L'AUTRE CÔTÉ DE L'ESPOIR
Dans la veine sociale et engagée du Havre, le nouveau film d’Aki Kaurismäki fait retentir sa petite musique décalée avec savoir-faire.
Encore un port. Encore un clandestin. Encore une histoire d’entraide entre un samaritain occasionnel et un paria mis au ban de la société. Aki Kaurismäki livre une variation sotto voce du Havre, un peu plus noire et atone, moins pop. Le fidèle Sakari Kuosmanen y interprète Wikström, un homme qui a tout plaqué, femme et job de représentant, pour ouvrir un restaurant. En parallèle, le jeune Khaled, un réfugié syrien, tente de survivre aux bureaucrates blasés et aux nazis locaux. Les deux hommes, c’était écrit, devaient se rencontrer. Wikström prend Khaled sous son aile, virilement, en lui offrant une cave comme logis et un balai entre les mains. Kaurismäki fuit la psychologie comme la peste et enchaîne les vignettes, mi-absurdes mi-tendres, à peine dialoguées, avec le souci iconoclaste de « réenchanter tristement » le monde, entre deux riffs de guitare folk et des pintes de bière. Terre de contrastes, avec ses acteurs qui tirent la gueule et ses grands élans humanistes, son humour décalé et sa neurasthénie persistante, le cinéma du poète finlandais ne ressemble à aucun autre, sinon à celui d’un Jim Jarmusch en moins autocentré. On peut lui reprocher ce coup-ci un léger manque de mystère (le « message » est plus martelé qu’à l’accoutumée), un côté routinier, aussi, dans la mise en scène. Le dernier plan, joliment énigmatique, confirme néanmoins le talent, intact, de Kaurismäki de produire des images qui restent ancrées dans le coeur et dans la tête.