ANNIHILATION
Natalie Portman part enquêter dans une forêt psychédélique… De la part du réalisateur d’Ex_Machina, on espérait beaucoup, mais peut-être pas autant. Un classique SF immédiat.
Interrogée par un homme en combinaison de protection sur les circonstances de sa mission, dont elle est seule survivante, Lena (Natalie Portman) n’a pas de réponses à lui donner. Certaines de ses coéquipières sont mortes et d’autres ont disparu sous ses yeux, sans qu’elle ne sache précisément ce qui leur est arrivé. On enchaîne sur une vue resserrée de l’orbite terrestre. Un météore venu des profondeurs de l’espace passe à quelques centimètres de la caméra, pour ce qui pourrait être une citation directe du plan d’ouverture de The Thing de John Carpenter. L’objet s’écrase à la base d’un phare dans une région marécageuse du sud des États-Unis, produisant une curieuse explosion violacée. Puis, on retrouve Lena dans sa vie civile, quelque temps avant l’expédition qui lui coûtera toutes ses certitudes. Biologiste, elle enseigne à l’université le cycle de duplication des cellules et l’efficacité redoutable du génome humain, avec ce qu’il faut de lassitude dans la voix pour suggérer une vie privée en lambeaux. Lena est sans nouvelles de son mari soldat, parti en mission un an plus tôt. Mais le voilà qui monte l’escalier de leur maison, hagard et désorienté...
Le prologue d’Annihilation fonctionne en aperçu du puzzle à venir, comme un rêve que l’on attraperait en cours de route avec la sévère impression qu’il n’a ni début, ni fin. Lorsqu’il réapparaît dans leur chambre à coucher, Kane (Oscar Isaac), le mari disparu, n’a pas non plus de réponse à lui fournir. Il ne sait pas où il était, ce qui s’est passé, ni comment il est revenu. « I don’t know » est l’unique son qui sort de sa bouche. Et « Je ne sais pas » devient par extension le mantra de Lena, beau personnage ravagé auquel Portman apporte une touche de subversion presque rafraîchissante ; une femme incapable (comme nous tous) de justifier ses instincts les plus primaires, et une scientifique qui reconnaît humblement qu’elle n’a pas les réponses. Annihilation entretient le spectateur dans un même sentiment de perdition et d’indécision vis-à-vis des images qu’il produit, lui confiant la responsabilité de faire travailler son imagination dans le cas très probable où il souhaiterait parvenir à une conclusion satisfaisante. Mais satisfaisante pour lui-même, parce que le film n’a clairement pas l’intention d’adhérer à une interprétation unique. Il en appelle des millions. Il est de ces rares joyaux SF qui tendent un miroir dans les profondeurs les plus obscures. Il te regarde aussi.
FLORE PHOSPHORESCENTE. Le deuxième long métrage d’Alex Garland, après le choc Ex_Machina, confirme une ambition de mise en scène inédite aujourd’hui dans le genre rebattu (cosmétique) de la science-fiction. Ridley Scott doit regarder cela d’un oeil ébahi, lui dont le Alien : Covenant passe maintenant pour le brouillon pauvre d’Annihilation (terre hostile, mutations génétiques, paradis perdu), sans le vertige intellectuel, l’atmosphère ou les frissons. Le « Shimmer » du film fait penser à la zone contaminée de Stalker, et ses ruines envahies par la flore phosphorescente à l’oeuvre entière de Tarkovski. Pourtant, tout dans Annihilation « fait » neuf. Sans filiation directe, pas même avec le roman qu’il adapte (très librement). Pur projet de cinéma, il se présente essentiellement comme un mystère à résoudre par l’image. C’est en lisant le décor génétiquement modifié et la manière dont les inflexions de lumière pourpre le traversent que l’on récolte des indices sur l’ADN du film. Une attaque de monstre n’est plus seulement une scène de genre ; elle renseigne sur la nature exacte de ce qu’on est en train de regarder, et de ce que vivent les personnages à un niveau moléculaire. Contrairement à Ex_Machina, qui enfermait ses mystères derrière des vitres, Annihilation les exhibe, tous intestins dehors. Sa découverte en format télé sur Netflix est une hérésie. Presque un contresens.