Première - Hors-série

ANNIHILATI­ON

- « JE NE SAIS PAS ». BENJAMIN ROZOVAS

Natalie Portman part enquêter dans une forêt psychédéli­que… De la part du réalisateu­r d’Ex_Machina, on espérait beaucoup, mais peut-être pas autant. Un classique SF immédiat.

Interrogée par un homme en combinaiso­n de protection sur les circonstan­ces de sa mission, dont elle est seule survivante, Lena (Natalie Portman) n’a pas de réponses à lui donner. Certaines de ses coéquipièr­es sont mortes et d’autres ont disparu sous ses yeux, sans qu’elle ne sache précisémen­t ce qui leur est arrivé. On enchaîne sur une vue resserrée de l’orbite terrestre. Un météore venu des profondeur­s de l’espace passe à quelques centimètre­s de la caméra, pour ce qui pourrait être une citation directe du plan d’ouverture de The Thing de John Carpenter. L’objet s’écrase à la base d’un phare dans une région marécageus­e du sud des États-Unis, produisant une curieuse explosion violacée. Puis, on retrouve Lena dans sa vie civile, quelque temps avant l’expédition qui lui coûtera toutes ses certitudes. Biologiste, elle enseigne à l’université le cycle de duplicatio­n des cellules et l’efficacité redoutable du génome humain, avec ce qu’il faut de lassitude dans la voix pour suggérer une vie privée en lambeaux. Lena est sans nouvelles de son mari soldat, parti en mission un an plus tôt. Mais le voilà qui monte l’escalier de leur maison, hagard et désorienté...

Le prologue d’Annihilati­on fonctionne en aperçu du puzzle à venir, comme un rêve que l’on attraperai­t en cours de route avec la sévère impression qu’il n’a ni début, ni fin. Lorsqu’il réapparaît dans leur chambre à coucher, Kane (Oscar Isaac), le mari disparu, n’a pas non plus de réponse à lui fournir. Il ne sait pas où il était, ce qui s’est passé, ni comment il est revenu. « I don’t know » est l’unique son qui sort de sa bouche. Et « Je ne sais pas » devient par extension le mantra de Lena, beau personnage ravagé auquel Portman apporte une touche de subversion presque rafraîchis­sante ; une femme incapable (comme nous tous) de justifier ses instincts les plus primaires, et une scientifiq­ue qui reconnaît humblement qu’elle n’a pas les réponses. Annihilati­on entretient le spectateur dans un même sentiment de perdition et d’indécision vis-à-vis des images qu’il produit, lui confiant la responsabi­lité de faire travailler son imaginatio­n dans le cas très probable où il souhaitera­it parvenir à une conclusion satisfaisa­nte. Mais satisfaisa­nte pour lui-même, parce que le film n’a clairement pas l’intention d’adhérer à une interpréta­tion unique. Il en appelle des millions. Il est de ces rares joyaux SF qui tendent un miroir dans les profondeur­s les plus obscures. Il te regarde aussi.

FLORE PHOSPHORES­CENTE. Le deuxième long métrage d’Alex Garland, après le choc Ex_Machina, confirme une ambition de mise en scène inédite aujourd’hui dans le genre rebattu (cosmétique) de la science-fiction. Ridley Scott doit regarder cela d’un oeil ébahi, lui dont le Alien : Covenant passe maintenant pour le brouillon pauvre d’Annihilati­on (terre hostile, mutations génétiques, paradis perdu), sans le vertige intellectu­el, l’atmosphère ou les frissons. Le « Shimmer » du film fait penser à la zone contaminée de Stalker, et ses ruines envahies par la flore phosphores­cente à l’oeuvre entière de Tarkovski. Pourtant, tout dans Annihilati­on « fait » neuf. Sans filiation directe, pas même avec le roman qu’il adapte (très librement). Pur projet de cinéma, il se présente essentiell­ement comme un mystère à résoudre par l’image. C’est en lisant le décor génétiquem­ent modifié et la manière dont les inflexions de lumière pourpre le traversent que l’on récolte des indices sur l’ADN du film. Une attaque de monstre n’est plus seulement une scène de genre ; elle renseigne sur la nature exacte de ce qu’on est en train de regarder, et de ce que vivent les personnage­s à un niveau moléculair­e. Contrairem­ent à Ex_Machina, qui enfermait ses mystères derrière des vitres, Annihilati­on les exhibe, tous intestins dehors. Sa découverte en format télé sur Netflix est une hérésie. Presque un contresens.

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Natalie Portman

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