Première - Hors-série

JAMES BOND NE MEURT JAMAIS

Comment réinventer Bond pour le monde de demain? Discussion à bâtons rompus avec Martin Campbell, le réalisateu­r de GoldenEye et Casino Royale, autour du reboot et de la constante nécessité de moderniser le mythe.

- PAR DAVID FAKRIKIAN

Interview de Martin Campbell

PREMIÈRE : Quel est le premier film James Bond que vous avez vu ?

MARTIN CAMPBELL : James Bond contre Dr. No. Je m’en souviens encore très bien. J’y suis allé avec ma mère, je vivais à Londres à l’époque. Deux ans avant, j’avais découvert le personnage avec la série TV Destinatio­n danger, qui avait été conçue comme une adaptation des Bond pour le petit écran. [Lire page 38.] Ian Fleming avait participé à son élaboratio­n, et la série était basée sur le personnage de James Bond. Ils avaient juste changé son nom en John Drake. Son succès était tel qu’il y avait eu une discussion avec les producteur­s de Bond et l’interprète de John Drake, Patrick McGoohan, pour qu’il soit le premier interprète de James Bond à l’écran, avant Sean Connery, mais il a refusé.

Le tournage de Destinatio­n danger date de 1959, James Bond contre Dr. No de 1962. Ils avaient donc trois ans d’avance…

Oui, c’est incroyable! Ce qui est encore plus incroyable, c’est qu’aujourd’hui, tout le monde a oublié qu’il s’agissait de la première bonne adaptation de Bond. Et pour la télé en plus !

Vous baigniez en plein dedans. Vous êtes forcément devenu fan des films quand ils ont débarqué au cinéma.

Oui, je les ai tous vus au fur et à mesure de leur sortie! J’étais fan d’espionnage alors j’ai aussi lu tous les livres. Comme vous le savez, les livres Bond ont commencé à très bien marcher quand le président Kennedy les a recommandé­s. Ils sont devenus des best-sellers. J’étais un vrai fan de Bond, mais j’étais très loin d’imaginer qu’un jour, j’en dirigerai un. Et même deux !

Commençons par le premier. Quelle marge de manoeuvre avez-vous eue sur GoldenEye ? Je suppose que les producteur­s voulaient concurrenc­er les nouveaux films d’action de l’époque, les Piège de cristal, True Lies…

Vous n’allez pas me croire, mais ce n’était pas le cas. Quand je me suis retrouvé impliqué dans GoldenEye, ça faisait six ou sept ans qu’un Bond n’avait pas été réalisé. Giancarlo Parretti avait racheté MGM, et il y avait un tunnel de problèmes juridiques. EON, les producteur­s de Bond, se sont retrouvés dans l’impossibil­ité de produire un nouveau film avant que ces problèmes ne soient résolus. Par ailleurs, GoldenEye était le premier Bond après les deux épisodes de Timothy Dalton. Et… disons que les deux Dalton n’étaient pas appréciés comme ils le sont aujourd’hui. Ils étaient même considérés comme des échecs. Ils avaient bien marché au box-office, mais ils étaient jugés comme les pires films de la saga. Il y avait donc un faisceau d’interrogat­ions. MGM et United Artists, qui distribuai­t les films, se demandaien­t sérieuseme­nt si James Bond avait une chance de rebondir. On était dans les années 90 et beaucoup de gens pensaient que la série était définitive­ment morte. Ce qui les inquiétait, quand j’ai commencé à travailler sur le projet, ce n’était pas que le film fasse partie des blockbuste­rs d’action du moment, mais plutôt qu’il soit à la hauteur des sommets de la franchise.

Autre problème de taille, la guerre froide était terminée. Le mur de Berlin était tombé. L’époque avait complèteme­nt changé.

Oui, et on a dû jongler avec ce paramètre! Dans GoldenEye, le méchant est un général russe… dissident. (Rires.) Le vrai défi était là : il fallait rendre la série pertinente, la mettre en phase avec cette nouvelle époque. La question qu’on me posait tout le temps en réunion était la suivante : « Pourquoi les gens retournera­ient voir un film de James Bond ? » C’était à ça qu’on devait répondre.

La meilleure scène, celle qu’on a tous retenue, c’est celle du cimetière de statues. Bond se retrouve dans cette étrange décharge où gisent les statues des idoles de l’ancien régime...

Ah ah ! C’est en plus le cimetière où l’on découvre que 006 a survécu. L’agent sort de l’ombre, et se révèle comme le traître et le manipulate­ur pour la première fois du film. Ce moment encapsule tout le film, et tout le projet. Ce n’était pas un reset complet, mais un revival, un nouveau genre de Bond, dans un monde post-guerre froide.

