Sélection films
Une réalisatrice de 33 ans se lance à la poursuite des impossibles du cinéma français. Genre ? Quel genre ?
L e titre international de Grave est Raw, c’est-à-dire « cru », dans le sens de « pas cuit » mais aussi de « direct » voire « brut ». Le titre français, lui, signifie qu’il est ici question de choses sérieuses, mais qu’elles seront abordées avec une certaine légèreté générationnelle. – T’as aimé le film, toi ? – Ah ouais, graave... Ce dialogue, entendu dans les rues de Cannes 2016, est devenu un phénomène industriel. Dans les festivals, tous les festivals, Grave/ Raw cartonne. Dans les boîtes de prod, toutes les boîtes de prod, on en parle comme d’une révélation et d’un soulagement. Enfin !!! Mais enfin quoi, exactement ? Pour résumer : enfin un film de genre français qui tient la route, avec du gore, beaucoup d’énergie vitale, des références contre-culturelles seventies digérées ( j’essaie de ne pas trop faire ce genre de jeu de mots, lecteurs, je vous jure que j’essaie...). Mais aussi (surtout ?) un film de genre français qui provient du cinéma pré-institutionnalisé de la Fémis et d’une certaine cinéphilie chic, plutôt que des rangs moins fréquentables des fans de Mad Movies et de cinéma alternatif. Ça n’a l’air de rien, mais c’est assez crucial dans le cap historique que le film se propose de franchir.
MADE IN FRANCE. Depuis plus de trente ans, la question du « genre » agite le Landerneau du ciné français. « On » n’y arrive pas. « On » s’y casse régulièrement les dents (pardon). Polars ? Rien, presque rien, si ce n’est JoeyStarr ou Daniel Auteuil avec un cuir sur les épaules, et quelques mini-productions à moins de 50 000 entrées/monde. Fantastique ? Horreur ? Rien non plus, à part quelques (beaux) films sous-financés, sous-sortis et sur-interdits aux moins de 16 ans voire pire, auxquels la distribution française refuse de donner leur chance. À l’heure d’imprimer ces lignes, du reste, il semblait bien que Grave, interdit aux moins de 16 ans, ne sortirait pas dans les réseaux UGC. Trop cru, sans doute... Le public sud-coréen boufferait pourtant du
Grave au petit-déjeuner. C’est ainsi, le public français a l’estomac plus délicat. Au problème du genre made in France, Grave apporte donc une solution originale. C’est un film de femme (ce qui a son importance, le terme de genre étant aussi à comprendre sur ce terrain-là), la femme en question est surdiplômée (Normal Sup + Fémis) et incarne à ce titre la dé-ghettoïsation de certaines références esthétiques, jadis 100 % captées par ce que l’on a appelé les « bisseux », puis les
geeks, mais désormais désenclavées et enseignées aux jeunes filles dans les écoles de cinéma parisiennes. Le frémissement ne date pas d’aujourd’hui. Céline Sciamma ou Rebecca Zlotowski, issues des promos
« LES CODES HORRIFIQUES, Y COMPRIS LE GORE, SONT UN MOYEN PLUS QU'UNE FIN. »
précédentes de la Fémis, avaient déjà saupoudré leurs premiers films d’un zeste de John Carpenter, de David Cronenberg ou de Dario Argento. Mais Julia Ducournau va plus loin. Tout ce que tentaient Claire Denis ou Marina de Van dans le désert du début des années 2000 (Trouble Everyday, Dans ma
peau) arrive ici à maturation. Découvert dans le contexte de la Semaine de la critique à Cannes, l’impact de
Grave y était décuplé par la surprise. On ne savait pas qu’il s’agissait d’un film de genre (et encore moins d’un film sur le cannibalisme, décidément la tendance du cinéma d’auteur transgenre, collection 2016-2017). On pouvait donc le regarder « innocemment » comme un film de campus, fêtes, bizutage, musique à fond, drogues et nuits à rallonge, avant de le voir