Première - Hors-série

24 ON NE VIT QUE FOIS

À quelle place se retrouve Casino Royale? Avant ou après Goldfinger? Au service secret de Sa Majesté est-il dans le top 5? Et quid des deux films de Timothy Dalton? La réponse est là, dans ces pages, où tous les Bond sont classés du pire au meilleur. En a

- PAR LA RÉDACTION

24 LES DIAMANTS SONT ÉTERNELS GUY HAMILTON, 1971

Le pire, vraiment? Oui. Le pire Sean Connery, le pire Blofeld (Charles Gray), la pire Bond girl (Jill St. John) et le pire script, qui plonge Bond dans un bain de clichés camp et de comédie lounge dignes des pires « vegasserie­s » de l’époque. Ce premier Bond des 70s est une hérésie qui pave le chemin aux complaisan­ces des années Moore. Connery reprenait une (avant-)dernière fois le costume de 007, bouffi, outrageuse­ment moumouté et 100 % américain, visiblemen­t plus inspiré par le (très) gros chèque de la United Artist que par la postérité de la saga.

23 MEURS UN AUTRE JOUR LEE TAMAHORI, 2002

De loin le plus mauvais des Brosnan, lui-même pas exactement le meilleur des Bond, selon les fans, pour une fois en accord avec le bon sens commun. Les deux Bond girls les plus high profile de tous les temps (Halle Berry venait d’avoir l’Oscar, Madonna était… Madonna) et le visage incrusté de diamants de Zao, le vilain Nord-Coréen, ne sauvent pas un film plombé par sa schizophré­nie de blockbuste­r surgonflé, produit comme un mauvais DTV. Horreur : 007 passe le premier tiers du film barbu et chevelu, on dirait un Charles Manson irlandais. Voilà, il fallait tout changer. Le Bond de Pierce est mort ce jour-là.

22 MOONRAKER LEWIS GILBERT, 1979

Moonraker fournit la meilleure explicatio­n à l’une des questions les plus turlupinan­tes de la saga : que se passe-t-il lorsque le vilain perd son homme de main au milieu du film ? Réponse : Jaws (Requin en VF), probableme­nt contacté hors champ par l’agence intérimair­e des hommes de main, passe le portique de sécurité de l’aéroport (qu’il déclenche, bien sûr) avec sa grosse valise en pogne. Pourquoi Jaws? Parce qu’il est là, c’est tout. D’ailleurs, il était déjà là dans la scène d’ouverture, surgissant au beau milieu d’une descente parachutée, comme ça, pouf ! sans introducti­on, sans rien. « Pourquoi ? » est cette autre question qui revient souvent. Pourquoi Corinne Cléry bouffée par les chiens? Pourquoi la gondole (à Venise) est-elle équipée de gadgets? Pourquoi trois poursuites en bateau dans un seul film? La réponse (parce que!) inspirera à Mike Myers la série des Austin Powers, dont Moonraker reste le modèle avoué.

21 L’HOMME AU PISTOLET D’OR GUY HAMILTON, 1974

Parmi les pires Bond, il y a ceux qui visent au mauvais endroit (les trois précédents de cette liste) et il y a L’Homme au

pistolet d’or qui rate sa cible malgré de belles intuitions. L’île de Scaramanga, avec le parc d’attraction­s où s’organisent meurtres et duels à mort, pourrait être l’une de ces épatantes trouvaille­s bondiennes, bien calées entre Les Sentinelle­s de l’air et Chapeau

melon et bottes de cuir. Mais l’absence du décorateur Ken Adam saute aux yeux. Les filles sont belles mais bizarremen­t ternes, sans grâce. Ce qui manque à ce film velléitair­e, c’est le charme, la fantaisie, bref, les sixties, auxquelles il tente pourtant si fort de se raccrocher. Mais nous sommes en 1974. Guy Hamilton tourne la pire scène d’arts martiaux de l’histoire (Roger Moore au dojo) et conclut son quatrième et dernier Bond sur un combat affligeant entre 007 et le nain Hervé Villechaiz­e. Manière, dix ans après son Goldfinger « taille patron », de quitter la série par une toute petite porte.

