Première - Hors-série

LES BONNES MANIÈRES

- CN

Juliana Rojas et Marco Dutra ont créé une oeuvre à l’ambition folle, qui tire parfaiteme­nt parti de son hétérogéné­ité. Classique instantané.

Avec Les Bonnes Manières, Juliana Rojas et Marco Dutra poussent la logique du mélange des genres au maximum. On y passe du portrait existentie­l à l’histoire d’amour, du mélodrame au film fantastiqu­e, du pamphlet social au questionne­ment sur la maternité, de l’ambiance de telenovela à celle de conte de fées, du dialogue réaliste à la berceuse poétique. Tout ça dans le même film, et même dans deux, puisqu’à la faveur d’un twist central stupéfiant, l’action change de décor, de chronologi­e et de protagonis­te principal. Ça y est, l’excitation monte ? Si vous ne savez rien des Bonnes Manières (il faut, pour cela, être passé à côté de l’affiche, de la bande-annonce et des comptes rendus de festivals...), ne lisez pas la suite, elle pourrait vous gâcher sa découverte. Clara, infirmière noire des quartiers pauvres, devient la bonne à tout faire d’Ana, bourgeoise blanche enceinte, qui habite seule un immense building. Ana fait des caprices et a parfois un air absent. Son teint de porcelaine prend des contours menaçants à la nuit tombée, surtout les soirs de pleine lune. La peur et le désir se confondent dans un élan donné par la mise en scène elliptique qui cherche moins à impression­ner qu’à épouser les émotions primaires des deux héroïnes rendues à leur condition animale. Plus de barrières sociales ni de tabous. Le film est à la fois une allégorie politique, un conte subversif et une invitation à la rêverie qui prennent une dimension mythologiq­ue dans la deuxième partie. Ce n’est pas pour rien que Rojas et Dutra citent souvent les films de Jacques Tourneur et La Nuit du chasseur : la suggestion et la possibilit­é de l’horreur y sont bien plus puissantes que sa représenta­tion.

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Marjorie Estiano et Isabél Zuaa

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