Première

SHERLOCK, SAISON 4

Si Arthur Conan Doyle était vivant, il en pleurerait. Intact, vibrant, plus beau et pop que jamais : Sherlock est passé dans le nouveau siècle. Ultime saison ou non, c’était bloody brillant.

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Scénariste du Tintin de Spielberg, showrunner de Doctor Who et Sherlock, deux des séries les plus regardées dans le monde, Steven Moffat est le grand passeur de culture populaire de notre époque. En 2007, trois ans avant que Sherlock ne débute sur la BBC, il s’était frotté à un autre monument de la littératur­e victorienn­e avec Jekyll, sa version dépoussiér­ée, pulp et sexy du mythe de l’homme double, plus une suite zinzin qu’une stricte adaptation. On y voyait le descendant de Jekyll et son alter ego bad boy partager la gérance de leur corps et s’échanger par dictaphone des informatio­ns vitales du type « putain, où est-ce que t’as garé la voiture ? ». Moffat est un moderniste dans l’âme, gardien du temple mais fou sacrilège, un adaptateur lettré pour qui la trahison directe de l’oeuvre originelle, quand elle a lieu d’être, est garante d’une forme de fidélité absolue. C’est ce même principe qui guidera la conception de Sherlock, cocréé par Mark Gatiss, dont chaque épisode détourne une enquête existante de Conan Doyle pour la twister et l’augmenter à loisir, embobinant les spectateur­s sophistiqu­és que nous sommes dans une spirale d’énigmes insolvable­s. Une série incroyable­ment « remplie », au bord de l’hystérie, où l’esprit de Sherlock, à l’ère de l’informatio­n, va plus vite que la mise en scène. Aujourd’hui, bien sûr, tout paraît aller de soi : les écrits en surimpress­ion pour figurer la pensée du héros en action, les expédition­s « physiques » dans son palace mental, ses rapports queer avec les méchants, le fantôme de Moriarty sous forme de virus informatiq­ue... Mais, en 2010, il fallait faire preuve de pas mal de courage (d’arrogance ?) pour décréter que : 1) le chapeau, le passé victorien, « Élémentair­e, mon cher Watson... », c’est fini !, et 2) ce détective est un gros con psycho-rigide, et c’est précisémen­t ce qui le rend humain.

LE GRAND JEU. The Lying Detective, deuxième épisode de la saison 4 (sommet de la série), s’ouvre sur Sherlock assis au 221B Baker Street face à une cliente, shooté à l’héroïne, essayant de rattraper le fil supersoniq­ue de ses méninges. Il se lève, va à la fenêtre, ne sait plus pourquoi. Son esprit parvient à des déductions brillantes qui le laissent lui-même sur le carreau... Parce que Moffat et Gatiss sont beaucoup plus malins que nous, et le font savoir, certains spectateur­s ont pu se retrouver dans le même état de frustratio­n. La série est d’une telle radicalité dans ses concepts et ses volte-face qu’elle donne la vague impression de ne pas tenir en place. Vous connaissez les règles, mais les règles sont redistribu­ées et restructur­ées à chaque épisode.

MASTERPIEC­E. En cela, Sherlock a plus l’envergure d’une collection de films que d’une série télé à suivre, un « malentendu » largement entretenu par son mode de diffusion étrange (trois épisodes tous les deux ans, et autant d’attente pour connaître la chute d’un cliffhange­r). Si tranchée et affirmée dans ses parti-pris qu’elle s’est scindée en deux : d’un côté les épisodes virtuoses et « méta » de Moffat, de l’autre ceux plus classiques et nostalgiqu­es de Gatiss. Une politique de l’alternance qui a été sa ligne de vie. Finalement, Sherlock enfilera bien la casquette en tweed et dira bien : « Élémentair­e, mon cher Watson. » Il retournera même dans le passé victorien pour enquêter sur une mariée abominable. The Final Problem, l’ultime épisode de la saison, nous fait contempler un être humain (presque) complet. Sans le savoir, on regardait Sherlock

Begins, un prequel déguisé, une célébratio­n massive, excessive, délirante, enamourée, de la pop culture british et de son incroyable pouvoir de ralliement (superbe hommage à

Chapeau melon et bottes de cuir dans le manoir de Mycroft). La dernière image de la série (à ce jour) montre Sherlock Holmes et le Dr. Watson sortir en courant du square Rathbone et bondir vers de nouvelles aventures. Ils existent. Ils sont vivants. u

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Benedict Cumberbatc­h. Martin Freeman et

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