20 OCTOPUSSY JOHN GLEN, 1983

Sorti face au retour pirate de Sean Connery (Jamais plus jamais), Octopussy multiplie les séquences d’humiliatio­n qui en disent long sur la fatigue de la série. Bond déguisé en singe, Bond déguisé en clown, Bond qui fait Tarzan (avec le cri!)… Même si Roger Moore possède le personnage comme jamais (à son sommet de chic narquois, il balance ses sarcasmes avec une palette d’émotion phénoménal­e), 007 « bonde » mou. On voit bien qu’il est désormais trop vieux pour ces conneries – tout comme sa Bond girl, Maud Adams, et comme son french méchant, Louis Jourdan… Oubliez l’île en carton et le tourisme « cuculturel » (le Taj Mahal, Berlin-Ouest, Checkpoint Charlie, le sud des US). Envisagez plutôt Octopussy comme un hommage déférent aux Cloak&Dagger des 50s ou aux serial des 30s. C’est bien la seule manière de le revoir aujourd’hui.

19 VIVRE ET LAISSER MOURIR GUY HAMILTON, 1973

Avec les années 70 et Roger Moore, la saga 007 devient une machine à recycler les tendances cinéma du moment, là où dix ans auparavant elle était LE modèle que tout le monde voulait suivre. Tourné façon téléfilm (exit le Scope), sous très haute influence blaxploita­tion, « scoré » par George Martin plus à l’aise dans la pop que dans les BO de films, il y a quand même des choses à sauver dans Vivre et laisser mourir. Le pré-générique à la Nouvelle-Orléans, la chanson-titre de Sir Paul McCartney, Yaphet Kotto qui gonfle comme une baudruche et finit par exploser, Bond qui embrasse une femme noire pour la première fois et le massacre vaudou final, où 007, habillé d’un pull moulant noir et harnaché d’un Smith & Wesson, calibre 44 Magnum modèle 29, dégomme à la manière de Dirty Harry des indigènes possédés. Assez pour en faire LE Bond préféré de Sam Mendes ? Oui.

18 ON NE VIT QUE DEUX FOIS LEWIS GILBERT, 1967

Si Bond n’était qu’un cahier des charges et une esthétique, On ne vit que deux fois serait l’un des sommets de la série. Il y a la base dans le cratère du volcan (que Brad Bird a dû dessiner sur tous ses cahiers d’écolier, avant de s’en inspirer pour Les Indestruct­ibles), l’un des meilleurs pré-génériques (la mort de Bond on the job, c’est-à-dire au lit), les plus belles cascades de violons signées John Barry, le Blofeld de Donald Pleasence (moins de douze minutes à l’écran, mais qui comptent double), sans oublier le Japon et ses jolies masseuses en sous-vêtements, qui savent si bien s’occuper des hommes. Mais Bond, c’est aussi une tension, du dynamisme, un minimum d’entrain et, de tout cela, On ne vit que deux fois est totalement dépourvu. Indolent, mou, presque feignant, c’est un film décoratif, la coquille d’un grand Bond, avec un grand vide ennuyeux dedans.

17 DANGEREUSE­MENT VÔTRE JOHN GLEN, 1985

Lifté, amaigri, son fameux grain de beauté sur le visage « retiré », Roger Moore, mythique séducteur de ces dames, déambule dans cette aventure comme un portemante­au somnambule sur lequel on aurait enfilé le costume-smoking ivoire de 007. Doublé pour se battre, doublé pour conduire, doublé pour courir, doublé pour marcher, Bond n’est plus que l’ombre de lui-même. MAIS ! La première partie du film au château de Chantilly est saisissant­e d’atmosphère FlemingIan (c’est comme ça qu’on dit en anglais) ; Patrick Macnee, le John Steed de Chapeau melon et bottes de cuir, forme un délicieux duo comique avec Roger Moore, Christophe­r Walken crée avec Zorin un méchant aryen culte (au point que Javier Bardem s’inspirera de sa performanc­e dans Skyfall), la partition de John Barry est envoûtante, et Grace Jones, animale, offre à son boyfriend du moment, Dolph Lundgren, son tout premier rôle au cinéma.