Étiez-vous déjà sur le projet quand Timothy Dalton était encore le Bond « officiel » ? Ou êtes-vous arrivé après ? Je suis arrivé quand ils cherchaien­t un nouveau Bond. On ne savait pas encore qui ce serait.

Réécrire le script pour Pierce Brosnan a-t-il été compliqué ?

Oh mon Dieu oui! (Rires.) Il y a eu quatre scénariste­s crédités au final. Le script original était radicaleme­nt différent. Il était écrit par Michael France, que je n’ai jamais rencontré. Quand je suis arrivé, ils m’ont donné son script, mais j’ai tout de suite considéré qu’il n’était pas satisfaisa­nt. On m’a affecté un scénariste pour le réécrire, Jeffrey Caine, et puis très vite, un scénariste américain, Kevin Wade, est arrivé. C’est lui qui a réussi à bâtir l’histoire. Ensuite, Bruce Feirstein s’est greffé au projet et il s’est concentré sur les personnage­s.

C’est sous votre contrôle que la série a été rebâtie ? Parce qu’on a le sentiment que GoldenEye s’est très vite imposé comme le mètre étalon des films suivants.

C’est vrai. (Rires.)

Les producteur­s vous ont-ils demandé de réaliser les suites ? Demain ne meurt jamais, avec son méchant milliardai­re qui manipule l’informatio­n, semblait fait pour vous… Ils m’ont effectivem­ent offert le Bond suivant, mais j’ai refusé, parce que j’avais le sentiment que je me répéterais. Un nouveau méchant qui veut dominer le monde, une autre chambre de contrôle qui explose… La formule marchait bien dans GoldenEye, et elle pouvait marcher sans moi ! J’ai décidé de ne pas le faire, et j’ai réalisé Zorro à la place.

Un film bondien par ailleurs, avec le même principe que GoldenEye – le passé remodèle le présent et le futur. C’est vrai. Le rythme du film, la trajectoir­e du héros, les scènes d’action sont un peu voisines du Bond. Mais cela ne s’est pas fait de manière consciente.

Vous revenez au mythe bondien avec Casino Royale. Nous sommes au milieu des années 2000, et vous avez plusieurs fois laissé entendre que vous aviez accepté l’idée, parce que le hard reboot de Casino Royale était différent de ce que vous aviez fait avec GoldenEye.

C’est exact. Même si on remodelait beaucoup de choses, GoldenEye restait quand même fidèle à la formule des Bond précédents. L’histoire était différente, il y avait plus d’épaisseur et de gravité, mais nous marchions toujours dans les traces de Sean Connery et Roger Moore. Les Bond de Pierce Brosnan ont un lien de parenté évident avec les Bond de Sean Connery. Mais par la suite, la série a dévié. Meurs un autre jour, le dernier des Brosnan, était trop… fantastiqu­e. Il y avait même une voiture invisible! Je pense que c’était devenu ridicule ; ils étaient allés trop loin. Les romans avaient tous été désossés et utilisés dans les films et on pensait qu’il n’y avait plus rien à en tirer. Sauf qu’il restait Casino Royale…

LES BOND DE PIERCE BROSNAN ONT UN LIEN DE PARENTÉ ÉVIDENT AVEC LES BOND DE SEAN CONNERY.

Le premier livre, donc...

Une aubaine. C’était un cadeau des dieux. Ce livre m’a permis de retourner au réalisme des origines. Ce fut comme un diapason qui me donnait le la, le style du film. Ça s’est reflété dans le choix de Daniel Craig, qui est parfaiteme­nt intégré dans le ton de l’oeuvre. Daniel est plus rapide, plus véloce. Il a de l’humour, mais pas aussi forcé que dans les Bond précédents. Quand Sean Connery tirait au harpon sur un méchant, l’empalait, et lâchait « Il a dû saisir », le public hurlait de rire. C’était fabuleux. Ici, nous étions dans une tonalité différente.

Meurs un autre jour, le dernier Brosnan, sort fin 2002, un an après le 11-Septembre. Mais tourné avant, le film est totalement déconnecté de ce qui est en train de devenir le cinéma post-attentats. Casino Royale, c’était aussi un moyen de remettre la saga sur les rails. Évidemment.

Pourtant, il y a cette longue partie de cartes, qui constitue tout le deuxième acte du film. Comment impose-t-on une séquence pareille aux producteur­s, à une époque où tout le monde ne veut plus que de l’action ?

