. Ce feu d’artifice citationne­l célèbre le souffle créateur du King et la force de son univers qui a fertilisé l’imaginaire de génération­s de lecteurs en leur fournissan­t une langue commune et un fil précieux qui les rattache aux terreurs enfantines. Résultat : depuis la sortie de la série, les fans tentent de dénicher le plus de références, comme une chasse au trésor ultime. « Dans l’ensemble, Castle Rock respecte son oeuvre et reste totalement cohérente avec ce que King a écrit, poursuit Jeremy Guerineau. Mais je ne pense pas qu’on soit encore au paroxysme des adaptation­s de Stephen King. En fait, on atteindra sans doute ce stade avec la sortie de Ça : Chapitre 2. Car tous les studios voudront alors surfer sur la vague. La marque “Stephen King” donne de la visibilité à un film, mais c’est à double tranchant. Il n’y a qu’à voir ce qui s’est passé avec La Tour sombre, sorti l’année dernière au cinéma. Ce film a fait un flop, parce que les fans se sont sentis trahis. » Visiblemen­t, pas cette fois. Avec Castle Rock, ils tiennent peut-être enfin la série qui leur manquait. Une sorte d’adaptation ultime, lente, soignée, parfois angoissant­e, mais jamais gore, à l’image de ce que le maître aime écrire. À 70 ans, et plus de quarante ans après la parution de son premier roman, l’auteur du Maine conforte ainsi un peu plus sa position dominante dans le genre.

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André Holland
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Castle Rock
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Sissy Spacek et Bill Skarsgård
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