16 QUANTUM OF SOLACE MARC FORSTER, 2008

Deux forces s’opposent ici. Et s’annulent, comme deux canons de pistolets qui feraient feu en même temps. D’un côté, la volonté affichée de faire la suite de Casino Royale, avec rappel direct de l’épisode précédent, Mr. White dans le coffre, résidus du Chiffre, requiem de Mathis, etc. De l’autre, la volonté de ne SURTOUT PAS faire la suite de Casino Royale mais, au contraire, de commencer à imprimer un rythme de croisière à l’ère Daniel Craig. Bond démarre avec la ferme intention de coincer le salaud qui a poussé Vesper au suicide, mais ne se penche sur l’affaire que dans l’épilogue russe (une belle scène, la meilleure). Entre-temps, Quantum of Solace est une pauvre histoire de vengeance (celle d’Olga Kurylenko) condamnée à l’action et au remplissag­e. À l’époque, victime désignée de la grève des scénariste­s, le film a pour lui une scène d’« espionnite » à l’opéra et deux apparition­s de Gemma Arterton. Tiède et mal-aimé, au point qu’EON décidera de repartir (encore) de zéro avec Skyfall.

14 DEMAIN NE MEURT JAMAIS ROGER SPOTTISWOO­DE, 1997

Un Bond à la fois typique et atypique. Si toutes les cases du cahier des charges sont cochées (influence du jour : le cinéma HK avec Michelle Yeoh en spy woman au moins égale à Bond), Demain ne meurt jamais se veut une attaque contre les corporatio­ns et le contrôle de l’informatio­n. Un contenu « politique » jamais vu même si la bonne idée de caster le Jonathan Pryce de Brazil en simili Steve Jobs ne prend pas. Pierce Brosnan n’a jamais semblé aussi à l’aise que dans ce deuxième essai, qui contient ses deux scènes les plus féroces : celle, culte, où le Dr. Kaufmann l’implore (« Je ne suis qu’un profession­nel faisant son travail ! » « Moi aussi », répond Bond en lui tirant une balle dans la tête) ; et celle où il jette Jonathan Pryce dans un broyeur en lui rappelant que la règle numéro un des mass media est de « donner au public ce qu’il attend ». Hyper concerné, Pierce s’est même ouvert la lèvre supérieure au cours d’un combat, se retrouvant avec une cicatrice à vie.

15 SPECTRE SAM MENDES, 2015

Les premières images sont claires : James Bond est de retour. Écran noir pré-générique et le gun barrel traditionn­el d’ouverture apparaît, de retour au début du film pour la première fois depuis que Craig a endossé le tuxedo. M, Q et Moneypenny, les pions principaux de l’échiquier de la série sont également posés depuis la fin du précédent épisode. La séquence d’ouverture à Mexico est exceptionn­elle. Le message est clair. Le Bond régénéré, ce jouet entièremen­t démonté dans les trois films précédents: c’est fini. 007 Spectre sera donc d’abord une aventure « traditionn­elle » de 007, mais redéfinie pour les temps modernes. C’est le cas pendant une heure dans un film bondien en diable. Double zéro tue avec le sourire et le bon mot, séduit les femmes avec classe et indécence, et progresse à travers une intrigue parfaite. Somptueux, spectacula­ire, le film culmine avec l’infiltrati­on du meeting de SPECTRE. Kubrickien. Et puis tout s’effondre. La confrontat­ion avec Mr White, la séquence de torture, le retour à l’enfance qui tient du procédé psy éculé, les personnage­s secondaire­s évacués… Plus rien ne marche, tout s’autodétrui­t. Ce qui avait commencé comme un revival musclé des fondamenta­ux de la saga s’achève sur un des plus gros échecs de la série, comme si Craig/Bond n’était pas tout à fait prêt à rendre son tablier.

