PUMP UP THE VOLUME
Les podcasts français se multiplient à toute vitesse et s’offrent le luxe du débat critique sans contrainte de format et sans recherche du plus grand dénominateur commun. La forme orale serait-elle l’avenir de la critique ciné ?
Un scoop à peine éventé pour commencer : la presse culturelle est en crise. Elle se tape la tête contre les murs et se cherche de nouveaux modèles, de nouveaux horizons, et se demande surtout comment rétablir le dialogue avec ses lecteurs. En attendant, une poignée de spécialistes un peu obsessionnels se sont emparés de quelques micros pour discuter entre eux de séries, de musique, de jeux vidéo et bien évidemment de cinéma. Leurs enregistrements plus ou moins fait maison se téléchargent sur le Net via un client podcast et les chiffres d’audience commencent à gonfler sévèrement. Contrairement aux blogs et aux chaînes You Tube de plus en plus soumis aux contraintes de l’actu, des annonceurs ou des algorithmes, les podcasts s’envisagent comme un espace de liberté à mi-chemin entre le fanzinat et les radios libres. Tous fonctionnent au bouche-à-oreille et certains se retrouvent téléchargés plusieurs dizaines de milliers de fois à chaque épisode. Et s’il suffisait de brancher un micro pour se remettre à parler aux gens ?
Éloge de la subjectivité
Daniel Andreyev a 40 ans, dont dix passés en tant que journaliste « jeux vidéo » pour la presse magazine. Il s’occupe aujourd’hui de trois podcasts :
After Hate (la pop culture envisagée sous l’angle de la « haine »), MDR (un débat hebdomadaire autour d’une comédie française) et Super Ciné Battle (un classement maboul et gargantuesque de films, chapitré par décennie). Avant que le phénomène ne se mette à sérieusement bourgeonner en France, lui était déjà accro à tout un tas de podcasts américains dont la créativité, l’érudition et la capacité de divertissement l’affolaient : « L’un des plus inspirants, c’est How Did This Get Made ? chapeauté par Paul Scheer, un comique assez connu là-bas qui, chaque semaine, décortique un très mauvais film entouré d’amis à lui. Les angles sont brillants, les vannes parfaites. Dans un genre différent il y a aussi People Vs Batman Vs Superman où deux spécialistes DC dissèquent scène par scène le film de Zack Snyder depuis sa sortie. C’est rempli de digressions fabuleuses sur la culture comics et c’est fascinant de voir l’abnégation de ces types causant depuis plus d’un an de ce film qu’ils détestent, mais qu’ils veulent à tout prix désosser de fond en comble. Ça résume pour moi la spécificité de ce média qui offre le luxe du temps sur un sujet très spécifique et qui exige aussi une forme d’ultrasubjectivité créant un lien fort avec l’auditeur. De ce point de vue là, le podcast est l’inverse de la presse écrite mais aussi de la radio. Le Masque et la Plume, par exemple, est l’expression d’une pensée majoritaire, c’est sa raison d’être, alors que pour qu’un podcast fonctionne il faut que ce soit précisément l’inverse. »
Passeurs d’idées
Ex-piliers de la revue de ciné fantastique Mad Movies, au début des années 2000, Rafik Djoumi et Stéphane Moïssakis ont fondé il y a quelques années le blog Capture Mag avant de le transformer récemment en podcast hebdo. Les numéros les plus écoutés grimpent jusqu’à 45 000 téléchargements. « L’écriture nécessite un effort qui peut parfois être décourageant – surtout quand tu fais ce métier depuis aussi longtemps que nous et que tu le fais bénévolement. Alors que c’est toujours très joyeux de parler de cinéma quand cela s’inscrit dans une dynamique collective. Désormais, on parle de films à des gens en train de faire leur jogging ou leur vaisselle. Puisque la démarche de télécharger un podcast est quand même plus contraignante que celle d’allumer la radio, tu sais qu’ils ne viennent pas chercher un simple « bruit de fond » ou des joutes verbales, mais bien de la substance. Et là, ça rejoint vraiment le métier de critique, de passeur, ou tu proposes des films et des idées à des gens qui ont fait la démarche de venir vers toi. Quelque part c’est le meilleur des mondes. » Tous réfléchissent en ce moment « à des trucs » pour que leurs podcasts respectifs leur rapportent d’ici peu quelques sous. D’autres, comme les réseaux de podcasts Binge Audio ou Séance Radio, se mettent petit à petit à fonctionner comme de véritables médias professionnels. Tout ceci relève évidemment du grand prototype économique. Reste que leur émergence aussi soudaine que spectaculaire et la manière dont ils commencent à s’installer comme un rendez-vous dans les heures creuses de nos vies laissent apercevoir un horizon assez doux pour les podcasts français. On n’aura jamais moins rechigné que maintenant à faire la vaisselle. Rien que pour ça, merci.