SPIKE GAME
Un Grand Prix à Cannes, un carton en salles, les Oscars en ligne de mire… Avec BlacKkKlansman, Spike Lee a fait un retour tonitruant. L’année du carton de Black Panther, ça a du sens.
ÀCannes, en mai dernier, Spike Lee était déchaîné. Soufflant le chaud et le froid en interview, insultant Trump (ce « putain d’enfoiré ») en conférence de presse, multipliant les poses gangsta devant l’objectif des photographes, sablant le champagne avec Naomi Campbell au bord de l’eau, dédiant son Grand Prix du jury au « peuple de la république de Brooklyn ». Pas venu en compétition depuis Jungle Fever (1991), Spike Lee, 61 ans, restait fidèle à sa légende : teigneux, coriace, hilarant, lunatique, mieux sapé que la concurrence. En bout de course, la victoire de son BlacKkKlansman prenait des airs de revanche. Depuis un peu plus de dix ans (très précisément depuis Inside Man, en 2006), sa carrière semblait particulièrement erratique : films confidentiels (Red Hook Summer), remake improbable de Park Chan-wook (Old Boy), recyclage de ses anciens hits
(la série Nola Darling n’en fait qu’à sa tête, pour Netflix), sans compter les clips, les pilotes de séries, les documentaires sur Michael Jackson… Au fur et à mesure que son aura et son importance diminuaient, on assistait à l’émergence d’un nouveau cinéma afro-américain, porté par une génération qui, justement, avait biberonné Do the right thing et Malcolm X. Ryan Coogler, Jordan Peele, Ava DuVernay… Les enfants de Spike Lee. Et soudain, dans un superbe alignement de planètes, alors que Black Panther et son casting majoritairement noir ravageait le box-office et imposait un nouveau paradigme à l’industrie, le monde entier a eu envie d’un nouveau « Spike Lee Joint ». L’histoire de ce flic blanc infiltré dans les rangs du Ku Klux Klan tombait à pic, d’autant que Lee l’avait envisagé comme un lamento sur les événements de Charlottesville, doublé d’un gros doigt d’honneur adressé à Trump. Ça défoule. La plus réjouissante conclusion de l’affaire, au-delà du carton public (près de 1,3 million d’entrées en France, son plus gros score ici!), étant peut-être que Spike Lee se soit fait allumer par l’un de ses héritiers, le rappeur-devenu-réalisateur Boots Riley, auteur de la sensation Sorry to bother you, qui a reproché à BlacKkKlansman sa dimension pro-flics. Critiquer Spike Lee est sans doute le plus bel hommage qu’on puisse lui rendre, lui-même ayant toujours été le premier à l’ouvrir quand il s’agit de dire du mal des films des confrères, de Tarantino à Eastwood. Quoi qu’on pense de BlacKkKlansman par ailleurs, il faut admettre qu’on s’ennuie moins quand cet homme est dans les parages : Spike Lee matters.