13 PERMIS DE TUER JOHN GLEN, 1989

On l’oublie toujours un peu celui-là. Peut-être parce qu’il ressemble moins à un Bond qu’à un Arme fatale (modèle revendiqué par la production). Mais dix-sept ans avant Casino Royale, Timothy Dalton, proto-Craig, emmenait déjà 007 sur le terrain des émotions et de la violence graphique. Felix Leiter se fait bouffer la jambe par un requin, Robert Davi, en feu, explose dans une citerne, Benicio del Toro se fait broyer jambes et visage… Et Dalton fascine. Suicidaire – avec ce mélange de souffrance sulpicienn­e et de tendresse romantique –, son Bond radical et dangereux perd en classe et en élégance racée ce qu’il gagne en brutalité et en vulgarité. Bel essai, mais qui pose problème : en collant aux standards des blockbuste­rs 80s, Glen et Dalt prennent le risque de noyer l’ADN du personnage. Ni la production ni le distribute­ur US n’assumeront totalement, et le film sera une déception au box-office. Il faudra six ans à Bond pour renaître. Le plus long hiatus de la saga.

12 LE MONDE NE SUFFIT PAS (MICHAEL APTED, 1999)

Qui n’aime pas un petit jeu de mot cochon? Ils tournent quasiment tous autour de la girl remplaçant­e jouée par Denise Richards, Christmas Jones (« Toujours rêvé de me faire Noël en Turquie », « Je croyais que Noël ne venait qu’une fois l’an », etc.). Ici, les sous-entendus graveleux sont aussi fréquents et surjoués que les scènes d’action sont longues et réglementa­ires. Brosnan affiche l’ironie du mec pleinement conscient de jouer l’automate. Pourtant, le film atteint des sommets avec le duo de baddies campé par Sophie Marceau et Robert Carlyle : l’héritière cruelle et son terroriste amoureux. La seule douleur qu’il ressent (une balle dans le crâne l’immunise contre la souffrance physique) est celle que lui inflige son ancienne captive en moquant son impuissanc­e… Renard n’est peutêtre pas un grand méchant dans la tradition, mais c’est le plus tragique. Il exécute son plan par amour, et mourir en fait partie.

11 SKYFALL (SAM MENDES, 2012)

Malgré l’erreur de casting Marc Forster sur Quantum…, Michael G. Wilson et Barbara Broccoli persistent dans leur décision de prendre un véritable « auteur » (comprenez : un cinéaste oscarisabl­e, et même oscarisé) pour jouer la carte du grand art, plutôt que du petit commerce. Sam Mendes débarque donc avec le génial chef op Roger Deakins dans ses bagages et quelques bons tours dans son sac: Skyfall sera un film sur M (comme môman) et sur les racines biographiq­ues de Jimmy Bond, son enfance en Écosse, sa maison de famille, ses traumas, sa jeunesse qui s’enfuit. Fidèle au poste, le visage déjà quelque peu asséché par les années qui passent, Daniel Craig ne se le fait pas dire deux fois: ce James Bond-là est shakespear­ien, oedipien, tragique, c’est donc comme ça qu’il le joue, même quand il s’enfile une Heineken. Box-office à l’appui, la terre entière a trouvé ça très bien. Il est malgré tout permis de ne pas trouver ça totalement Bond.

10 JAMES BOND CONTRE DR. NO (TERENCE YOUNG, 1962)

L’ADN du blockbuste­r anglo-saxon est au croisement du polar noir et du film de science-fiction des années 50, James Bond contre Dr. No (No, c’est Nemo moins deux lettres) redéfinit le cinéma d’action des sixties naissantes, dans un cocktail de genres jamais vu auparavant et qui conserve sa fraîcheur d’ovni cinématogr­aphique aujourd’hui. Un méchant, Fu Manchu, le bikini d’Ursula qui sort de l’eau, la balle dans le dos du vilain (pour être bien sûr), la violence fauve d’un Sean Connery encore un peu brut, la séquence générique et le gun barrel, le thème de John Barry, les filles que 007 met dans son lit (mais qui ne meurent pas encore tout de suite)… Dr. No est aussi un festival de jump cuts de montage, qui garde un charme nostalgiqu­e fou. Même s’il est difficile de ne pas penser à Dujardin en le revoyant aujourd’hui.

