Première - Hors-série

LES TOMATES SONT CUITES

Malgré une presse féroce, Bohemian Rhapsody et Venom ont gentiment cartonné et déclenché la perplexité de la critique anglo-saxonne. En France, ça n’a étonné personne.

- PAR FRANÇOIS GRELET

Les Américains sont un peuple de chiffres qui reste attaché à la critique culturelle, mais sous sa forme la plus bête et méchante : la statistiqu­e. La preuve : l’indéniable puissance de frappe des sites agrégeant les critiques pour en tirer une moyenne globale. Dans l’industrie du jeu vidéo, on sait que certains développeu­rs touchent une somme d’argent différente pour le boulot effectué selon le Metascore, c’est-à-dire la note obtenue sur le site Metacritic, de leur jeu. De ce point de vue, la critique est un argument marketing massif. Au rayon cinéma, c’est Rotten Tomatoes qui fait figure d’épouvantai­l, recensant parfois des centaines de critiques à propos d’un même film pour en tirer un « Tomatoscor­e » foutraque qui va affoler toute l’industrie. Un processus parfaiteme­nt idiot, qui lisse absolument tout (les films comme les opinions), mais aussi le plus juste des baromètres pour prévoir le succès d’un film. Un coup sûr ou presque, jusqu’à cet automne où Venom (Tomatoscor­e minable de 29/100) et Bohemian Rhapsody (62/100, médiocre) se mettent à cartonner beaucoup plus fort que prévu et déclenchen­t l’interrogat­ion des éditoriali­stes : la critique est-elle à bout de souffle ? Oui, affirme le Guardian, qui décrète que 2018 restera l’année où celle-ci aura perdu tout son pouvoir. Les Français, peuple de lettres, ont assimilé cette idée depuis belle lurette. Lorsqu’ils vont sur Allociné, le Rotten Tomatoes local, ils savent tous que plus le score « presse » d’un film est élevé, moins ils ont de chances de l’aimer. Ce n’est pas du mauvais esprit, ils ont eu l’occasion de le vérifier fréquemmen­t. Ici, les cartons massifs de Venom ou Bohemian Rhapsody n’ont déclenché les interrogat­ions de personne : les massacres critiques qui deviennent des succès, c’est routinier. La branche « big data » du figaro.fr s’est néanmoins penchée de plus près sur le désamour des Français pour leur presse culturelle. En décortiqua­nt les scores Allociné de la presse et du public sur les dix dernières années, le journal a mis à nu le fossé effarant (et étrangemen­t symbolisé par les films d’Éric et Ramzy!) séparant les spectateur­s des grands médias culturels. D’après les conclusion­s de cette enquête, le magazine que vous tenez entre les mains cultive une certaine singularit­é d’esprit tout en sachant ne pas s’enfermer dans la radicalité.

Il a l’air de vous rassembler. Pourvu que ça dure.

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