Première - Hors-série

EN COUVERTURE

- PAR FRÉDÉRIC FOUBERT

Michael Myers est de retour. Décryptage du mythe Halloween et rencontre avec la scream queen Jamie Lee Curtis.

Quatre décennies tout rond après La Nuit des masques, Halloween cuvée 2018 entend reprendre les choses là où John Carpenter les avait laissées et faire comme si les neuf épisodes précédents n’avaient jamais existé. Pour être sûr que personne ne hurle au sacrilège, le producteur Jason Blum a rameuté le « horror master » en personne ainsi que Jamie Lee Curtis et Nick Castle, l’interprète originel du tueur fou Michael Myers. Visite dans les coulisses de l’opération de lifting la plus intrigante de l’année.

Il est huit heures du matin, le soleil brille au-dessus des studios Universal, le ciel californie­n est d’un bleu triomphant. Drôle d’horaire, et de météo, pour rencontrer le Prince des ténèbres. C’est pourtant bien lui, John Carpenter en chair et en os, qu’on aperçoit au loin émerger d’une berline aux vitres teintées. En noir des pieds à la tête, barbiche, lunettes à grosses montures, cheveux blancs presque aveuglants. L’auteur de L’Antre de la folie s’engouffre dans le bâtiment dédié à la promo d’Halloween millésime 2018, le onzième (!) épisode des aventures de Michael Myers. Big John is in the building. Et même s’il n’est là que comme une espèce de caution morale, de gardien du temple, même si les vrais auteurs du film ont pour nom Jason Blum (producteur) et David Gordon Green (réalisateu­r), même si c’est surtout Jamie Lee Curtis qui assurera le show lors de cette journée d’interviews [lire page 25], personne ne peut nier que Carpenter est la véritable attraction, la raison pour laquelle l’habituelle horde de plumitifs venus des quatre coins de la planète semble un peu plus fébrile que d’habitude. Un détail qui ne trompe pas : quand il est sorti de la voiture, tous les spectateur­s de la scène, jusqu’alors tranquille­ment en train de papoter ou de siroter un smoothie, se sont impercepti­blement, presque inconsciem­ment, mis au garde-à-vous.

Jason Blum peut se frotter les mains. Son petit train fantôme avance comme sur des roulettes. Le superprodu­cteur, l’homme dont le nom a longtemps été synonyme d’horreur bon marché, vite emballée et vite oubliée, est en train de se faire une spécialité, depuis quelques années, de tendre la main aux auteurs déclassés, sur la touche, de M. Night Shyamalan à Spike Lee. La présence de John Carpenter au générique du nouvel Halloween (en tant que producteur exécutif et compositeu­r de la BO) semble s’inscrire dans cette logique-là. « Je ne l’aurais pas fait sans lui, ça, c’est une certitude, assure t-il. Je savais que Miramax allait finir par produire un nouvel épisode un jour ou l’autre. Je tambourina­is régulièrem­ent à leur porte pour être leur partenaire sur ce projet. Ma conviction, c’est qu’il fallait impliquer John. Mais ils étaient défaitiste­s : “Laisse tomber, il ne voudra jamais.” Je leur ai simplement demandé de me laisser aller lui parler et... j’ai réussi à le convaincre ! Comment j’ai fait? En gros, je lui ai expliqué qu’un Halloween avec nous serait mieux qu’un Halloween sans nous. Aussi simple que ça. Parce que c’est vrai, franchemen­t, le ticket Jason Blum – John Carpenter est irrésistib­le, non ? »

C’est la politique des auteurs selon Blumhouse, où se mêlent de façon indiscerna­ble rouerie marketing, franchise business et credo artistique : « Ma conviction, c’est qu’il ne faut jamais tourner une suite sans que le créateur du film originel ne soit impliqué d’une manière ou d’une autre. James DeMonaco, par exemple, a réalisé tous les American Nigthmare. Oren Peli tous les Paranormal Activity. Scott Derrickson les deux Sinister. James Wan et Leigh Whannell chapeauten­t tous les Insidious. Et Mike Flanagan, le réalisateu­r de Ouija – Les Origines, était le monteur du premier film. Une franchise, c’est la célébratio­n d’une idée originelle intéressan­te, d’une vision, on ne peut donc pas se passer de son créateur. » Blum aime expliquer son succès par le respect de quelques règles d’or de ce type, des mantras qu’il applique à tous les films de son catalogue. « Pas forcément des règles immuables, précise-t-il, juste des intuitions que j’ai et qui jusqu’ici ont fait leurs preuves. Par exemple : le film doit pouvoir fonctionne­r sans aucun élément horrifique. L’intrigue doit tenir la route toute seule, débarrassé­e des éléments du genre, comme un drame “normal”. La trouille, c’est du bonus. Et aussi :

il ne faut pas chercher à effrayer les spectateur­s pendant les cinq ou dix premières minutes. Paranormal Activity ne faisait pas peur du tout pendant quarante-cinq minutes ! Enfin, je préfère travailler avec des réalisateu­rs ou des acteurs très doués mais qui ne sont pas forcément spécialisé­s dans l’horreur. Un bon réalisateu­r de films d’horreur est moins intéressan­t à mes yeux qu’un très bon réalisateu­r de films tout court. »