09 RIEN QUE POUR VOS YEUX (JOHN GLEN, 1981)

Le deuxième « meilleur des Moore ». Peut-être parce qu’il revient aux sources (et à Ian Fleming). Le pré-générique connecte directemen­t le film Au service secret de Sa Majesté, comme si les années 70 n’avaient jamais existé, et Roger Moore livre sa performanc­e la plus sérieuse dans le rôle de Bond (malgré la deux-chevaux jaune), s’offrant même une scène, devenue culte, avec la mise à mort impitoyabl­e de l’un des méchants. Le scénario revient au thriller hitchcocki­en pur jus avec MacGuffin, poursuites en ski, explosions et une superbe scène d’escalade que le maître du suspense n’aurait pas dénigrée. Musique de Bill « Rocky » Conti, Charles Dance en hitman, Carole Bouquet en mode « (a)vengeresqu­e » et, en bonus, la présence d’une transsexue­lle qui a trompé tout le monde pour la scène de la piscine. Même Moore s’y est laissé prendre. Rien que pour vos yeux, donc.

08 TUER N’EST PAS JOUER (JOHN GLEN, 1987)

Et au quinzième Bond, les producteur­s ont cette révélation lumineuse : n’y aurait-il pas moyen de tirer des aventures de double-O-seven une pure histoire d’espionnage ? Eh non, ils n’y avaient jamais pensé avant… Pas de génie du mal ici, pas de base secrète ni de voitures à gadgets (ah si, tout de même), cette première fois (qui est aussi celle de la fossette au menton de Timothy Dalton) ne fait pas les choses à moitié : rideau de fer, KGB, tueur blond venu du froid, défection d’est en ouest, agents doubles, agents triples, et intrigue si tarabiscot­ée qu’on se demande longtemps comment Bond va trouver le temps de coucher avec la fille (chose finalement faite après 100 minutes de film). Cette option 100% « guerre froide » redonne un peu de peps au vétéran John Glen, dont la mise en scène n’a jamais semblé aussi fastueuse et inspirée. Bon, ce n’est pas La Taupe non plus, mais ce film a du chien. Deux ans plus tard, le mur de Berlin tombe, renvoyant Bond à ses doutes existentie­ls de relique sixties.

07 GOLDENEYE (MARTIN CAMPBELL, 1995)

Le doute oui. En 1995, Bond et ses créateurs nagent en plein dedans. Comment faire entrer l’icône dans l’ère post-rideau de fer? Sur ce terrain (la modernisat­ion du mythe), la double parenthèse Dalton s’était conclue sur un échec (financier). Mais la question agite encore les producteur­s. GoldenEye confronte ainsi le statut du Commandeur à son époque, à son héritage, à ses défauts et à l’engloutiss­ement du monde qui l’a vu naître, avec la scène du cimetière des statues soviétique­s en point d’orgue mélancoliq­ue. Parfois considéré comme insuffisan­t par la « bondophili­e » (une fille et demie dans son lit, les scènes d’action trop molles, Eric Serra), GoldenEye est pourtant une quasi-réussite (le début génial où les rangers claquent sur le barrage, Sean Bean fantastiqu­e, Famke Jenssen au top), et le galop d’essai sans lequel Casino Royale n’aurait pas été possible. Campbell n’envisage pas encore Bond sous un angle purement « cinéma » mais il intronise le Broz en lui faisant contempler le lourd passé de 007. Dix ans plus tard, décomplexé, il offrira à Craig la possibilit­é de raser ce passé au bulldozer.

06 L’ESPION QUI M’AIMAIT (LEWIS GILBERT, 1977)

Où étiez-vous en 1977? Après trois ans de réflexion, Albert Broccoli relance la saga avec un best of de tous les épisodes précédents, remake à peine déguisé (et signé du même réalisateu­r) d’On ne vit que deux fois. Miracle, malgré les coutures studio/décors réels très voyantes, tout tient debout : Moore parvient à éclipser le fantôme de Sean Connery, entre moments impitoyabl­es (l’homme de main jeté du toit d’un revers de cravate, l’exécution de Stromberg) et jeux de mots vaseux lâchés avec classe (« Quand on est en Égypte, il faut savoir se plonger dans ses trésors », à voir pour le croire). Barbara Bach, future madame Ringo Starr, est à croquer en agent secret russe en quête de vengeance ; l’assassin aux dents de fer, Jaws (Richard Kiel), devient instantané­ment une icône de la pop culture et Lewis Gilbert se permet de citer Lawrence d’Arabie. Mieux, en panne d’inspiratio­n pour éclairer le décor final, le chef décorateur Ken Adam fait appel à Stanley Kubrick, pas moins, pour l’aider. Résultat, les lumières du climax brillent (forcément) de l’ambiance froide et stylée du maître. Et puis il y a LA scène pré-générique où Bond, pourchassé en ski par des agents russes, plonge dans le vide et déploie un parachute décoré de l’Union Jack. Jamais, dans les cinémas de toute l’Angleterre (et du monde entier), les hurlements de joie des spectateur­s n’auront été aussi forts qu’à cet instant-là.

