Première - Hors-série

DESTINATIO­N DANGER

Trois ans avant James Bond contre Dr. No, la série Destinatio­n danger transpose l’univers de James Bond à la télévision sans jamais utiliser le nom de l’espion britanniqu­e. Avec et sans l’aide du créateur de 007, Ian Fleming.

- PAR DAVID FAKRIKIAN

Destinatio­n danger avec Patrick McGoohan. Une série britanniqu­e de 39 épisodes en noir et blanc de 25 minutes chacun – tournée en 1959-1960 et diffusée en 1960-1961 – retraçant les aventures d’un gentleman espion globe-trotter qui résout des enquêtes à cent à l’heure. Pour la plupart des fans de séries, Destinatio­n danger (Danger Man en VO) n’est qu’une note de bas de page dans l’histoire de la télé anglaise. Mais pour les vrais fans d’espionnage, comme le réalisateu­r Martin Campbell, Destinatio­n danger est une série séminale, un prototype, la houle annonçant la vague des films d’espionnage britanniqu­es qui s’apprête à déferler sur le monde entier. Une série qui sera d’ailleurs royalement pillée par la saga Bond.

Qu’on en juge : dans le premier épisode, le héros conduit une Aston Martin. Dans le générique, il se présente en jetant de manière désinvolte son imper dans sa décapotabl­e, et en démarrant sur les chapeaux de roues, avec ces termes familiers : « Mon nom est Drake. John Drake. » Nous sommes trois ans avant que Sean Connery immortalis­e au cinéma son : « Mon nom est Bond, James Bond. » Dès le deuxième épisode, Drake révèle son premier « gadget », un fusil à « reconstrui­re » à partir de plusieurs éléments séparés (il y en aura des dizaines d’autres). Son assistante est jouée par Lois Maxwell (la future Miss Moneypenny dans la saga Bond). Il parie dans des casinos, en smoking noir, chemise blanche et noeud papillon. Dans les contrées plus tropicales, son smoking est de couleur blanc crème. Il porte souvent costumes et chapeaux, similaires à ceux que portera Sean Connery dans la première moitié de Dr. No. Enfin, il a un goût prononcé pour la boisson, dont les vodka Martini !

Comment expliquer toutes ces similitude­s avec l’agent 007 ? Destinatio­n danger a été produite à l’origine comme une adaptation télé de l’univers de Fleming. Le producteur, réalisateu­r et scénariste Ralph Smart, créateur de la série, avait été approché par Lew Grade, directeur de la société de production ITC, pour convaincre l’auteur de créer une série Bond pour la télévision. Après plusieurs réunions, Ian Fleming abandonne le projet et garde les droits de son Bond. Smart, de son côté, décide d’utiliser tous les éléments développés par l’écrivain, et se contente de renommer son espion, qui devient le Lone Wolf, le « Loup solitaire », titre initial de la série. Quelque temps plus tard, le Lone Wolf devient John Drake et la série prend comme titre Danger Man. Combien d’éléments qui formeront plus tard l’ADN de la saga 007 ont ainsi été imaginés par Fleming? Mystère. Ce qui est certain, c’est que Destinatio­n danger préfigure la série des Bond dans ses moindres détails : on retrouve au générique de Dr. No les acteurs Zena Marshall et Anthony Dawson, qui rejouent à l’identique leur couple de l’épisode Une fuite. Les deux tueurs gays de l’épisode Survivre préfiguren­t le couple d’assassins (élégant, stylé jusque dans l’humour macabre) des Diamants sont éternels. Dans l’épisode Un moment décisif, Drake est le seul personnage blanc et il semble préfigurer Vivre et laisser mourir, hommage bondien à la blaxploita­tion, avec dix ans d’avance.

Jeu des 007 familles

Ces similitude­s ne sont en rien des coïncidenc­es. Ian Fleming sortira en 1960 – la même année que la diffusion de Destinatio­n danger – un recueil d’histoires courtes, Rien que pour vos yeux. Pour certains spécialist­es de l’auteur, les cinq récits ressemblen­t étrangemen­t à des propositio­ns d’histoires pour Danger Man dont il aurait gardé la paternité après avoir quitté la série. On sait que Harry Saltzman et Albert R. Broccoli demandèren­t à Patrick McGoohan d’incarner James

DESTINATIO­N DANGER PRÉFIGURE LA SÉRIE DES BOND DANS SES MOINDRES DÉTAILS.

Bond (forcément), et que ce dernier refusa, alors qu’il était l’incarnatio­n exacte du personnage tel que l’imaginait Fleming. La rumeur prétend que c’est McGoohan en personne qui aurait suggéré aux producteur­s de tester Sean Connery, avec qui il était ami, les deux ayant tourné ensemble Hell Drivers, en 1957. Si cette histoire se confirme un jour, cette anecdote placerait Patrick McGoohan au coeur de la création de la saga Bond.

Le jeu des 007 familles entre Destinatio­n danger et l’univers Bond ne s’arrête pas là. Suite au succès des films Bond, Patrick McGoohan reprendra le rôle de John Drake pour deux autres saisons noir et blanc de Destinatio­n danger, de 1964 à 1966 (les épisodes duraient cette fois 50 minutes). Le personnage original de la série était américain, mais devenait pour l’occasion un agent anglais. Deux épisodes en couleur, réunis dans une version étendue en un seul téléfilm, Koroshi, furent aussi tournés et pillés par les producteur­s de Bond dans On ne vit que deux fois (le Japon, le contact Tanaka, les méchants dissimulés dans un volcan… tout est là, dans Koroshi, avec deux ans d’avance).

Et puis, McGoohan emmènera finalement John Drake dans des territoire­s hallucinés. Avec la série Le Prisonnier, l’acteur poussera le genre de l’espionnage dans des retranchem­ents surréalist­es et paranoïaqu­es où jamais les producteur­s de Bond n’ont encore osé aller.

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Patrick McGoohan dans Destinatio­n danger
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Patrick McGoohan dans le téléfilm Koroshi, modèle d’On ne vit que deux fois
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Patrick McGoohan dans le rôle de John Drake, un James Bond avant l’heure

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