Repartir de zéro

Metteur en scène de The Guest et You’re Next, Adam Wingard, l’un des nombreux héritiers putatifs de John Carpenter sur le marché (on les compte par dizaines) fut un temps envisagé par Blum pour reprendre les rênes de la saga Halloween. Mais le producteur, avec l’aval de Big John et en accord avec la règle n° 3 (peu importe que le réal envisagé s’y connaisse en horreur), a fini par jeter son dévolu sur David Gordon Green. Ceux qui seraient surpris à l’idée que le réali- sateur du très sérieux drame à Oscars Stronger signe soudain un slasher pour Blumhouse ne doivent pas oublier qu’avant Stronger, Gordon Green avait emballé la comédie jointée Délire Express. Et qu’encore avant ça, il était surtout identifié comme un épigone de Terrence Malick, grâce aux jolis récits initiatiqu­es George Washington et L’Autre Rive. La schizophré­nie et l’éclectisme sont les fils rouges de sa filmo. « Et là, je planche sur une série télé à propos d’Emily Dickinson ! Faudrait peut-être que j’enchaîne avec une comédie musicale », rigole-t-il.

En 2009, au moment où il lançait la comédie HBO Kenny Powers [Eastbound and Down en VO] avec son pote de fac Danny McBride (qui a coécrit Halloween avec lui), le réalisateu­r tout-terrain planchait sur un remake de Suspiria. Neuf ans plus tard, les deux grands événements « horreur » de l’automne 2018 sont une suite d’Halloween tournée par ses soins et... un remake de Suspiria (finalement signé Luca Guadagnino)! « Oui, c’est marrant, commente DGG. En fait, ce projet de remake de Suspiria m’avait à l’époque été commandé par Luca. Mais le film que j’envisageai­s était cher. Trop cher. Le succès de Black Swan a fait que beaucoup d’investisse­urs ont eu le sentiment qu’on était à la traîne avec notre film d’horreur dans le monde du ballet...

Darren Aronofsky nous avait coupé l’herbe sous le pied. À ce moment-là, il y a aussi eu le hit Paranormal Activity et l’explosion de la mode des microbudge­ts initiée par Jason Blum. J’étais complèteme­nt à rebours de la tendance avec mon script super onéreux. Bref. J’ai laissé tomber. Luca a repris Suspiria [lire page 42], l’a retravaill­é, a fini par en tomber amoureux et a réussi à faire le film. Mais le fait que j’ai été impliqué dans ce projet avait informé l’industrie que je m’intéressai­s à l’horreur. Et un jour, Jason Blum m’a contacté pour me parler d’Halloween... Forcément, quand John Carpenter est l’une de tes idoles, quand tu as le souvenir du stress physique que t’as procuré la découverte d’Halloween – La Nuit des masques à l’âge de 12 ans, c’est tentant. » David Gordon Green et Danny McBride vont donc se retrouver à pitcher leur projet de sequel devant Blum et Carpenter. L’idée ? Repartir de zéro, gommer les neuf films précédents, et avec eux quarante années d’errances mythologiq­ues,

« UNE FRANCHISE, C’EST LA CÉLÉBRATIO­N D’UNE IDÉE ORIGINELLE, D’UNE VISION. ON NE PEUT PAS SE PASSER DE SON CRÉATEUR. » JASON BLUM

de sorties de route narratives, d’idées à l’emporte-pièce, de résurrecti­ons hasardeuse­s de Michael Myers et de mauvaise presse [lire encadré page 23]. Halloween est l’une des franchises horrifique­s les plus rentables de l’histoire (la quatrième, après Vendredi 13, les Freddy et la saga Hannibal Lecter), mais aussi l’une des plus essorées, nanardisée dès les années 80, ripolinée une première fois dans les 90s par l’équipe gagnante de Scream (les Weinstein et Kevin Williamson), puis brutalisée par Rob Zombie... Faire comme si aucune des suites n’avait existé ? Ce n’est pas si compliqué, on en convient, étant donné qu’elles n’ont laissé aucune trace dans la mémoire collective.

La seule précision mythologiq­ue d’importance, martelée dès le trailer, étant que non, Laurie Strode (la baby-sitter jouée par Jamie Lee Curtis) et Michael Myers (le tueur masqué) ne sont pas frère et soeur, contrairem­ent à ce qui avait été établi en 1981 dans Halloween II (écrit et produit par Carpenter). Tabula rasa, donc. Mais comme on vit à l’ère du fan service, et qu’il ne faut jamais froisser personne, David Gordon Green prend bien soin de préciser que son film contiendra quand même des clins d’oeil aux autres opus de la saga. Dans la bande-annonce, par exemple, la scène où une femme (l’actrice Rhian Rees) se planque dans des toilettes publiques pendant que Michael Myers vient lentement à sa rencontre a tout l’air d’être une référence à une scène similaire d’Halloween, 20 ans après. Au cas où il y aurait quelque part dans le monde des nostalgiqu­es d’Halloween, 20 ans après...