05 BONS BAISERS DE RUSSIE (TERENCE YOUNG, 1963)

L’un des Bond les plus cool et les plus cinématogr­aphiques, et surtout le plus fidèle à Fleming. D’ailleurs, Bond n’apparaît à l’écran qu’après vingt minutes (après la partie d’échecs, l’apparition de Rosa Klebb et de Blofeld). Et c’est l’arrivée de Sean (plus mûr) qui lance pour de bon la série. Avec son MacGuffin, son combat anthologiq­ue dans un train et sa poursuite entre un hélico et le héros, Bons Baisers de Russie est un remake avoué de La Mort aux trousses. Au-delà des influences, BBR établit définitive­ment tous les fétiches de la série : le gun barrel en entier, le prégénériq­ue, Q, Blofeld, John Barry… pas encore le « tout-action » (quoique la mise en scène de la bagarre dans le compartime­nt inspire encore toutes les chorégraph­ies façon Jason Bourne), mais Robert Shaw (peroxydé) et Lotte Lenya (délicieuse­ment sadique) font un job d’enfer. Tout est là, prêt à exploser dans Goldfinger.

04 GOLDFINGER (GUY HAMILTON, 1964)

Le voilà. Le Bond quintessen­tiel. Sean Connery au top de son élégance face au vilain ultime, lequel délivre avec un sens de l’euphémisme insurpassa­ble, la réplique la plus célèbre de la saga (« No Mister Bond, I expect you to die! ») au milieu de la scène la plus iconique. Difficile de faire plus historique que ça, et pas seulement à l’échelle de 007. La chanson « bombastiqu­e » de Shirley Bassey, le siège éjectable de la DB5 ou le corps recouvert d’or de Jill Masterson ont largement dépassé le strict cadre de la série pour s’inscrire dans l’imaginaire du cinéma tout entier. Alors oui, peut-être que la profusion de totems et le rythme lounge de l’aventure (Bond ne fait rien qu’envoyer des petits messages écrits au crayon) confèrent aujourd’hui à Goldfinger un petit côté muséifié. Mais la merveilleu­se simplicité de ses concepts les plus farfelus (le chapeau d’Oddjob, le laser et même le canard!) rayonne d’une poésie pop intemporel­le.

03 AU SERVICE SECRET DE SA MAJESTÉ (PETER ROGER HUN, 1969)

Il n’y en a pas deux comme lui. Au service secret… est le seul Bond sans contrepart­ie, sans film jumeau qui viendrait le compléter, l’affiner, le rectifier. Ou alors, ce serait Les diamants sont éternels et son éclat n’en serait que plus grand… Si Skyfall est le James Bond psy, Au service secret… est le Bond romantique. Il commence badin, perché sur sa montagne suisse, dans la base du comte Bleuchamp occupée par des créatures sublimes, rêvassant dans leurs chambres luxueuses, dont le seul défaut serait que Bond n’aurait pas le temps de les visiter. Mais il finit sous une avalanche émotionnel­le, dans un torrent d’amour. Le film a longtemps été le parent pauvre de la série. Redécouver­t dans les années 90, en plein revival sixties, il grimpe illico dans les sondages de popularité, comme la b-side oubliée d’un grand groupe pop, le trésor caché de la saga. Diana Rigg, on quitterait tout pour elle, même le MI6. On la demanderai­t en mariage, on l’accompagne­rait faire du shopping ! Et James Bond himself n’est pas si différent de nous, finalement. C’est aussi le thème générique au Moog, si beau qu’il se passe de paroles, et la meilleure scène de ski de la série, elle-même battue par une poursuite en bobsleigh déchaînée, qui vient parachever un festival de tous les moyens de transport imaginable­s. Ce sixième Bond de l’histoire n’est peut-être pas le meilleur, mais c’est le préféré, le chouchou, le seul qui fait pleurer. « Nous avons toute la vie devant nous » disait 007/Lazenby, en serrant la comtesse Teresa dans ses bras. C’était du film qu’il parlait.

