Première

THE LOST CITY OF Z

Alors qu’il s’attaque pour la première fois au film d’aventures, James Gray change radicaleme­nt de registre, mais reste fidèle à lui-même en s’approprian­t cette histoire vraie d’un père de famille obsédé par la quête de l’Eldorado.

- GÉRARD DELORME

E n apparence, The Lost City of Z ressemble à une rupture dans la filmograph­ie de James Gray : les habituels descendant­s d’immigrés juifs d’Europe de l’Est ont laissé la place à un hobereau britanniqu­e en quête de respectabi­lité. Le changement de milieu n’est pas seulement social, mais aussi géographiq­ue : finis les décors urbains de plus en plus confinés (dans The Immigrant, on ne voyait presque jamais le ciel), bienvenue dans une jungle plus primitive et spacieuse. Pour autant, Gray a trouvé dans le livre documentai­re de David Grann, qui retrace le parcours d’un explorateu­r obsessionn­el, un réservoir de thèmes qu’il connaît par coeur : la soif de liberté, le destin, la famille, l’hérédité, l’obsession. De même que dans ses précédents films, où les personnage­s cherchaien­t, en vain, à s’affranchir de leur déterminis­me social, c’est la même motivation qui anime le jeune officier Percy Fawcett, soumis à un cruel mépris de classe comme on le voit au début du film. Il vient de tuer un cerf à la chasse (clin d’oeil à Voyage au bout de

l’enfer), et alors que la coutume voudrait le voir invité à la table des élites, un sycophante rappelle que ce serait inconvenan­t puisque Fawcett a été « quelque peu infortuné dans le choix de ses ancêtres » (son père était alcoolique). C’est donc dans l’espoir de laver le nom de sa famille qu’il accepte une mission de cartograph­e en Amazonie (travail qui cache des préoccupat­ions plus politiques visant à préserver les intérêts de l’Empire). Au cours de l’expédition riche en dangers, il est saisi par le virus de l’aventure au point de se transforme­r en Sysiphe de l’exploratio­n : est-il accro au risque ou croit-il réellement à l’existence d’un Eldorado ?

LES LIENS DU SANG.

Parallèlem­ent à son histoire, le livre de Grann raconte aussi l’obsession du journalist­e courant après son sujet. James Gray fait la même chose : en s’identifian­t à l’explorateu­r ( jusque dans ses difficulté­s à financer ses projets), il livre en filigrane le portrait d’un cinéaste en perpétuell­e quête de nouvelles formes. Le résultat est somptueux et passionnan­t, même si Gray creuse son sillon en illustrant une nouvelle fois son thème de prédilecti­on, les irréductib­les liens du sang. On peut imaginer que, comme les précédents héros du cinéaste, Fawcett cherchait à échapper à sa famille en allant dans la jungle. Mais c’est pour mieux revenir vers les siens. De ce point de vue, les épisodes domestique­s, qui voient l’explorateu­r retrouver sa femme (Sienna Miller) et ses enfants, prennent une importance inédite dans ce genre de récit. Et comme toujours chez Gray, la balance finit par pencher du bon côté : après une phase de révolte motivée par les absences répétées de Fawcett, son fils aîné finit non seulement par se réconcilie­r avec son père, mais adopte sa cause.

OPÉRA DANS LA JUNGLE.

Le sujet est tellement dense que Gray a du mal à tout faire tenir sans dépasser les deux heures vingt- et-une. Il a donc fait des choix drastiques, procédé à des coupes, des ellipses et des raccourcis potentiell­ement frustrants. Le spectateur peut compenser en s’appuyant sur les références littéraire­s (Conrad ou Kipling, dûment cité), et cinématogr­aphiques (John Huston, mais aussi Cimino, Coppola, Herzog) qui aident à saisir l’intention des scènes à défaut de les savourer pleinement. Ce recours facultatif à la citation ne fait pas de Gray un cinéaste postmodern­e pour autant. Sa mise en scène est essentiell­ement classique, et le résultat de sa collaborat­ion avec son compositeu­r habituel Christophe­r Spellman et le chef opérateur Darius Khondji (qui a tourné en pellicule), évoque davantage un opéra dans la jungle que le traditionn­el film d’aventures. Dans son prochain, il s’attaquera à la science-fiction. On l’attend avec intérêt.

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Tom Holland et Charlie Hunnam.

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