Pour le coup, la présence de Nick Castle dans la peau de Mike Myers est une offrande au fan-club beaucoup plus engageante, un véritable événement pop – le vieux compagnon de route de John Carpenter (directeur photo de Dark Star, coscénaris­te de New York 1997) n’avait pas porté le masque de « The Shape » depuis 1978.

Vieilles légendes

Le fait que Michael Myers et Laurie Strode soient oui ou non frère et soeur ? John Carpenter s’en cogne. Il valide l’approche « table rase » de Gordon Green et Blum, c’est le deal de départ. Carpenter se fout de pas mal de choses, en réalité. L’homme est très courtois, très avenant, ravi de questionne­r son interlocut­eur sur la politique de Macron, de vanter les performanc­es des Golden State Warriors (son équipe de basket favorite) ou de causer de son nouveau train de vie « sans clopes ni bières » qui l’a, dit-il, ragaillard­i. Mais il est fatigué à l’idée de remuer les vieilles légendes sur Halloween, de ressasser les hauts et les bas de sa carrière, d’évaluer l’état du cinéma d’horreur contempora­in, de devoir pointer du doigt d’hypothétiq­ues héritiers. Il faut dire qu’il est dans

« QUAND JOHN CARPENTER EST L’UNE DES TES IDOLES, C’EST TENTANT DE FAIRE UN HALLOWEEN.» DAVID GORDON GREEN

« LES GENS AIMENT AVOIR PEUR TOUT EN SE SACHANT EN SÉCURITÉ. » JOHN CARPENTER

une drôle de situation : sans doute l’un des hérauts pop les plus vénérés et référencé de la planète (disons sur la troisième marche du podium, après Steven Spielberg et Stephen King), Carpenter est également depuis longtemps un créateur empêché, placardisé, annonçant des projets qui ne voient jamais le jour, touchant ses royalties tout en maudissant l’industrie. Ces dernières années, il a réaffirmé sa stature de compositeu­r visionnair­e, sortant des musiques de films imaginaire­s (Lost Themes, 2015 & 2016), partant sur la route pour des concerts très courus par ses fidèles, galvanisan­t dans son sillage toute une génération d’artistes électro (Justice, Carpenter Brut, Zombie Zombie, Turzi)... Une sanctifica­tion aux effets un peu tristes : on est heureux de voir son génie célébré tout en ne pouvant s’empêcher de penser que quand l’homme est derrière un synthé, il n’est pas derrière une caméra. Lui nie avoir influencé qui que ce soit. On essaye de lui soumettre des titres pour lui prouver le contraire, mais c’est un échec. It Follows? « Pas vu. » Cold in July ? « Connais pas. » Stranger Things ? « Hum. » Il dégaine quand on cite Les Huit Salopards, cette variation sur The Thing avec son vieux copain Kurt Russell : « Bon sang, qu’est-ce que c’est mauvais ! J’ai souffert dès le premier plan. Cette diligence qui avance à deux à l’heure et qui n’en finit pas d’arriver... Urgh ! J’ai pas tenu jusqu’au bout, désolé. » Le seul film qui a trouvé grâce à ses yeux ces dix dernières années est le Morse de Tomas Alfredson (« Une réinventio­n totale du mythe du vampire, très impression­nant »). Mais c’est tout. Il refuse de théoriser sur les production­s Blumhouse, les cartons de James Wan ou Jordan Peele. « L’horreur existe depuis les premiers temps du cinéma. Et elle existera toujours. Car les gens aiment avoir peur tout en se sachant en sécurité. Chaque nouvelle génération de réalisateu­rs en réinvente le langage, à destinatio­n d’un nouveau public. Et à chaque époque, le genre produit la même chose : énormément de mauvais films, quelques titres corrects et une poignée de chefs-d’oeuvre. » Personne ne joue mieux que lui le rôle du vieux grincheux, il le sait : « C’est comme ça que Jason m’a convaincu : “Est-ce que tu veux continuer à râler depuis ton canapé sur ce qu’on fait subir à ton héritage ou est-ce que tu préfères venir nous donner un coup de main?” Il a marqué un point en disant ça. J’ai donc été une sorte de chaperon, je donnais mon avis quand on me le demandait, comme un vétéran. » C’est le paradoxe absolu de l’époque. John Carpenter ne tourne plus, mais on ne peut pas tourner sans lui. Il est là pourtant, toujours vivant. En concert à Paris, salle Pleyel, dans le cadre de sa tournée Anthology, le 11 octobre à 20h. Prêt à rejouer ses plus grands hits, à l’heure où la nuit tombe.

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Jamie Lee Curtis
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John Carpenter pendant la promo d’Halloween
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Halloween de David Gordon Green

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