02 OPÉRATION TONNERRE (TERENCE YOUNG, 1965)

« Je voulais réaliser trois Bond : Opération Tonnerre, Bons Baisers de Russie, et Dr. No, et je les ai finalement tous faits, mais dans l’ordre inverse », avait coutume de raconter le réalisateu­r Terence Young. Toutes les raisons de la splendeur d’Opération Tonnerre sont contenues dans cette déclaratio­n. Conçu pour être le premier Bond sur grand écran, mais finalement le quatrième, l’expérience accumulée rend le film plus beau, plus fort, plus percutant : Sean Connery y apparaît magnifique, au sommet de sa gloire et de sa confiance en lui (jamais il ne surpassera ce Bond-là en performanc­e brute). Le budget est démesuré, faisant oublier les raccourcis B des trois précédents. La réalisatio­n de Terence Young, pour la première fois en Scope, est terrassant­e par sa splendeur de cadre et ses mouvements de caméras ; Lucianna Paluzzi, Martine Beswick et la Française Claudine Auger font exploser les yeux ; les décors somptueux de Ken Adam vrillent le cerveau ; et les morceaux d’anthologie s’empilent pour forger un 007 définitif, à 700% hétérosexu­el, sexiste, sadique, hitchcocki­en, doté d’un montage de Peter Hunt épileptiqu­e et éclaté, passant au blender tout ce qui faisait la magie des romans de Fleming à commencer par les batailles sous-marines, Opération Tonnerre est une célébratio­n. Un signe qui ne trompe pas : dans OT, 007 a quatre Bond women. Son score le plus élevé de la saga.

01 CASINO ROYALE (MARTIN CAMPBELL, 2006)

Il y a Bond et Bond. L’homme et les films, et cette liste montre bien qu’ils ne sont pas toujours raccord; qu’entre les deux, notre coeur balance. Mais s’il faut en choisir un, alors c’est celui-là, celui qui « capte » ce que tous les autres traquent : lui. Pour la première fois, 007 est le sujet et l’enjeu uniques du film. Si on revient toujours à Bond, c’est pour James, ce héros fantasmati­que, ce mythe sans faille à la froideur et à la séduction vénéneuse, qui finit souvent enseveli sous les figures imposées. En décidant de remettre les questions du Bond movie à plus tard, Casino Royale ne garde que l’essentiel : ce qui définit le personnage. Avec ce coup de génie (de bol), repartir des débuts, combler enfin le manque originel. La libération des copyrights a permis aux Broccoli et à Martin Campbell d’adapter le tout premier roman, donc de commencer avant Dr. No et de faire en quelque sorte l’impasse sur la série. On retrouve le Bond (violent) des origines, l’agent indomptabl­e qu’il faut contrôler – qui doit apprendre à se contrôler. Dès les premières minutes, tout est mythologiq­uement parfait parce que chaque plan, chaque image raconte ce « blunt instrument ». Craig qui s’assoit dans le fauteuil et s’offre son permis de tuer. Craig qui défonce les murs de l’immeuble en constructi­on, comme un bulldozer qui fait table rase du passé. Craig qui saute d’une grue et se ramasse par terre. Ou Craig qui casse la tête du baddy sur la lunette des toilettes – en guise de présentati­ons. On l’a revu trente fois ce début – les chiottes, la grue, l’ambassade. On l’a revu trente fois parce que c’est une tuerie, un ride orgasmique offert aux spectateur­s. Pendant des années, une bonne part du plaisir qu’on prenait aux Bond était basée sur la frustratio­n, le manque, le teasing, la promesse que ce serait mieux la prochaine fois, quand Bond reviendrai­t… En délaissant les bases secrètes, l’exotisme pop, en minimisant les figures imposées pour s’autoriser les figures libres, les auteurs dessinent là un nouveau 007 – moderne, impérial, en constructi­on – et relancent la machine à fantasmes. Au dernier plan, tout est en place, aveuglant, royal. Son nom est Bond. James Bond. Quand il le dit, on le croit.

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