NOLAN en son royaume
Rencontre à Burbank, en Californie, avec le cinéaste phare de la Warner.
Si le statut ou le rang d’un artiste se mesure à la taille de son bureau (ou de sa salle de montage), alors Chris Nolan est le roi du monde. Edit Bay, l’endroit où il met la dernière main à Dunkerque possède les dimensions d’un hall de gare et un écran dont la taille rendrait les ¾ des exploitants de cinoches parisiens complètement dingues. « Chris est arrivé à un point où il peut tout faire, tout se permettre », nous confie Lee Smith, son monteur attitré depuis
Batman Begins. Et au sein de la Warner, Nolan a acquis progressivement le statut de Kubrick – ou celui de Eastwood quand Clint avait encore sa place de parking à Burbank. Un artiste-maison, une signature qui incarne la marque d’un studio ; le genre de type que les executives doivent garder à tout prix (plus de 20 millions de dollars de salaire murmure-t-on pour Dunkerque). Approcher Nolan se fait donc avec des sentiments mêlés : l’excitation de rencontrer une incarnation du
zeitgeist, de parler avec un cinéaste qui a su prendre comme personne le pouls de son époque, mais une certaine appréhension aussi que les attachés de presse et les journalistes qui l’ont déjà croisé entretiennent à chaque mail ou chaque coup de fil (« Tu peux nous faire passer TOUT ce que tu as écrit sur lui ? » ; « Tu vas voir, c’est Dieu en personne ! »). Quand on le croise enfin, « Dieu » a la mèche blonde parfaitement en place, le regard bleu pénétrant et le cardigan gris qu’on le voit arborer sur toutes ses photos. Et il déploie son élégance folle (une rumeur prétend qu’il impose à tous ses techniciens d’être en costume sur ses plateaux – ce qui le fait doucement rire) qui caractérise autant sa démarche, que sa façon de vous parler, de vous accueillir et de vous écouter. Surtout « écouter ». Parce que Christopher Nolan ne se la raconte pas. Avec cette affabilité british qui abat toute forme de résistance, il écoute, observe et fait acte de présence. Au cours de la conversation, on comprend vite qu’il fait partie de ces cinéastes à la culture massive (capable de citer Beckett – en français, d’énumérer les différents modèles de Spitfire ou de digresser sur le dernier blockbuster vu en salles) et qui articulent leur pensée de manière aiguë et précise. Mais surprise, Nolan a de l’humour : rien à voir avec la solennité ou le côté sombre de ses films. Il est spirituel, synchrone, et jamais dupe. C’est dans ces moments-là qu’on touche du doigt sa sensibilité étrange, ce mood qui le branche directement aux questions et aux angoisses contemporaines et qui explique la connexion intellectuelle qu’il peut avoir avec le public de son époque.
« TU VAS VOIR, C’EST DIEU EN PERSONNE ! »