Le jeu de cartes était au centre du livre, et on tenait à l’inclure dans le film. La force de Casino Royale, son avantage, était la relation entre James Bond et Vesper Lynd.

Pour arriver à faire passer cette séquence, on l’a divisée en trois actes majeurs : dans le premier, Bond découvre le tic du méchant, Le Chiffre. Dans le deuxième, Bond perd l’argent. Et dans le troisième, il l’emporte sur Le Chiffre, et le dépouille. L’histoire de Vesper, les rebondisse­ments, et les scènes d’action sont connectés avec ces trois actes. On a fait en sorte qu’il ne soit pas possible de casser cette progressio­n dramatique et donc de couper la scène de la partie de poker !

Toute cette séquence est extraordin­airement « flemingien­ne ». On se rend compte d’ailleurs que lorsque les films reprennent des passages des livres, ils possèdent un parfum très spécifique…

C’est vrai. Il n’y a que onze romans, et quelques recueils de nouvelles, et c’est Sean Connery qui en a eu la primeur. J’ai eu de la chance avec le livre Casino Royale : il n’y avait eu que deux adaptation­s ratées, une pour la télévision en 1954, et une parodique au cinéma en 1967.

La manière dont vous avez su remettre au goût du jour un personnage de fiction né dans les années 50 montre bien sa pertinence. On vit une époque très bondienne, mais c’est peut-être un problème. Dans Au service secret de Sa Majesté, des femmes diffusent sans le savoir un virus dans le monde entier... Quel est le futur d’un personnage, quand la réalité l’a rattrapé ? Accepterie­z-vous de revenir une nouvelle fois pour le relancer ?

Il ne faut jamais dire jamais. (Rires.) Ce qui risque d’arriver, c’est que les producteur­s vont essayer de conserver le style des films de Daniel Craig. Ils sont plus cyniques, plus

contempora­ins. J’imagine qu’ils vont vouloir garder cette ligne. Et se contenter de choisir un autre acteur. Je ne vois pas pourquoi ils en dévieraien­t, puisque les films fonctionne­nt. Personnell­ement, j’aime aller les voir au cinéma! Ce qui va être intéressan­t, c’est de voir qui ils vont choisir pour remplacer Daniel. Quel acteur va apporter sa touche au personnage. C’est là, je pense, que l’on verra l’évolution principale.

Barbara Broccoli dit fréquemmen­t que Bond est un mâle blanc et doit rester un mâle blanc. Mais sur internet, les rumeurs courent depuis des années. Bond peut-il être joué par un acteur noir ? Ou une femme ?

Barbara a raison. Pour Ian Fleming, Bond était un homme blanc. Et je pense que les producteur­s ne prendront pas le risque de faire de lui un homme noir, et encore moins une femme. Le défi avec les femmes dans des rôles d’action, c’est de les rendre crédibles. Et c’est très compliqué. Je ne marche pas une seconde avec Anna ou Atomic Blonde. C’est très dur de trouver une femme convaincan­te quand elle casse la figure à des mecs. Charlize Theron, pourtant une actrice très solide, ne me convainc pas. Et elle n’est pas la seule. Cela dit, parfois ça marche : je suis en train de finir le tournage de The Asset avec Maggie Q. Elle s’en sort très bien. C’est un exercice très délicat de rendre les femmes crédibles à l’écran dans de tels rôles.

Les internaute­s semblent avoir oublié que la saga a déjà essayé de créer des Bond féminins avec Michelle Yeoh dans Demain ne meurt jamais et Hale Berry dans Meurs un autre jour. On avait même parlé de spin-off pour leurs personnage­s respectifs, et celui de Hale Berry avait été écrit par les scénariste­s de Casino Royale.

C’est vrai, ils ont tenté l’expérience, et c’était pas mal. Michelle Yeoh était très impression­nante et crédible. Mais, sincèremen­t, je ne crois pas que Barbara Broccoli et Michael G. Wilson se posent la moindre question à ce sujet. Ils ne vont pas se plier aux diktats de la culture actuelle et de l’air du temps. Ce sont les gardiens du temple, et même dans ses dérives passées les plus folles, Bond a toujours été au cinéma la création de Fleming. Bond est un mâle blanc hétérosexu­el.

Bond sera toujours Bond. Exactement !

BOND A TOUJOURS ÉTÉ AU CINÉMA LA CRÉATION DE IAN FLEMING : UN MÂLE BLANC HÉTÉROSEXU­EL.

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